La « grande utopie » face au « juste équilibre »
Le jour du 1er tour du scrutin présidentiel est arrivé, et beaucoup d’entre nous hésitent encore : Faut-il voter pour Emmanuel Macron ou pour Jean-Luc Mélenchon ? Ces hésitations sont saines : on voudrait sortir la France de l’impasse économique avec un projet humaniste, mais les ambitions de La France Insoumise donnent le vertige ! Faute de vision claire de l’avenir, on sera peut-être tenté de faire le choix le moins risqué. Plutôt qu’à Mélenchon, l’utopiste révolutionnaire, on donnera sa voix à Emmanuel Macron, qui incarne le nouveau centre, la synthèse décomplexée des bonnes idée venues de la droite et de la gauche. Mais le vrai risque n’est peut-être pas là où on l’attend.
Choisir entre 2 candidats progressistes
Au risque de grossir un peu le trait, on peut replacer les 4 principaux candidats – j’ai nommé Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron, François Fillon et Marine Le Pen - sur un cadrant composé de 2 axes : l’axe sociétal, qui oppose les progressistes aux conservateurs ; l’axe économique, qui oppose les libéraux aux protectionnistes. Passons sur les conservateurs - qu’ils soient de droite ou d’extrême droite, les tenants du repli identitaire savent déjà pour qui ils iront voter – et intéressons-nous au 2 candidats progressistes.

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Jean-Luc Mélenchon peut être qualifié de progressiste, car son programme place au cœur le développement humain, la redistribution du capital, et la transition écologique. Il propose une refondation de la république française et de l’Europe autour de valeurs sociales et de paix, avec une participation accrue des citoyens à l’action politique. C’est la raison pour laquelle il a le soutien des grandes ONG1 et d’un certain nombre d’économistes de haut vol, dont Thomas Piketty2 et Jean Ziegler3. Emmanuel Macron est également progressiste, bien qu’il ne perçoive pas l’urgence des transitions écologique et démocratique.
Ce qui oppose le plus les 2 candidats, c’est en réalité leur position sur l’axe économique. Pour Jean-Luc Mélenchon, l’économie de marché doit être régulée par la puissance publique, et l’Etat Nation constitue l’échelle d’action privilégiée. Dans son programme, la relance de l’économie passe par la commande publique, avec des investissements d’envergure dans la transition énergétique. Pour Mélenchon, l’Europe doit être protégée contre le dumping social et contre les dérives de la finance, avec de nouvelles règles communautaires, et avec la mise en place de barrières économiques aux portes de Schengen. Pour Emmanuel Macron, le rôle de l’Etat est plutôt de libérer les entreprises des contraintes qui lestent leur développement. L’Etat doit également accompagner un certain nombre de tendances lourdes déjà bien installées, à l’instar de la disparition du salariat au profit de nouvelles formes de travail. Contrairement à Mélenchon, Macron ne remet pas profondément en cause le libre-échange, que ce soit au sein de l’Europe ou à ses frontières.
On a donc 2 candidats progressistes sur le plan sociétal, mais qui ne partagent pas la même vision du rôle de l’Etat dans l’économie. En bon père de famille, on sera peut-être tenté de choisir la continuité plutôt que la rupture, le déjà vu plutôt que l’inconnu de la 6ième République. Mais le choix de vote doit prendre en compte un autre facteur : le risque de voir Marine Le Pen accéder à l’Elysée.
Vers un scénario à l'américaine
La tournure que prennent les choses en France rappelle dangereusement un certain 8 novembre 2016. Que s’est-il passé lors de l’élection américaine ? Un candidat humaniste antisystème - Bernie Sanders -, avait perdu les primaires démocrates, et laissé la place à Hillary Clinton. Malgré son expérience reconnue, Clinton se positionnait dans la continuité de la présidence Obama. Les partisans d’un changement profond se sont donc abstenus, ou bien tournés vers Donald Trump.
Nous sommes le 23 Avril 2017, en France, et les mêmes ingrédients sont là : à l’issue du vote d’aujourd’hui, on peut sérieusement craindre un duel final Macron – Le Pen. Autrement dit, un candidat du « système » face à une candidate d’extrême droite. Ne nous leurrons pas : Emmanuel Macron incarne la continuité et non la rupture4. Derrière un enrobage renouvelé, on retrouve à travers sa candidature le projet social-démocrate de François Hollande. Macron, c’est le hollandisme avec la fraicheur et le leadership en plus. On peut donc craindre que si Emmanuel Macron est victorieux au premier tour, c’est le bloc de la contestation et de l’abstention qui l’emporte au second.
Voter Macron au premier tour, c’est donc recréer sur le sol français les conditions d’accession de Trump à la Maison Blanche. C’est ouvrir une voie royale à Marine Le Pen et son parti mortifère. Alors quel est le pari le plus risqué ? Le plongeon avec Mélenchon dans l’inconnu de la 6ième République, dans le cadre d’un projet humaniste, ambitieux, et construit avec une large participation citoyenne ? Ou bien le vote de la continuité au risque de faire triompher l’obscurantisme du Front National ?
En espérant que l'avenir ne me donne pas raison.
3 https://blogs.mediapart.fr/max-emilien/blog/040417/jean-ziegler-soutient-melenchon