La Bible indique à de multiples reprises que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme. Il en va de même du Coran. Mais qui accepterait, en France, que le Coran s’impose à tous ? Alors qu’il se trouve des gens qui entendent imposer la Bible à tous.
En vertu de quel principe juridique, un texte religieux – celui-là ou tout autre – ferait-il autorité pour toute une société ? La Bible légitime l’esclavage (Exode, 21), elle punit de mort celui qui travaille le jour du sabbat (Exode, 35,2), elle prescrit la peine de mort (Mt, 5, 21-22 ; Paul, Rm, 13, 4), elle impose la soumission de la femme (Epitre, 5, 22-24), elle justifie la torture dans les termes et les circonstances mêmes par lesquels certains la justifient aujourd’hui (J. 11, 50), elle qualifie l’homosexualité d’abomination (Lévitique, 18, 22). Sans parler des multiples supplices, plus horribles les uns que les autres, mentionnés dans ce texte pour punir ceux qui ont déplu à dieu.
Le débat sur le mariage pour tous dissimule à peine la volonté des Eglises d’imposer leurs conceptions à l’ensemble de la société. La menace religieuse n’est pas éteinte. Que du contraire ; elle persiste. Pour s’en tenir à l’Europe, le délit de blasphème continue d’exister dans la législation d’un grand nombre d’Etats : Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, France (pour l’Alsace –Moselle où s’applique les articles 166 et 167 du code pénal allemand), Finlande, Grèce, Irlande, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Suède, Suisse. Le catholicisme est la religion d’Etat de Malte. Dans plusieurs pays de l’UE, les droits des femmes (égalité avec l’homme, contraception, avortement) sont soumis à de nombreuses restrictions ou interdits du fait des Eglises. A Varsovie, le 27 juillet 2000, la Cour suprême a décrété que le droit canon est supérieur au droit civil polonais.
Il importe de garder à l’esprit l’essentiel. Les religions du Livre ont engendré toutes les trois des pratiques qui nient la dignité qui est en chaque être humain. A commencer par l’inégalité entre l’homme et la femme. Et les châtiments corporels, en particulier la flagellation, l’amputation et la lapidation, furent des pratiques communes à ceux qui se réclamaient de la tradition judéo-chrétienne comme de la tradition islamique. N’oublions pas que c’est l’Eglise catholique qui, la première au XIIe siècle, a érigé la torture en institution légale. Et qu’au nom d’un dieu unique, les croyants se sont livrés tout au long des siècles aux pires crimes de masse. Jusqu’il y a peu encore : plus de 200.000 morts entre 1991 et 1999, dans l’ex-Yougoslavie, dans des conditions d’une atrocité extrême. Au nom du Christ ou d’Allah. Même s’il y eut d’autres motivations dans ce conflit, l’antagonisme religieux était toujours présent, agressivement soutenu par les différentes Eglises.
Il est une réalité historique incontestable qui se vérifie encore aujourd’hui : les religions du Livre ne s’imposent à tous que par la contrainte, jamais par la libre adhésion. Lorsque l’adhésion à une religion est libre, elle ne concerne qu’une partie du peuple. Pas sa totalité. Il y a toujours des esprits libres, des infidèles. Pour s’imposer à tout un peuple, une religion a besoin de la contrainte. La domination religieuse est consubstantielle de la domination politique. Le monothéisme porte en lui l’absolutisme. Des siècles de guerres motivées par l’intolérance religieuse en attestent. Aujourd’hui, l’alliance séculaire du trône et de l’autel ne se perpétue que dans la collaboration entre l’Eglise et la dictature. Là où règne la liberté individuelle – qui n’est pas réductible localement en vertu d’un prétendu relativisme culturel ou juridique (les femmes d’Egypte et de Tunisie le clament à suffisance aujourd’hui) – là où il n’y a pas de religion d’Etat, les Eglises perdent leur pouvoir absolu. On en a eu la démonstration lors de la fin de la dictature en Espagne et au Portugal. Et ce qu’on observe en Iran ne fait que confirmer ce constat.
Nous sommes en France. Un pays qui a, certes, encore du chemin à parcourir pour mériter d’être qualifié de démocratie. Mais, heureusement, le pluralisme, la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des réalités. De plus, la Constitution affirme la laïcité de la République. Et la loi de 1905 consacre la séparation des Eglises et de l’Etat.
Il est dès lors totalement exclu que les Eglises, quelles qu’elles soient, dictent leurs dogmes à l’ensemble de la collectivité nationale. Ni la Torah, ni le Nouveau Testament, ni le Coran. Ces textes n’intéressent que ceux qui y adhèrent. Et eux seuls.
Et qu’on ne vienne pas invoquer la tradition judéo-chrétienne qui devrait s’imposer quasi naturellement à tous les Européens et aux Français en particulier au motif que pendant des siècles les peuples d’Europe ont eu à subir la dictature souvent sanglante de ceux qui se réclamaient de la Bible ! Car l’omniprésence arrogante des clochers catholiques ne peut faire oublier que la civilisation européenne, c’est aussi, et au moins autant sinon davantage, l’héritage des philosophes de l’Antiquité gréco-romaine et celui des penseurs du Siècle des Lumières.
Le mariage pour tous est l’aboutissement du principe d’égalité entre tous les humains. Il consacre une avancée des libertés individuelles. Il ne s’impose à personne. Il crée de nouveaux droits qui ne s’appliquent qu’à ceux qui veulent en user. Que ceux qui ont besoin pour vivre des contraintes d’un dogme se les appliquent à eux-mêmes et à eux seuls. Et ne privent pas de droits légitimes ceux qui ne pensent pas comme eux. L’obscurantisme religieux n’est pas une règle de droit applicable à tous.
Raoul Marc Jennar