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Billet de blog 14 décembre 2025

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L’apatridie revendiquée

Revendiquer l’apatridie, c’est refuser que l’appartenance se réduise à un passeport et rappeler qu’une mémoire, un peuple et une lutte peuvent fonder une identité autrement plus profonde que n’importe quelle nationalité.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans le monde actuel, où les identités sont de plus en plus politisées et où les frontières nationales semblent plus rigides que jamais, mon statut juridique d’apatride revendiqué peut sembler paradoxal. À une époque où la politique de l’appartenance est omniprésente, où les nationalités sont brandies comme des boucliers et des armes, être apatride n’est pas seulement une anomalie technique ou juridique. C’est pour moi un refus de laisser l’État confiner la réalité complexe de mon identité tibétaine.

Le monde qui nous entoure insiste sur des définitions claires et sans ambiguïté : vous êtes soit ceci, soit cela ; vous appartenez à un groupe ou vous n’y appartenez pas. Le discours politique est dominé par les frontières, les identités nationales et les citoyennetés. En France, où je vis depuis de nombreuses années, la bureaucratie tente constamment de me classer dans des catégories bien ordonnées telles que « réfugié » ou « étranger ». Mais l’histoire de mon peuple, les Tibétains, défie ces compartiments bien ordonnés. Nous sommes une diaspora prise au piège dans le bardo juridique.

Pour moi, le statut d’apatride pour un exilé sans pays, me semble plus vrai. Cette décision n’est pas une fuite de mon identité, mais une confrontation avec la réalité de celle-ci. Je suis né en exil après l’invasion du Tibet par la Chine, loin de la terre de mes ancêtres.

Illustration 1
Titre de séjour pour illustration

L’apatridie est souvent considérée comme un état liminal, un état de manque. Mais je vois ceci différemment. Pour moi, c’est un refus d’être confiné. C’est un acte de mémoire, et de dire que mon identité n’est pas liée à un gouvernement ou à des frontières, mais à une résistance permanente pour la liberté.

Cette décision a toutefois des conséquences réelles dans un monde de plus en plus hostile à « l’autre » chaque jour. Ici, nous assistons à la montée de mouvements populistes et nationalistes qui rejettent de plus en plus tout ce qui est « étranger, » et « différent ». Mon choix a un coût quotidien, depuis les démarches administratives interminables jusqu’à la dure réalité d’avoir besoin d’un titre de voyage simplement pour visiter un pays voisin, ce qui me rappelle que mon existence même est une anomalie bureaucratique.

Dans notre monde d’aujourd’hui tellement consumé par le nationalisme, le choix de rester apatride me semble plus sain que jamais. Mon apatridie est aussi une forme de résistance à l’idée que l’identité doit être figée. Ça me rappelle que les nations sont des constructions et que ma véritable identité est liée à quelque chose de plus profond et de plus complexe qu’un passeport ou une citoyenneté.

Je fais partie d’une diaspora qui a survécu l’exil, mais d’exil je participe aussi à un débat mondial sur l’identité et l’appartenance. Je refuse de laisser mon identité être réduite à un mouvement identitaire. Je ne laisserai pas non plus le monde me définir par les frontières qu’il crée, les catégories qu’il impose. Je suis tibétain, non pas par décret d’une nation, mais par l’histoire que je porte en moi et le peuple auquel j’appartiens. L’apatridie n’est donc pas une malédiction ; c’est une déclaration selon laquelle mon identité ne peut être enfermée dans une case.

Mon apatridie est le continuum de mémoire et de résistances collectives.
Mon apatridie est ma réponse à la politique des frontières.
Mon apatridie est, en fin de compte, ma façon d’être libre.

kyi hi hi !

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