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Billet de blog 20 octobre 2011

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23 octobre 1991 : vingt ans après les Accords de paix sur le Cambodge, quel bilan?

Je me trouvais au Centre international des conférences, rue Kléber, à Paris, lorsque furent signés les accords qui devaient apporter la paix au Cambodge et le mettre sur les rails de la démocratie. Parmi les signataires, j’ai reconnu deux génocidaires souriants : Khieu Samphan et Son Sen. Parce que la communauté internationale avait imposé que les Khmers rouges soient associés aux négociations de paix.

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Je me trouvais au Centre international des conférences, rue Kléber, à Paris, lorsque furent signés les accords qui devaient apporter la paix au Cambodge et le mettre sur les rails de la démocratie. Parmi les signataires, j’ai reconnu deux génocidaires souriants : Khieu Samphan et Son Sen. Parce que la communauté internationale avait imposé que les Khmers rouges soient associés aux négociations de paix. Comme elle avait imposé, en 1979, que le peuple cambodgien ait pour seul représentant légitime à l’ONU un ambassadeur issu du régime responsable de la mort d’au moins 2.200.000 personnes.

D’emblée, cette présence indiquait que le ver était dans le fruit. C’est ce que je retiens de ces accords de paix : ils n’ont pas apporté la paix. Les Khmers rouges ont refusé d’appliquer toutes les dispositions des accords relatives à la pacification. Quand l’APRONUC (Autorité provisoire des Nations unies au Cambodge) s’est retirée du Cambodge, le territoire sous leur contrôle était plus vaste qu’à son arrivée. Et leurs actions meurtrières se poursuivaient avec la même intensité.

Le pari sino-occidental d’une paix possible avec les Khmers rouges était perdu et laissait aux seuls Cambodgiens le soin de régler le problème. Ce sera la politique « gagnant-gagnant » du Premier Ministre Hun Sen qui y parviendra cinq ans après le départ de l’APRONUC. Le prix de la paix sera sans doute élevé – une amnistie pour tous les cadres Khmers rouges, à l’exception des dirigeants historiques – mais le Premier Ministre réalisera ce que 200.000 soldats vietnamiens, puis 16.000 casques bleus avaient été incapables d’obtenir : la fin du mouvement des Khmers rouges et la paix sur la totalité du territoire.

Un deuxième échec de ces accords, c’est leur impuissance à instaurer une démocratie aboutie. Certes, des progrès considérables ont été accomplis par rapport au communisme à la soviétique mis en place à partir de 1979. Plusieurs partis politiques existent. Une presse d’opposition existe. Une société civile forte de 4.000 ONG nationales et étrangères jouit d’une grande liberté d’expression dans sa critique des choix et pratiques gouvernementales. Les scrutins législatifs et municipaux (ces derniers constituant une grande innovation dans un pays qui n’en avait jamais connus) se sont déroulés dans des conditions de plus en plus satisfaisantes, même s’ils demeurent perfectibles, notamment à propos de l’enregistrement des électeurs et de l’accès aux médias audio-visuels. Mais ce qui fait défaut, c’est un état d’esprit, c’est une culture démocratique.

Les auteurs des Accords de Paris ont feint d’oublier qu’il ne suffit pas de célébrer la liturgie électorale pour instaurer l’ordre démocratique. La démocratie ne s’importe pas. Elle ne se décrète pas. Elle s’apprend et elle se conquiert par ceux qui y aspirent.

Ces mêmes auteurs ont ignoré les réalités ethnologiques, sociologiques, historiques et politiques du Cambodge de 1991. Ils ont imposé leurs Accords comme si le Cambodge était une tabula rasa sur laquelle il suffisait de déposer un système politique pour qu’il prenne automatiquement racine. Or, non seulement le Cambodge avait perdu l’essentiel du potentiel humain nécessaire pour faire fonctionner un système démocratique, mais en outre le passé de ce pays n’offrait aucune référence démocratique.

De plus, la supériorité de la démocratie n’a pas été automatiquement perçue comme une évidence par certains dirigeants lorsque les journaux d’opposition qui ont fleuri à partir de 1993 se sont caractérisés par une utilisation systématique de l’insulte, de la calomnie, de la fabrication de faux pour discréditer les gouvernants. Ceux-ci ont éprouvé beaucoup de difficultés à considérer la liberté de la presse comme un progrès.

Ce que les dirigeants du PPC comme ceux du FUNCINPEC ont copié à partir de 1993, c’est le modèle qu’ils ont connu avant 1970, c’est-à-dire une sorte de paternalisme autoritaire. Les uns et les autres, avec leurs références et leurs expériences respectives ont mis en place une forme de despotisme où se confondent, en une étrange mixture, la tradition autoritaire issue du communisme et la tradition autoritaire issue du féodalisme.

Si les Accords de Paris n’ont pas tenu leurs promesses en ce qui concerne la paix et la démocratie, il faut mettre au crédit de l’UNHCR et en particulier du regretté Sergio Vera de Mello, le succès incontestable du rapatriement de 378.000 réfugiés depuis les camps où ils se trouvaient en Thaïlande. Malheureusement, leur réintégration dans la société fut un triste échec. Autre succès, l’organisation d’élections qui furent, très largement libres et équitables. Même si d’étranges pratiques ont justifié une contestation du résultat par un PPC convaincu, notamment suite à certaines déclarations d’éléments américains de l’APRONUC, que le but de l’opération était de l’écarter du pouvoir. Enfin, sous l’égide de l’APRONUC, les bases d’une société pluraliste ont été jetées. Si, comme partout, elles doivent être protégées, la multiplicité des associations et ONG et leur liberté de ton attestent d’une réussite dans ce domaine.

Les progrès lents, mais continus observés depuis 1993 se heurtent aujourd’hui à la position dominante acquise lors du scrutin de 2008 par un PPC qui, manifestement, résiste mal à la tentation d’en abuser. Les droits les plus légitimes de l’opposition ont été réduits dans l’enceinte parlementaire. Ses militants sont victimes d’inutiles tracasseries. Même si un de ses leaders a perdu tout crédit en se livrant à des actes légalement répréhensibles, rien ne justifie que les droits de l’opposition soient bafoués. Des milliers de citoyens sont lésés par des expropriations, certes souvent justifiées par la reconstruction du pays et son développement économique, mais rarement accompagnées de la « juste et préalable compensation » prévue par la Constitution. L’insécurité juridique et la corruption découragent bon nombre d’investisseurs sérieux, susceptibles d’apporter une vraie valeur ajoutée et des emplois durables.

En l’absence d’une justice indépendante et d’une fonction publique neutre, l’impunité et la corruption se sont à nouveau répandues dans le pays à la vitesse de métastases laissant en panne le projet démocratique inscrit dans la Constitution et rendant aux clans leur place et leur vitalité d’autrefois. Vingt ans après les Accords de Paris, si beaucoup a été accompli, beaucoup reste à faire pour que l’admirable Constitution adoptée suite à ces Accords s’inscrive dans la réalité.

Raoul Marc JENNAR

(On trouvera une description des négociations qui ont abouti aux Accords de 1991 ainsi qu’une analyse de ces Accords dans mon livre Trente ans depuis Pol Pot. Le Cambodge de 1979 à 2009, paru chez L’Harmattan en 2010)

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