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Billet de blog 17 septembre 2012

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Sabra et Chatila, il y a trente ans (3)

Voici le récit des quatre journées qui ont suivi la décision israélienne de faire entrer les milices chrétiennes dans les camps  que l’armée israélienne encercle

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Voici le récit des quatre journées qui ont suivi la décision israélienne de faire entrer les milices chrétiennes dans les camps  que l’armée israélienne encercle

JEUDI 16 SEPTEMBRE 1982

5H30 : des avions de chasse israéliens survolent les camps à basse altitude.

6 H : des tirs sont entendus à l’intérieur du camp de Sabra, près de l’hôpital Gaza. De nouveaux blessés arrivent à l’hôpital Gaza. Les chars israéliens bombardent Chatila, en particulier la partie sud-est du camp appelée Horch Tabet, qui est boisée.

8 H : une accalmie est perceptible à l’intérieur des camps, comme si ceux qui opéraient pendant la nuit s’étaient retirés.Peu après, l’Etat-Major des FDI lancel’ordre n° 6 : «Il est interdit d’entrer dans les camps de réfugiés. Le ratissage et le nettoyage des camps seront effectués par les Phalangistes et l’Armée libanaise. » La radio israélienne diffuse un reportage enregistré la veille depuis l’aéroport de Beyrouth dans lequel un officier phalangiste explique au journaliste israélien la route que ses hommes vont prendre pour rejoindre les camps avec comme objectif de « tuer les terroristes. »

8H30 : une vingtaine de femmes et d’enfants, portant des drapeaux blancs, tentent de sortir de Sabra par le nord. Ils sont refoulés par les soldats israéliens.

10 H : à Tel-Aviv, Eytan fait rapport à Sharon des opérations en cours à Beyrouth ouest : la ville tout entière est sous le contrôle des FDI ; les camps sont bouclés et encerclés. L’ordre règne à Beyrouth ouest. Sharon confirme sa décision de faire entrer les Phalangistes dans les camps.

11H20 : : un porte-parole des FDI déclare : « Les FDI contrôlent tous les points névralgiques de Beyrouth Ouest. Les camps de réfugiés qui abritent des concentrations de terroristes restent encerclés et fermés » ; le contrôle total de Beyrouth ouest par les FDI est effectif. Un couvre-feu illimité est imposé par les troupes israéliennes. Pour la première fois, l’armée israélienne occupe une capitale arabe ; la justification a changé: le porte-parole de l’armée israélienne déclare que celle-ci a pénétré dans Beyrouth ouest pour la « nettoyer » des Palestiniens qui y sont cachés et des milices libanaises de gauche. Les troupes israéliennes entrées dans Beyrouth ouest la veille par le passage du Musée contrôlent toute la Corniche Mazraa jusqu’à la mer, isolant du reste de Beyrouth le quartier Fakhani et les camps. Les Phalangistes installent un QG, dans un bâtiment de l’ONU et dans un autre qui appartient à l’Université (Faculté des sciences économiques), en face de l’ambassade du Koweït et à 150 m. du poste de commandement avancé de la 96e Division des FDI. La coordination avec le général Amos Yaron est établie en la personne de Jesse Sokar, officier de liaison phalangiste. Des snipers israéliens, postés sur les hauteurs qui entourent les camps, tirent depuis deux heures sur tout ce qui bouge.

à partir de 13 H : alors qu’aucune action armée ne se manifeste à partir des camps,  pendant cinq heures, ils subissent un bombardement intense de l’artillerie et des blindés israéliens à partir des avenues qui les surplombent à l’ouest comme à l’est.Les chars en position derrière des monticules de terre et de gravas en face de l’ambassade du Koweït et d’autres postés le long de la Cité sportive tirent à bout portant sur les camps, concentrant leurs feux sur la partie sud de Chatila (quartier de Horch Tabet).  Il n’y a aucune réaction armée provenant de Sabra et Chatila.

14 H : cinq hommes, doyens du camp fort respectés, se réunissent et constituent une délégation qui se dirige peu après, munie d’un drapeau blanc, vers les positions israéliennes. Selon un témoin ayant participé à la réunion, ils avaient l’intention d’expliquer aux Israéliens qu’il n’y avait pas de combattants, ni d’armes dans les camps. On retrouvera, près de l’ambassade du Koweït, les corps sans vie de Abou Ahmad Saïd (65 ans), Abou Soueid (62 ans), Abou Mohammed al-Berouani (60 ans) et Abou Mohammed Hechmé (64 ans). Quant au 5e, Abou Kamal Saad, il a disparu. Le bouclage des camps est effectué par des troupes israéliennes. Tous les « check points » sont sous leur contrôle.

15 H : à l’aéroport de Beyrouth, totalement contrôlé par l’armée israélienne, se regroupent des miliciens venus des environs de Beyrouth, mais également de Damour, Saadiyat et Nameh (trois localités où les Palestiniens ont massacré des civils en 1976), d’où ils ont été amenés et rassemblés à Shueifate, sous les ordres de Joseph Edde, un commandant de l’ALS. Des miliciens descendent d’un C130 Hercules israélien. Au même moment, une troupe de l’ALS, qui avait suivi les FDI depuis le sud du pays, arrive à l’aéroport.

16 H : le général Drori et 3 officiers israéliens se rendent au QG des Phalangistes dans le quartier Karantineh et rencontrent Fadi Frem et Elie Hobeika pour coordonner et terminer la préparation de leur action dans les camps. Ils fournissent des photographies aériennes des camps. Frem et Hobeika disent tous deux qu’il y aura « kasach » (mot codé en usage au Liban qui signifie  écraser, raser, découper). Ils informent Drori que c’est Hobeika qui dirigera les opérations. Peu après, quelques centaines de Phalangistes font mouvement, en jeeps et camions, depuis l’aéroport vers les camps. Ils sont accompagnés d’une cinquantaine de soldats de l’ALS. Une signalisation particulière, formée par un cercle dans lequel sont dessinées les lettres MP – signifiant « meeting point » - insérées dans un triangle, trace leur itinéraire. Des engins blindés israéliens les encadrent. La télévision israélienne montrera le convoi passant des « check points » israéliens lors de son émission d’information du samedi soir 

17 H : à Tel-Aviv, Morris Draper, l’adjoint de Habib et Sam Lewis, l’ambassadeur US au Liban,  rendent visite à Sharon, Eytan et Saguy. Ils déplorent l’entrée des FDI dans Beyrouth ouest et la transgression du plan Habib par Israël. Ils apprennent et désapprouvent l’entrée prochaine des Phalangistes dans les camps. Sharon affirme qu’il possède la liste des noms des « terroristes » restés à Beyrouth ouest et que les FDI doivent s’en occuper elles-mêmes. Eytan lui coupe la parole pour revenir sur la nécessité d’empêcher un bain de sang. Sam Lewis reproche également la violation du plan Habib. L’entretien est très orageux.

vers 18 H : un groupe de femmes et d’enfants, Libanais et Palestiniens, sortent de l’hôpital Akka, en bordure de Chatila, et demandent aux Israéliens de cesser les bombardements et les tirs de snipers. Ils sont refoulés vers Chatila par des soldats qui font ensuite rapport à leur hiérarchie. Sans suite.

18 H : Drori téléphone à Sharon : « Nos amis entrent dans les camps. J’ai coordonné leur entrée avec leurs chefs. » Sharon répond : « Félicitations. L’opération de nos amis est autorisée. » Environ 150 Phalangistes se présentent devant les accès sud et ouest du camp de Chatila. Les soldats israéliens ont reçu l’ordre de les laisser entrer. Ils sont accompagnés par des miliciens de l’ALS. Les Phalangistes sont sous les ordres de trois commandants : « Michel », « Maroun » et « Paul ». Ils sont munis d’armes à feu, mais également de haches et de couteaux. Les massacres commencent. Des officiers FDI, du haut du poste de commandement avancé, suivent les opérations dans les camps. Peu après, une femme se présente à l’hôpital Akka et annonce : « des Kataëb ont pénétré dans les camps pour massacrer les gens. ». Des blessés affluent à l’hôpital Gaza. Quelques jeunes Palestiniens, seulement équipés d’armes légères et de quelques roquettes antichars (RPG), tentent de résister.

peu avant 19H : soit moins d’une heure après l’entrée des milices chrétiennes dans les camps, le Lieutenant Elul, un des officiers d’ordonnance de Yaron entend Hobeika recevoir un message lui demandant ce qu’il doit faire avec une cinquantaine de femmes et d’enfants capturés. Hobeika répond : « C’est la dernière fois que tu me demandes cela. Tu sais ce que tu dois faire. » Elul fait rapport à Yaron.

19 H 15 : à la demande de l’officier de liaison phalangiste Jesse Sokar, l’armée israélienne tire des fusées éclairantes au rythme de 2 par minute au moyen de mortiers IDS de 81 mm. Plus tard dans la nuit, l’éclairage nocturne des camps se fera également par hélicoptères. Tous les témoignages rapportent qu’on y voyait comme en plein jour. Un groupe de femmes se dirigent vers des sentinelles israéliennes et expliquent que des massacres sont en cours. Elles sont refoulées. Michel Gerti, journaliste au Ha’aretz, est approché par des soldats israéliens qui lui rapportent ces faits et d’autres similaires. Ils disent qu’ils ont fait rapport et qu’on leur a répondu chaque fois « Tout va bien. » A l’hôpital Gaza, on dénombre déjà plusieurs morts.

19H30-23H30 : à Jérusalem, réunion du Cabinet. Trente-six heures après le début des opérations, Sharon annonce et justifie l’opération « Cerveau de fer » par la nécessité pour les services de sécurité israéliens de trouver les 2.000 « terroristes » restés dans Beyrouth ouest après le départ de l’OLP. Il indique que l’opération consiste essentiellement à prendre le contrôle de 16 points stratégiques de Beyrouth ouest en particulier pour s’assurer le contrôle des « camps de terroristes. » Il signale que l’opération met en œuvre tous les éléments des services de sécurité. Il annonce l’entrée des Phalangistes dans Chatila sans préciser le rôle des FDI. Il indique que les services de sécurité israéliens sont en train de rechercher les « terroristes » dans Beyrouth. Il explique que l’Armée libanaise ne voulait pas obéir à Béshir Gemayel aussi longtemps qu’il n’était pas investi dans ses fonctions et qu’elle attendra les ordres d’un nouveau président avant de sortir de ses casernes. Eytan confirme que la capitale libanaise est entièrement sous le contrôle des forces israéliennes. Il certifie que l’action des Phalangistes est sous le contrôle complet des FDI qui ont arrêté la mission des Phalangistes, définit le mode d’opération, établit les paramètres des opérations techniques et le timing de l’opération. Des capacités d’écoute ont été mises en place sur les lignes des unités opérant dans les camps ainsi que sur la ligne de l’officier de liaison phalangiste. Appelé à donner son avis sur les répercussions de l’assassinat de Béshir Gemayel, Eytan, sans se rendre compte qu’il contredit les assurances données antérieurement à propos des Phalangistes, déclare : « Il va y avoir une convulsion comme on en n’a jamais vu avant. Je peux déjà voir dans leurs yeux ce qu’ils attendent de faire. » Seul le ministre David Levy exprime des craintes à propos de l’entrée des Phalangistes dans les camps, mais ne s’oppose pas à la décision. Le Cabinet publiera le lendemain sa justification de l’entrée dans Beyrouth ouest : « Suite à l’assassinat du Président-élu Béchir Gemayel, les FDI ont pris position dans Beyrouth ouest en vue de prévenir tout danger de violence, de bain de sang et d’anarchie, alors qu’environ 2.000 terroristes, équipée d’armes lourdes et modernes, sont restés dans Beyrouth ouest violant ainsi de manière flagrante l’accord relatif à l’évacuation. »

entre 20 H et 20 H 30 : un message en provenance des camps demande à Jesse Sokar, l’officier de liaison phalangiste, ce qu’il faut faire avec 45 hommes capturés. Sokar répond : « Fais la volonté de Dieu». Un peu plus tard, Sokar, dans le mess du poste de commandement avancé, raconte que « jusqu’à présent, 300 terroristes et civils ont été abattus. » Peu après, il revient sur ce chiffre et annonce que le nombre de victimes est de 120.

20 H 40 : Yaron procède à un point de la situation avec ses officiers. Un rapport lui est présenté par un officier de l’AMAN :  « on a l’impression que le niveau des combats est très faible à l’intérieur des camps » ; « ils n’ont eu que deux blessés légers » ; « d’une part il n’y a manifestement pas de terroristes dans les camps, Sabra est vide,  et d’autre part ils ont rassemblé des femmes, des enfants et sans doute des vieilles personnes et ne savent pas quoi faire avec eux. » Lorsqu’un officier de renseignement demande s’il n’y a pas de dangers pour les civils, Yaron répond : « cela ne va pas les mettre en danger. » Dans les deux hôpitaux, les blessés ne cessent d’affluer depuis 20H. Les patients, une majorité de femmes et d’enfants, sont blessés par balles à la tête, à la poitrine, à l’estomac. Certains sont blessés à l’arme blanche. D’autres, plus rares, ont été blessés par des shrapnels. Dans le même temps, plus de 1.000 personnes se réfugient à l’intérieur et aux alentours de l’hôpital Gaza. Elles se lamentent en criant « Haddad, Kataeb, Israël. » A l’hôpital Akka, 500 personnes se sont réfugiées dans les abris.

22H12 : la radio des FDI annonce que les FDI ont confié aux Phalangistes le soin de « purger » les camps. Les FDI poursuivent l’éclairage nocturne des camps en tirant toutes les deux minutes des fusées éclairantes.

22H30 : l’officier du AMAN auprès de Yaron téléphone à Aley, où se trouve le QG avancé de Drori, et fait part des propos tenus par Jesse Sokar. Son collègue du AMAN lui répond de procéder à des vérifications.

23H10 : l’officier du AMAN à Aley informe le QG du AMAN à Tel-Aviv et demande que Saguy soit averti. Le Jerusalem Post reçoit un cable annonçant l’exécution de 300 civils par des Phalangistes opérant dans les camps.

VENDREDI 17 SEPTEMBRE 1982

A plusieurs reprises, pendant toute la nuit, des réfugiés s’approchent des soldats israéliens stationnés en bordure des camps pour leur expliquer ce qui se passe. Une unité médicale israélienne reçoit même la visite de blessés, dont un bébé de 9 mois qui a reçu une balle dans le dos. Des soldats israéliens entendent les hurlements des victimes. Chaque fois, des rapports sont envoyés à la hiérarchie des FDI. L’éclairage des camps pendant la nuit est à ce point intense qu’il suscite les questions de journalistes auxquelles le porte-parole de l’armée israélienne refuse de répondre. Pendant cette même nuit, des discussions ont lieu sur le toit du poste de commandement avancé israélien entre le Lieutenant-Colonel Bezalel Treiber, officier en charge des opérations de la 96e Division et Jesse Sokar d’une part et entre Amos Yaron et Elie Hobeika d’autre part, à propos du comportement des Phalangistes à l’égard des civils palestiniens.

5H30 : à Tel-Aviv,au QG du AMAN, le Lieutenant-ColonelMoshe Hebroni, officier d’ordonnance de Saguy, prend connaissance du rapport relatif aux 300 tués dans les camps. Ce rapport est remis à ce dernier une heure plus tard.

6H :  quand le jour se lève, les amoncellements de cadavres sont parfaitement visibles depuis les positions israéliennes autour des camps.

7H30 : Moshe Hebroni transmet le rapport sur les 300 personnes tuées à Avi Dudaï, secrétaire de Sharon.

7H50 : A Tel-Aviv, Ze’ev Schiff, le spécialiste militaire du quotidien israélien Ha’aretz, est informé qu’un massacre a lieu dans les camps. Il tente de vérifier l’information auprès de plusieurs contacts au sein de l’Etat-Major général, mais en vain. Uri Avneri, président du Conseil pour la Paix Israël-Palestine, publie un communiqué accusant Sharon de vouloir, sous couvert d’une opération militaire, détruire les camps de réfugiés de Beyrouth ouest comme cela a été fait dans le Sud Liban près de Tyr et de Sidon.

8 H : dans le quartier de Chiyah, à l’est de Chatila, des habitants libanais déclarent que les soldats de l’ALS contrôlent chaque carrefour ; un grand nombre de soldats et d’officiers israéliens qui encerclent les camps sont informés des massacres en cours : ils ont reçu de multiples indications de la part de témoins et ils peuvent, par eux-mêmes, observer ce qui se passe dans les camps et voir les cadavres qui s’entassent ; le lieutenant Grabowski est personnellement témoin du massacre d’un groupe de femmes et d’enfants. Lorsqu’il demande à un milicien pourquoi les Chrétiens tuent des femmes et des enfants, il lui est répondu : « Les femmes donnent naissance à des enfants et les enfants deviennent des terroristes. » Lorsque Grabowski veut faire rapport, il en est dissuadé par ses soldats qui ont entendu le commandant du bataillon répondre à d’autres rapports du même genre « Nous savons, cela ne nous plaît pas, n’intervenez pas. »

Les troupes israéliennes achèvent le quadrillage de la ville et entament une chasse à l’homme. Les rafles de militants de gauche libanais et de civils palestiniens suspectés d’être des cadres de l’OLP se multiplient. Les 200 Palestiniens arrêtés sont conduits au stade de la Cité sportive qui borde Chatila où ils retrouvent ceux qui y ont été amenés des camps voisins par les Phalangistes. Ceux-ci procèdent à un tri, puis, en présence de soldats israéliens, soit exécutent, soit conduisent leurs prisonniers vers des destinations inconnues.

9 H : Haddad arrive à l’aéroport de Beyrouth et se rend à Bikfaya. Un responsable du CICR à Beyrouth, Peter Cume, téléphone au représentant du Ministère israélien des affaires étrangères à Beyrouth et signale que la veille en soirée, un millier de personnes s’étaient réfugiées à l’hôpital Gaza . Devant l’hôpital Akka, un soldat israélien remet à une jeune infirmière palestinienne de 19 ans, Intisar Ismail, une note qu’elle devra donner aux soldats qui vont venir contrôler les occupants de l’hôpital.

10H20 : des miliciens, s’exprimant avec un fort accent du Sud-Liban, approchent de l’hôpital Akka. Un médecin palestinien, le Dr Sami et des collègues sortent de l’hôpital munis d’un drapeau blanc. Les miliciens lancent une grenade sur le groupe qui tue trois personnes. Intisar Ismaïl remet aux miliciens la note donnée peu avant par le soldat israélien. Elle est immédiatement emmenée dans les sous-sols de l’hôpital où elle est violée à de multiples reprises avant d’être martyrisée au point que seule sa bague permettra de l’identifier.

10H45 : une voiture de l’ambassade de Norvège parvient aux abords de l’hôpital Akka et conduit le personnel norvégien au CICR, à Hamra, un quartier de Beyrouth Ouest. Une assistante sociale de cette équipe parvient, dans l’après-midi, à se rendre à l’hôpital Gaza et à expliquer que le personnel libanais et palestinien est en danger.

11 H : Schiff fait part de ses informations à Mordechai Zipori, Ministre des Communications, qui les transmet au Ministre des Affaires Etrangères, Yitzhak Shamir. Celui-ci n’y donne aucune suite. A Beyrouth, au poste de commandement avancé des FDI, Drori entend un rapport de Yaron qui exprime son « malaise » (an uneasy feeling ») à propos du comportement des milices chrétiennes. Tous deux décident d’ordonner aux Phalangistes de cesser toute activité et de rester sur place. Yaron transmet aux Phalangistes l’ordre de cesser les opérations et de quitter les camps le lendemain matin à 5 H., mais il fournit en même temps de nouvelles cartes et photos aériennes à Fuad Abu Nader, officier phalangiste en charge des opérations qui vient lui annoncer qu’une seconde force est prête à opérer dans les camps. Drori informe Eytan que les Phalangistes « ont été trop loin». Eytan annonce son arrivée à Beyrouth. Des journalistes tentent d’entrer dans Chatila et sont refoulés par les Phalangistes.

13 H : avec l’accord de Yaron, qui revient ainsi sur ses instructions de 11 H, des jeeps emmènent 150 phalangistes de l’aéroport aux camps. A peu près au même moment, entre 400 et 500 personnes ont réussi à s’échapper de Sabra et à se cacher dans une école en bordure de la Corniche Mazraa où les FDI ont installé leur périmètre Nord de fermeture des camps. A Tel-Aviv, le Lieutenant-Colonel Reouven Gay, directeur du département de la sécurité nationale au Ministère de la Défense, téléphone à Avi Doudai, secrétaire particulier de Sharon pour l’informer des massacres. A cette heure, il est certain que le cabinet du Ministre de la Défense est informé des massacres. Ce qui ne suscite aucune réaction.

15 H : Drori intervient une nouvelle fois et sans succès auprès de l’Armée libanaise pour obtenir sa participation à la prise de contrôle des camps. A l’aéroport de Beyrouth,  Ron Ben-Yishai, journaliste, correspondant militaire de la télévision israélienne, qui a observé les mouvements de troupes phalangistes et entendu de leur part, avec force gestes à l’appui, leur volonté de tuer sans pitié les habitants des camps, apprend d’un officier israélien que des massacres ont déjà été perpétrés. Il filme les deux régiments phalangistes qui se préparent à partir pour les camps. Ses images seront diffusées sur la télévision israélienne le samedi soir.

15H30 : Eytanarrive à l’aéroport de Beyrouth où il fait le point de la situation avec Drori. Ils sont rejoints par Yaron. Eytan ne réagit pas aux rapports qui lui sont faits sur ce qui se passe dans les camps.

vers 16 h :  la diplomatie américaine à Beyrouth et Tel-Aviv est informée par des journalistes de la présence des Phalangistes dans les camps. Un peu plus tard, contacté par Morris Draper, Amin Gemayel confirme et annonce le départ prochain des Phalangistes hors des camps. Au carrefour de l’ambassade du Koweït, un officier israélien explique au correspondant de l’Agence de presse Reuters, Paul Eddle, que « l’armée israélienne ne doit pas s’impliquer, mais que les camps doivent être purifiés». Le journaliste du Time Magazine Robert Suro constate qu’il n’y a aucune riposte venant des camps aux tirs des chars et des soldats israéliens. Il observe des miliciens phalangistes approvisionnés en nourriture par des soldats israéliens. Peu après, ces journalistes sont chassés du carrefour de l’ambassade du Koweït par les FDI. Les pellicules des photographes sont saisies.

16H30 : au QG des forces phalangistes, à la Karantineh, Eytan, Levi, Drori et Yaron font, dans la bonne humeur, le point des opérations avec le commandement des Phalangistes (Fadi Frem, Zahi Bustani, Fuad Abu Nader, Joseph Abu Halil et Elie Hobeika). Eytan  « exprime son impression positive du comportement des forces phalangistes sur le terrain »  et n’évoque pas ce qui lui a été rapporté à propos des exactions des milices chrétiennes. Au contraire, il exprime sa satisfaction. Selon certaines sources, il aurait même adressé ses félicitations.En tout état de cause, avec les encouragements du Mossad, Eytan autorise le maintien des Phalangistes jusqu’au lendemain 5H. Bien plus, il marque son accord sur l’entrée de nouvelles troupes phalangistes et accède à la demande de jeeps supplémentaires et de bulldozers. Il n’est plus question de l’ordre donné à 11 H, le même jour.

17H45 : la colonne des deux régiments phalangistes, complétée de bulldozers, entre dans les camps et massacre un groupe de femmes et d’enfants qu’elle croise dès son arrivée. Les bulldozers commencent à détruire des maisons ; du personnel médical évacué de l’hôpital Akka peut les voir en train de pousser des cadavres. Au même moment, les 400 à 500 personnes qui s’étaient réfugiées dans une école près de la Corniche Mazraa apprennent que des miliciens de Haddad avancent dans leur direction. Prenant peur et arborant un drapeau blanc, ils se dirigent vers les lignes israéliennes. Comme le passage leur est interdit, ils protestent. Avec l’appui d’un char et en les menaçant de leurs armes, les FDI les refoulent vers Sabra. Un infirmier pakistanais, qui se trouvait au 5e étage de l’hôpital Gaza est abattu par les balles d’un sniper. Suite aux informations données par l’assistante sociale norvégienne de l’hôpital Akka évacuée le matin, le personnel libanais et palestinien de l’hôpital Gaza est invité à quitter la zone aussi vite que possible. Eytan quitte Beyrouth poursa ferme en Galilée où il va fêter le nouvel an juif.

18 H : Yaron est informé par le Colonel Yair, commandant la brigade de para-commandos que des femmes et des enfants s’enfuient des camps par le Nord et font état de massacres et d’atrocités. D’autres rapports signalent que les Phalangistes emmènent des hommes, des femmes et des enfants, par camions, hors des camps. Yaron ordonne que les Phalangistes restent dans les camps jusqu’à leur départ, le lendemain à l’aube.Morris Draper fait part au représentant du Ministère israélien des Affaires étrangères à Beyrouth de la protestation du Premier ministre libanais, M. Shafik al-Wazzan, à propos d’exactions commises par des Phalangistes dans Beyrouth ouest.

21 H : Sharon, qui s’est retiré dans sa ferme dans le Negev, reçoit un appel de Eytan. Selon Sharon, Eytan lui aurait dit que les Phalangistes « sont allées trop loin. » Selon Eytan, il a seulement signalé que la mission des Phalangistes était terminée. Les deux sont d’accord pour reconnaître qu’Eytan a indiqué que les Phalangistes devaient quitter les camps le lendemain à 5H. 

21H50 : Sharon reçoit un appel de l’officier de garde au Ministère de la Défense. Il lui est annoncé que des soldats de l’ALS se trouvent à Beyrouth ouest et que deux d’entre eux ont été tués par des soldats des FDI en bordure de Chatila. Il ne réagit pas. Au contraire, il considère que les FDI ayant fait preuve de fermeté avec des soldats alliés, il n’y a pas lieu de s’inquiéter.

23H30, Saron reçoit de Beyrouth un appel de Ron Ben-Yishai qui lui rapporte des relations d’officiers israéliens relatives à des massacres de civils dans les camps. Il ne réagit pas.

SAMEDI 18 SEPTEMBRE 1982

Pendant cette troisième nuit de terreur, dans les camps, des bulldozers ont rasé des maisons avec leurs habitants déjà massacrés ou encore en vie. Ils se sont employés à rendre un maximum de maisons inhabitables. A l’aube, ils ont commencé à creuser des charniers.

5H : le délai fixé par Yaron pour le départ des massacreurs n’est pas respecté. Aucune réaction des FDI.

6H30 : les milices chrétiennes s’emploient à vider les camps de leur population encore en vie ; un groupe de Phalangistes et de soldats de l’ALS entre dans l’Hôpital Gaza ; de nouveaux contingents de soldats phalangistes pénètrent dans Chatila.

7H30 : 18 Occidentaux, un Syrien et deux infirmiers palestiniens appartenant au personnel médical de l’hôpital Gaza sont arrêtés. Un Palestinien est abattu. Le médecin syrien l’est également un peu plus tard. Les autres sont conduits à travers les deux camps. Chemin faisant, ils voient des centaines de cadavres. Ils voient aussi des centaines de personnes (hommes, femmes, enfants, vieillards) rassemblées sous la garde des milices chrétiennes. Peu avant la sortie de Chatila, ils croisent des bulldozers portant Aleph, la première lettre de l’alphabet hébraïque. A l’extérieur du camp, ils sont interpellés agressivement (êtes-vous chrétiens ou êtes-vous communistes ? des chrétiens ne soignent pas les Palestiniens…vous êtes des communistes, des membres de la bande Bader-Meinhof …) par un groupe de miliciens portant un béret noir. Ilspeuvent voir 40 à 50 Phalangistes entrer dans les camps sous la supervision des soldats israéliens. Ils sont conduits près de l’ambassade du Koweït. En accord avec des officiers israéliens, les Phalangistes les obligent à enlever leur tablier blanc qui les identifie comme personnel médical et les distingue des combattants. On leur prend leur passeport. Ils subissent ensuite un interrogatoire musclé, puis sont envoyés au poste de commandement avancé israélien. Un médecin – le Dr David Grey – reçoit ensuite, d’un officier israélien, un laisser passer rédigé en hébreu et, sur l’insistance du Dr Grey, ensuite en arabe, lui permettant de retourner à l’hôpital Gaza. A ce moment, des Phalangistes tentent d’abuser d’une infirmière norvégienne. Il suffit d’un mot de l’officier israélien pour que les Phalangistes passent leur chemin, ce qui montre bien qui était aux commandes. Après avoir séparé les hommes valides parmi les centaines de personnes sorties des camps, les Phalangistes conduisent certains soit vers des camions stationnés aux entrées, soit vers le stade de la Cité sportive. Sur intervention d’un officier israélien, les femmes et les enfants sont invités à rentrer chez eux. Les milices chrétiennes reçoivent peu après l’ordre de quitter les camps. L’hôpital Akka est en feu.

à partir de 8 H : avec trois heures de retard sur l’horaire convenu et sans que ce retard ait suscité des réactions israéliennes, les Phalangistes commencent à sortir des camps.

à partir de 8H30 : les premiers journalistes et photographes entrent dans les camps. Une vision d’horreur s’offre à eux. Ils découvrent des corps de femmes et de jeunes filles ligotées, jupes retroussées et jambes écartées, qui ont été violées avant d’être égorgées ; à certaines, on a coupé les seins ; ils découvrent des femmes enceintes éventrées avec leur bébé étranglé, des hommes parfois jeunes alignés devant le mur où ils ont été abattus, des enfants et des vieillards devant la porte de leur maison, des familles tuées devant la télévision ou dans leur chambre, ou autour de la table, pendant le repas ou dans les abris où ils avaient cherché refuge;  les mains d’une femme tiennent encore sa carte d’identité libanaise ; d’autres femmes ligotées ont eu les doigts tranchés, certains ont eu les membres tranchés à coups de hache avant d’être achevés ; des hommes ont été émasculés ; beaucoup de cadavres sont mutilés ; des crânes ont été fracassés à la hache ; des bébés, le crâne écrasé, ont été jetés sur des tas d’ordures parmi des canettes de rations C US et des bouteilles de whisky vides. Des familles entières – parfois plus de 30 personnes – sont décimées. Dans d’autres cas, un témoin est laissé en vie « pour qu’il raconte », lui a-t-on dit. Des grenades dégoupillées ont été placées sous certains cadavres et menacent de tuer les parents encore en vie. Des morceaux de corps émergent de maisons détruites par les bulldozers, d’autres de fosses mal comblées. Même des chevaux ont été abattus. Les récits des survivants sont hallucinants. L’état de décomposition des cadavres laisse apparaître que les premières victimes remontent à la nuit de mercredi à jeudi et que les dernières ont été tuées le samedi matin. Les visiteurs ne trouvent pratiquement aucune trace de combats, sauf près de la mosquée de Sabra..

L’écrivain français Jean Genet, qui séjournait à Beyrouth, est parmi les premiers à se rendre dans les camps. Il décrira l’horreur de ce qu’il a découvert dans un texte devenu célèbre sous le titre « Quatre heures à Chatila. »

vers 9 H : des diplomates, dont l’Ambassadeur de France Paul-Marc Henri et un Américain, entrent dans les camps avec des représentants suisses du CICR et des journalistes de plus en plus nombreux. Ils découvrent l’ampleur des massacres. M. Henri ne peut retenir ses larmes.

10 H : les derniers miliciens quittent les camps. Morris Draper adresse à Sharon, via le représentant du Ministère israélien des affaires étrangères à Beyrouth, le message suivant : « Vous devez arrêter le massacre. C’est horrible. J’ai un représentant dans les camps qui compte les corps. Vous devriez avoir honte. La situation est absolument effroyable. Ils tuent des enfants. Vous avez le terrain complètement sous votre contrôle et vous êtes en conséquence responsable pour cette zone. »

12 H : à Tel-Aviv, un porte-parole des FDI déclare « nous ignorons tout de ces prétendus massacres. Il n’y a aucune présence israélienne dans les camps mêmes».

13 H : Sharon répond à Draper que les Phalangistes ont quitté la zone des camps. Cette information n’est pas correcte puisque miliciens phalangistes et de l’ALS sont encore présents à l’intérieur de la Cité sportive où ils côtoient des soldats et des agents des services de renseignements israéliens. Pendant une partie de la journée, après avoir été interrogés dans le stade par des soldats israéliens qui usent de la menace de les rendre aux Phalangistes, un grand nombre de prisonniers sont embarqués par ces derniers dans des camions partant vers des destinations restées inconnues jusqu’à ce jour. On retrouvera, dans la Cité sportive, les corps de prisonniers ligotés. L’officier israélien en charge des interrogatoires à la Cité sportive,  le Colonel Naftali Bahiry, a nié la présence de ces éléments phalangistes dans un stade qui était sous le contrôle exclusif de l’armée israélienne. Cette présence a cependant été constatée par bon nombre de survivants, par le personnel de l’hôpital Gaza qui y a été conduit, par des journalistes et par des diplomates occidentaux.

DIMANCHE  19 SEPTEMBRE 1982

Comme la veille, les FDI procèdent, dans le stade du Cercle sportif, à des vérifications d’identité ainsi qu’à des interrogatoires de tous les Palestiniens âgés de 14 à 60 ans amenés des camps ou du reste de Beyrouth où les opérations de ratissage et les perquisitions se poursuivent. Ces interrogatoires sont parfois accompagnés de simulacres d’exécution. Le résultat principal de ces interrogatoires, et le Colonel israélien Bahiry le confirmera, c’est qu’on n’a pas trouvé trace des « 2.000 terroristes » invoqués par Sharon pour envahir Beyrouth ouest.

Alors que le monde entier découvre l’ampleur de la boucherie et commence à s’indigner, tous les porte-parole officiels israéliens tiennent un discours identique : Israël ainsi que l’ALS sont totalement étrangers aux massacres.

A Beyrouth, Amin Gemayel déclare à Navot qu’il ne comprend pas la mise en cause des Phalangistes par le gouvernement israélien. Eytan, Drori et Navot rencontrent  l’adjoint de Fadi Frem, An Tuan Baridi, dit Toto, et lui indiquent la nécessité de récupérer rapidement toutes les armes se trouvant dans les camps. Ils suggèrent aux Phalangistes une explication des massacres basée sur la perte de contrôle des troupes. Les Phalangistes refusent d’endosser la responsabilité des massacres. Lors d’une conférence de presse, Eytan déclare « Nous n’avons pas donné d’ordre aux Phalangistes et nous ne sommes pas responsables pour eux…Les Phalangistes ont été se battre dans les camps selon leurs propres règles… »

Dans Beyrouth ouest, des miliciens de l’ALS  mettent à sac le siège du Parti Socialiste Progressiste.

A Tel-Aviv, à deux reprises pendant la journée, des manifestations spontanées rassemblent des centaines de pacifistes israéliens qui demandent la démission de Begin et de Sharon. Amnon Kapeliouk rapporte que le professeur Epstein, âgé de 80 ans, déclare aux journalistes : « J’ai honte d’être Israélien après ce qui s’est passé à Beyrouth. Cela me rappelle trop les nazis qui ont emmené les Ukrainiens au ghetto pour massacrer les Juifs. » Les manifestants sont dispersés avec violence par la police.

Alors qu’il a soutenu l’invasion du Liban et a fait le tour du monde pour justifier l’action des FDI au Liban, à l’origine des massacres, Shimon Peres, leader de l’opposition travailliste, trouve opportun, aux informations télévisées, d’appuyer les revendications des manifestants.

Le gouvernement Begin, réuni à 22 H, déclare que le massacre a été perpétré par une « unité libanaise » qui s’est infiltrée dans les camps « par un accès éloigné des positions des FDI. » Il affirme que « dès que les FDI ont été informées de ce qui se passait dans les camps, elles ont mis fin à l’assassinat de civils innocents et ont forcé l’unité libanaise à quitter le camp. » Il rejette toute idée de responsabilité des FDI, une accusation qui constitue, selon le communiqué, « une calomnie sanglante contre l’Etat juif et son gouvernement», qu’il considère comme sans fondements et « rejette avec mépris. » Begin déclare : « des non-Juifs ont tué des non-Juifs et ce sont les Juifs qu’ils accusent » ( « Goyim kill Goyim and they accuse the Jews»).

A New York, le Conseil de Sécurité de l’ONU « condamne le massacre criminel de civils palestiniens à Beyrouth». [

(à suivre)

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