Delenda est Ruthena putinesca

Abonné·e de Mediapart

149 Billets

0 Édition

Billet de blog 29 mai 2015

Delenda est Ruthena putinesca

Abonné·e de Mediapart

Corruption sans complexe

Delenda est Ruthena putinesca

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  Le chef du département d’enquête du Ministère de l’Intérieur russe Alexandre Savenkov a déclaré hier 28 mai qu’il ne fallait pas « faire un complexe » de la place de la Russie dans le classement des pays corrompus établi par Transparency International pour l’année 2014. Elle y partage en effet la 136ème place avec l’Iran, le Cameroun, la Kirghizie, le Liban et le Nigéria.

  Le fonctionnaire a rapproché ce classement de la deuxième place obtenue par la chanteuse Polina Gagarina au concours de l’Eurovision à Vienne samedi dernier : c’est le résultat d’un complot international organisé par un certain « diadia » (oncle, tonton en russe) qui décide toujours en dernière instance de l’ordre du classement, quel que soit le concours. Le fonctionnaire n’a pas précisé l’identité de l’oncle en question, mais dans la rhétorique dominante le mot désigne généralement Obama, parfois un être hybride mystérieux, « Rockefeller-et- Rothschild ».

  On aurait pu penser que la belle deuxième place de Polina Gagarina aurait fait plaisir à la Russie. Mais après les Jeux Olympiques de Sotchi, l’annexion de la Crimée et les commémorations pharaoniques de la victoire dans la « Grande Guerre Patriotique », elle ne veut plus que la première, et attribue toutes les autres aux effets d’un complot orchestré par les Etats-Unis et ses vassaux européens.

  Même réflexe à l’annonce de l’inculpation de quelques hauts responsables de la FIFA : il ne peut s’agir que d’une manœuvre américaine pour priver la Russie de ses championnats du monde en 2018.

  L’autisme des élites russes, relayé par presque tous les médias et visiblement intégré par plus de 80% de la population, est de plus en plus inquiétant. Mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une constante dans le rapport de la Russie à l’étranger, et que l’ouverture des années 90 fait figure d’exception. Depuis des siècles la Russie se pense comme une citadelle assiégée, entourée d’ennemis ou de voisins malveillants et jaloux, dernier bastion selon les époques des valeurs chrétiennes ou de la justice sociale, et appelée un jour à montrer la voie de la vérité chrétienne ou communiste à ceux qui se croient aujourd’hui supérieurs. Dans la bouche du fonctionnaire le mot « complexe » a valeur de dénégation révélatrice. C’est bien de cela qu’il s’agit, un vieux complexe d’infériorité compensé par un nationalisme exacerbé et susceptible.

  Dans le même ordre d’idée et tout aussi symptomatique : en février dernier l’opposant Alexeï Navalnyï avait proposé que la Russie ratifie l’article 20 de la convention de l’ONU portant sur la lutte contre la corruption et l’inscrive dans sa propre constitution. La pétition organisée pour soutenir cette initiative avait rassemblé plus de 100000 signatures. Elle avait pourtant été repoussée par le Gouvernement russe sous prétexte que « toutes les révolutions de couleur avait été conduites sous le slogan de la lutte contre la corruption » (Igor Zoubov, vice-ministre de l’intérieur de la Fédération de Russie). Visiblement, pour ce gouvernement, la corruption fait partie du patrimoine culturel et spirituel russe, mais pas l’idéal d’élections justes, libres et transparentes, qui lui est dangereux et allogène.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.