Je suis partie de chez moi à 17 ans. Chez moi, c’est la 20ème circo du Nord.
Alors depuis que j’ai le droit de vote et jusqu’en 2016, j’ai presque toujours voté communiste. C’était une évidence, parce que c’est la gauche qui existait dans le secteur. Dans cette circo faite de villages, où la ville c’est Saint-Amand-les-Eaux, là où j’ai fait mon collège et mon lycée, où j’ai découvert le judo et la résistance, la station thermale qui m’a donné cette première conscience politique et de l’humour en politique : il est rare que les communistes construisent des casinos. C’est là que j’ai découvert la vie municipale, à Brillon beaucoup de familles ont eu un.e de leur membre élu.e au fil des années. J’avoue que la mienne a fait fort. Tiens, c’est là aussi que j’ai eu mon premier agacement contre le cumul des mandats, parce que les frères Bocquet côte à côte lors d’une réunion du Congrès c’était trop. Tout ça c’était avant.
Maintenant je devrais vous écrire que je suis très triste pour Fabien Roussel qui a fait un super travail en tant que député. La vérité c’est que mon empathie n’en est pas là. Je n’ai pas encore la ressource émotionnelle pour être triste pour Fabien. Il y a quelques jours on convenait avec Ian Brossat de se retrouver dans le Nord vendredi prochain, pour le dernier jour de campagne. Sauf que Fabien a été battu hier soir. Chez moi, on a maintenant un député du Rassemblement national. J’ai l’impression qu’on m’a piétiné le cœur. Ma mère parlait d’écœurement, c’est peut-être ça.
Ecrire que je suis partie sans me retourner serait faux. J’avais besoin de partir pour me trouver enfin et Paris est une immense amour. Je n’ai donc jamais regretté, ni même envisagé de le faire. Jusqu’à hier soir. Je n’aurais pas servi à grand chose de plus à Paris, mais dans cette 20ème du Nord ? Je ne le saurai jamais. Le sentiment de culpabilité est gigantesque. Tout le monde est indispensable, personne n’est irremplaçable. J’ai pourtant le sentiment d’avoir laissé ma maison à l’extrême droite. Je savais qu’elle était là et qu’elle était forte. Le combat me semblait trop dur, parce que trop proche. Je n’avais pas envie de m’engueuler avec ces gens là. Je suis désolée. On va apprendre à s’engueuler tout en s’aimant encore plus. La 20ème du Nord était à gauche depuis le début de la 5ème République.
On doit tout réparer, tout reprendre, et surtout nous assurer que tout le monde est protégé.