Comme le rappelait il y a peu le journaliste Alexandre Nevzorov, des millions de russes, et beaucoup de non russes, se jettent dès leur réveil sur leur téléphone dans l’espoir qu’ils y trouveront la nouvelle de la mort du tyran détesté. On lui imagine mille maladies, toutes plus léthales les unes que les autres. On croit déjà voir le courageux garde du corps qui colle une balle entre ses deux yeux de merlan frit. Son état-major se jeter sur lui pour l’étouffer avec un coussin. Son majordome le regarder agoniser sans appeler le médecin. Chacun y va de sa prédiction, ses généraux le lâchent, le FSB le trahit, les oligarques se coalisent pour lui couper les vivres. Que quelqu’un, merde, enfin, aille le ”flinguer jusque dans les chiottes”, pour reprendre l’expression qui l’a rendu célèbre dès le début de son premier mandat et tellement sympathique à l’extrême droite française ! Ma version préférée, elle tourne en boucle sur le net depuis le 25 février, c’est que son entourage soude de l’extérieur la porte de son bunker de l’Altaï, lui coupe l'électricité et tout moyen de communication, et file négocier la paix à Kiev ou à Washington...
Mais malheureusement tout cela relève du wishfull thinking. Même si elle est gravement malade, la vieille canaille (hommage à Serge Gainsbourg, originaire d’Odessa) n’est pas près de casser sa pipe. Et son entourage trop fanatisé ou terrorisé pour lui régler son compte.
Ce désir qu’on voudrait réalité est légitime : ce cinglé, intoxiqué par sa propre propagande, absolument corrompu par 22 ans de pouvoir absolu, enfermé dans la bulle de ses délires impériaux et patriotiques, kleptocrate névrotiquement attaché aux richesses volées au peuple russe (étrangement en Russie ce point n’est pas contradictoire avec le précédent), nullité rongée par des complexes d’infériorité personnels (petit et laid) et collectifs (la Russie selon Pouchkine, “mal lavée, pays de crétins et de mauvaises routes...”, la dissolution de l’URSS, la guerre froide perdue), ce cinglé dis-je, a osé nous menacer, nos enfants et nos proches, l’humanité entière, de l’apocalypse nucléaire. Ce monde à peine, et peut-être pas encore, sorti du covid, il le replonge dans une crise économique globale, dans l’insécurité alimentaire, retarde la lutte contre le réchauffement climatique, relance la course aux armements, privant du même coup de crédits dans le monde entier la recherche scientifique pacifique, l'enseignement et la santé. Et tout cela pour un caprice de vieillard nostalgique. C'est à la jeunesse du monde entier que Poutine a déclaré la guerre, c’est l’avenir de la jeunesse du monde entier qu’il met en danger. Comment ne pas souhaiter sa mort ? (On objectera à ce désir que les individus ne font pas l’histoire et qu’il est bien naïf de concentrer sur ce minable tous les maux du monde. Et pourtant, contre toute raison, il semble bien que cet événement sidérant soit le fruit d’une décision individuelle, irréductible à aucun déterminisme économique ou historique, et pas non plus l’expression d’une aspiration profonde du peuple russe à reconstituer l’URSS... cette aspiration existe certes mais elle plus une rêverie consolante face aux difficultés de la vie réelle qu'une volonté ferme et articulée de se lancer dans une aventure militaire. La population russe est trop amorphe et individualiste pour ça. Peut-être que beaucoup ne seraient pas contre la prise de Kiev, mais surtout que cela se fasse sans eux et sans leurs enfants.)
Et pourtant, la mort de l’affreux est-elle souhaitable ?
Chaque matin quand j’ouvre mon ordinateur les portails les plus populaires en Russie, par exemple yandex.ru ou rambler.ru, vous pouvez vérifier, me propose en premier des vidéos de Ramzan Kadyrov, l’autocrate sanguinaire et islamiste de la république de Tchétchénie, encore officiellement membre de la Fédération de Russie.
Pour rappel, Ramzan Kadyrov est le fils d’Akhmat Kadyrov, grand Mufti de Tchétchénie, d’abord combattant indépendantiste (à cette époque son fils se vantait d’avoir exécuté de ses mains des soldats russes) puis passé du côté russe en échange d'un pouvoir absolu sur la Tchétchénie. Il faut bien comprendre que contrairement à ce qui est souvent affirmé, la Russie a perdu la deuxième guerre de Tchétchénie comme elle a perdu la première ; la preuve est que jusqu’à maintenant le bandit Tchétchène rackette la Russie (90 % du budget de la république est d’origine fédérale, c’est à dire que les retraités russes financent le luxe insolent dans lequel vivent l’affreux et ses parasites). Si la Russie cesse de payer, Kadyrov déclenche aussitôt une troisième guerre de Tchétchénie. D’autant moins souhaitable que la blitzkrieg contre l’Ukraine tourne au fiasco. Contrairement à son père, Ramzan est un crétin inculte. Il est arrivé au pouvoir très jeune et un peu par hasard : les indépendantistes ont placé une bombe sous la tribune de laquelle son père assistait à un match de foot de l’équipe de Grozny. Poutine qui aime s’entourer d’orphelins qui lui doivent tout et n’aime pas se compliquer la vie avec des procédures démocratiques, a tout simplement nommé le fils pas très doué successeur de son père.
L’affreux barbu polygame est à la tête d'une milice privée de plus de 30000 hommes avec une sérieuse expérience du combat acquise en Syrie et en Lybie. Alors que le tsar a perdu la boule et menace de casser sa pipe à chaque instant, tous ceux qui ont intérêt à ce que le régime perdure se tournent vers le redoutable chef de clan. Tout le monde le craint en Russie. Devant lui même l'armée russe est prête à se coucher, et même le FSB, qu’on croyait plus patriote, plus orthodoxe et surtout un peu moins lâche. Poutine a 70 ans et pas l’air très en forme. Ramzan Kadyrov a 45 ans et pète la santé. Certains se disent donc que la kleptocratie pourrait en reprendre pour 30 ans, 30 ans d’obscurantisme religieux, de corruption généralisée et de parades militaires absurdes. 30 ans de misère et d’intoxication télévisuelle pour le peuple. 30 ans de privilèges, de palais, de jacuzzi, de yachts et de chiottes en or pour les proches du pouvoir protégés par le tortionnaire compulsif. Certes Londres, Courchevel et Nice leur seront désormais fermés, mais il leur restera Dubai et la riviera chinoise.
Chaque jour sur tous les media russes tellement surveillés et contrôlés le Père Ubu caucasien déverse ses délires géopolitiques, traite de traîtres les négociateurs russes, menace des pires sévices les combattants ukrainiens et les opposants russes. Il n'hésite pas à donner des leçons de stratégie au tsar vieillissant lui-même. Et si on ne l'en empêche pas, c’est qu’on l’encourage. On se demande souvent qui sera le successeur de Poutine. On sait que la Russie soviétique et post-soviétique a toujours eu du mal avec la transmission du pouvoir. La nullité Poutine a accédé au pouvoir parce qu’il devait assurer l’impunité du clan Eltsine, ce qu’il a fait scrupuleusement. Visiblement son entourage croit aujourd’hui que Kadyrov est le mieux placé, avec ses 35000 barbus fanatisés, pour sauver le régime malgré la disparition de son dirigeant. Ils doivent bien comprendre qu’ils ont une chance sur deux de se faire bouffer tout cru par le monstre qu’ils introniseront. Mais ils savent aussi que sans lui ils sont condamnés au pire à une fin à la Ceausescu, au mieux à se retrouver sur le banc des accusés devant le Tribunal Pénal International.
Pour ceux qui s’étonneraient que la Russie soit prête à se livrer poings et pieds liés à l'islamisme, je rappelle qu'Ivan le Terrible, au moment de la prise de Kazan, se préparant à intégrer à la Russie une importante population musulmane, s'était posé la question de convertir toute la Russie à l’Islam. La légende veut qu’il y aurait renoncé en raison du profond attachement de la population russe à l’alcool...
Mais un islam tolérant avec l’alcool serait très bien accueilli en Russie : pour ce qui est de l’homophobie et de la misogynie l’idéologie poutinienne est très proche de l’islamisme. L’islamo-fascisme à la Kadyrov se mariera sans peine au populisme militariste et bigot qui règne aujourd’hui en Russie.
Et pour ce qui en est de la fierté nationale, pas de problème non plus : la Russie a déjà montré son étrange appétence à être brutalisée par des bandits caucasiens : Staline et Kadyrov même combat.
Depuis quelques années les villages et les banlieues les plus miséreuses de Russie se peuplent de minables monuments à la gloire du tyran moustachu. Plus on vit mal au présent en Russie, plus on se réfugie dans un passé idéalisé. Plus on se sent minable et offensé, plus on a besoin de reconnaissance, plus on se rapproche de celui qui faisait peur au monde entier. Polytraumatisée, humiliée par la misère économique et la fin de l’Empire, la population russe n’a plus d’avenir, rumine son passé, et se trouve prise par cette étrange compulsion de répétition qui rend probable le plus improbable, le plus irrationnel : un grand peuple éduqué qui se livre sans retour à un bandit juste descendu de sa montagne. Une grande nation européenne s’enfonce toujours plus dans la servitude volontaire, dans le despotisme oriental et se soumet à un enfant gâté illettré qui ne s’intéresse qu’aux grosses voitures allemandes, aux montres très chères, aux pistolets plaqués or et aux matchs de MMA. Pour ne pas affronter la réalité, pour ne pas reconnaître sa responsabilité dans les crimes de masse qui se commettent en son nom et avec sa complicité passive, le peuple russe renonce à exercer sa pensée et sa liberté en se confiant les yeux fermés à celui qui sera son pire bourreau, dans le même geste qu'il y a un siècle, quand affolé par la Première Guerre Mondiale et la guerre civile, il s’était déjà donné au tyran géorgien qui devait le brutaliser pendant 30 ans. On dirait que l’histoire russe est un destin et ne sait que bégayer.
Pauvre Russie, bien sûr, mais on a finalement le pouvoir qu'on mérite. Chaque jour sur les media russes Kadyrov et ses affidés menacent d’égorger ceux qui s’opposent à la guerre. C’est bien sûr terrifiant. Mais si les Russes veulent échapper au déshonneur et à l'esclavage, et briser ce cercle odieux de la répétition absurde, il est urgent de réagir. Il sera bientôt trop tard.