Interrogé sur la possibilité d'une attaque nucléaire contre la Russie, voici sa réponse : "Notre agresseur doit savoir que les représailles sont inévitables et qu'il sera détruit. Nous, nous serons les victimes, et nous irons au Paradis comme des martyrs. Mais eux crèveront sans avoir eu le temps de demander pardon".
Un peu plus tôt, il s'était inquiété que des puissances étrangères soient en train de mettre au point des armes biologiques capables de cibler leurs victimes en fonction de leur ethnie à travers leurs caractéristiques génétiques. Les peuples empoisonnés verraient leur apparence radicalement modifiée en deux ou trois générations. Il a rappelé aux responsables de ces recherches que bien sûr la Russie ne resterait pas en retard dans ce domaine. Nous voilà rassurés.
Rhétorique religieuse apocalyptique, définition génétique des peuples, angoisse de la perte de l'identité raciale, militarisme, délire scientiste, qui aurait pensé il y a quelques années que le chef d'un grand Etat moderne tiendrait de tels propos trente ans après la fin de la Guerre Froide? Et qu'ils ne seraient que le reflet de ceux, tout aussi délirants, qui se tiennent de l'autre côté de l'Atlantique. On ne sait plus qui de Trump ou de Poutine a le premier ouvert la boîte de Pandore. Mais elle est bien ouverte.
Les accents religieux sont particulièrement à relever. On sait que Poutine se sert de l'orthodoxie pour essayer de combler le vide idéologique de son pouvoir et pour légitimer les incroyables régressions sociales et culturelles qu'il fait subir à son pays. Mais cette fois il semble que les odeurs d'encens lui ont définitivement embrumé l'esprit et qu'il commence lui-même à croire à ce qu'il raconte. La référence au Paradis pour les martyrs rappelle d'ailleurs plus l'obscurantisme islamiste de son protégé Kadyrov que le christianisme.
Un cran avait déjà été franchi dans la violence des propos il y a quelques semaines lorsque répondant à une question sur l'affaire Skripal Poutine avait répondu que l'espion empoisonné était "une ordure et un traitre", avouant par là implicitement l'implication de la Russie dans le crime. Quant à la pauvre victime collatérale, empoisonnée à son tour par le flacon jeté dans une poubelle de tri, le président avait estimé que l'Angleterre n'avait pas à se plaindre d'être "nettoyée" d'une clocharde droguée.
Ce printemps déjà, lors d'un discours devant les députés et les sénateurs réunis en Congrès, il avait présenté des simulations d'armes "secrètes" ultra-modernes pulvérisant une région du monde ressemblant furieusement à la Floride. On s'était aperçu ensuite que certaines de ces images avaient été empruntées à des jeux vidéo turcs. N'empêche que le ton mégalo-paranoïaque du discours avait inquiété beaucoup de commentateurs politiques. Ils s'étaient aussi émus des applaudissements unanimes et frénétiques de l'auditoire, comme si nous étions cette fois déjà ramenés à la triste époque de la Guerre Froide.
L'économie stagne, les inégalités et le mécontentement augmentent, la corruption prospère et ruine toute possibilité de réforme, le pouvoir affolé ne voit plus d'autre issue que dans les aventures extérieures. Ces rodomontades restent pour le moment seulement verbales et imaginaires. Mais jusqu'à quand?