Et si l’envie ne vient pas…?
L’idée de cet article est venue d’un sentiment de libération. Cela faisait quelque temps que je tournais autour, à dire vrai cela faisait bien 2 ans, au moins. Comme je n’apprécie pas les vrais faux suspenses dans les narrations, autant vous l’écrire tout de suite : je ne suis pas candidate pour être à nouveau cheffe de file des Ecologistes pour les prochaines élections municipales à Paris Centre. Je crois que cela mérite quelques explications, peut-être les trouverez vous intéressantes, et je me les dois, à moi-même d’abord.
Parce qu’en politique plus qu’ailleurs, les mécanismes sont connus et d’une force inouïe. Vous faites de la politique, une élection arrive, vous candidatez, vous faites campagne en interne, vous êtes désigné.e, ou pas, vous faites campagne en externe, ou pas. Voilà, si je devais résumer à très grand traits. On a tendance a être emporté.e.s par cette machinerie et à oublier de poser la première question, la plus importante : est–ce que j’en ai envie ?
C’est ce que j’explique dans mes formations au media training : avant de te préparer à faire un média, demande toi si tu as envie de faire cette intervention, si elle est utile, pourquoi tu en as envie, comment tu jauges de cette utilité… Bref, pose-toi les bonnes questions. Mais il y a en politique une sorte de pente naturelle - ce que j’abhorre - qui conduit à la recandidature. C’est aussi une forme d’attendu, pour les candidat.e.s, les votant.e.s, l’institution.
Alors j’ai bien entendu été moi aussi prise dans ce flot. J’ai réfléchi, je me suis projetée, j’ai fait les calculs, préparé le terrain, pensé à ce que je voudrais faire d’un deuxième mandat à Paris Centre… Et puis je m’arrêtai. Vingt fois (et plus encore) j’ai remis sur le métier l’ouvrage et vingt fois (et plus encore) je me suis arrêtée là. Parce que je n’avais simplement pas envie de cet ouvrage.
Je ne veux pas laisser de place au faux semblant ou à la fausse modestie : je pense être une bonne élue et je réalise mon mandat avec passion et rigueur. Je le ferai d’ailleurs jusqu’au dernier jour, la dernière minute et la dernière seconde. De la même manière que j’ai sauté dans le vide dès le premier jour. Je crois que rien n’oblige plus que l’élection au suffrage universel. Et j’aime beaucoup l’expression de “démocratie laborieuse”, parce que si la politique n’est pas un métier, ne vous y trompez pas, il est en permanence question de travail. Pas de chance ou de talent, ou alors si peu.
Je vais continuer à œuvrer, il n’y a pas l’ombre d’un doute à ce sujet. Mais ce mandat, cette charge particulière, je n’en ai pas envie. Il a fallu du temps pour le formuler ainsi. Seules quelques personnes très proches sont au courant. J’ai effleuré le sujet avec quelques personnes dont j'estime grandement l’intelligence et la connaissance du système politique parisien. Pourtant ça ne devrait surprendre personne. Parce que je n’ai jamais dit que j’en avais envie. Ca ne devrait, cela surprendra néanmoins. Parce que ce que je vous disais sur l’attendu. Il n’est pas prévu qu’on se détourne d’une telle possibilité.
C’est un peu vertigineux de vous écrire tout cela. D’ailleurs, quand j’ai commencé à penser à ce billet je me suis retrouvée à écrire des dizaines de choses, des items qui ont rempli des pages et des pages d’anecdotes et d’analyses qui méritent d’être partagées. Parce qu’elles disent quelque chose de ce qu’est ma vie depuis 5 ans, et à ma petite échelle de ce qu’est notre monde politique.
Cette liste de choses n’est pas terminée, et elle ne sera peut-être jamais achevée. Mais au fur et à mesure que je l’écrivais je me remémorais le beau, le bon, les fiertés, et les souffrances. J’ai hésité avant de poser ce mot, mais il n’est pas de trop. Mot après mot, constituant cette litanie, j’enfermais l’élan de liberté et je me retrouvais appesantie.
Alors qu’au moment où j’ai osé me dire qu’en réalité je ne souhaitais pas candidater à la candidature, selon l’expression consacrée, j’ai ressenti un énorme soulagement. Parce que tout se mettait en place ; mes pensées, mes émotions et même mes exigences. Quand j’ai commencé à articuler mes raisons, je me suis enfin sentie cohérente. Je savais exactement pourquoi. C’est tout de même ironique de militer chaque jour pour le consentement libre et éclairé, pour fournir à chacun.e les moyens de l’émancipation, et avoir mis tant de temps à le comprendre.
Je ne veux pas d’une fonction parce qu’elle est à prendre. Le statu quo ne me convient pas. Alors après l’avoir fait voler en éclats, j’ai retrouvé un espace mental pour imaginer la suite. Les envies ont afflué, les possibilités de mobilités académiques, professionnelles, familiales et sentimentales. La possibilité de rester aussi. Les centaines d’autres projets. Toutes les autres manières dont le militantisme m’épanouit, toutes les autres manières dont je me sens utile.
La décision s’est forgée autour de cela. L’utilité. Je crois beaucoup en cette maxime qui m’a été inculquée à l’UNEF “tout le monde est indispensable, personne n’est irremplaçable”. Une fois que cela est dit, il y a la notion d’endurance. Je suis capable d’encaisser. Une immense partie des femmes en est capable, celles qui ont choisi de faire de la politique encore plus.
Je pense souvent à une rubrique écrite par Laure Mardoc dans l’un des premiers numéros du journal d’Osez le Féminisme !, elle y expliquait que la parité ne mettait pas de femmes incompétentes au pouvoir. Au contraire, elle permettait à des femmes surcompétentes de l’exercer, surcompétentes qu’elles sont d’avoir réussi à accéder à de telles responsabilités, les chaînes du patriarcat aux pieds. Mais est-ce parce qu’on est capables de le faire, de tenir, qu’il faut poursuivre ? Je détesterais avoir l’impression d’abandonner. Pire encore, d’abandonner quiconque.
Sauf qu’il ne s’agit pas d’aigreur, ou d’épuisement à force d’avoir à me battre. D’avoir à me battre pour avoir le droit de travailler d’ailleurs. Sauf qu’il ne s’agit pas de cela, en tous cas pas seulement. Je suis convaincue d’être plus utile ailleurs. Et ça c’est quelque chose que j’ai ajouté à mon éthique militante personnelle : toujours essayer d’aller là où je suis la plus utile.
Si l’envie ne vient pas, c’est qu’il faut faire autre chose. C’est qu’il faut prendre le temps de penser. C’est qu’il faut activer la dose de courage nécessaire pour casser les carcans. Vivre dans le monde en ayant été capable d’être honnête sur ce que cela fait à soi-même, je crois que c’est la seule manière d’être juste vis à vis des autres. Je rabâche sans cesse la phrase de Virginia Woolf “Toute femme qui dit la vérité sur sa propre vie est une féministe.” Le paradoxe que j’y vois, c’est que dire la vérité sur la survie politique pour les femmes me semble risqué, je risque de dégouter celles que j’aimerais voir s’engager. Sauf qu’il ne s’agit que d’une première étape. Tout le reste est à inventer.
Mes objectifs n’ont pas changé : que cela soit plus simple pour toutes celles à venir après moi. Y compris en assumant la difficulté et le vertige de réinventer des codes qui n’ont pas été faits pour nous et dans lesquels on tente de nous enfermer au quotidien. D’ailleurs je verrai quelles sont les réactions. A quel point le fait de ne pas concourir pour la prochaine étape me sera reproché ? Oh, pas de manière directe. Presque jamais. Mais il y a une manière de marginaliser qui est propre à la concurrence politique.
Je décide de faire autrement, pour me préserver et préserver ainsi les actions collectives dans lesquelles je m’investis. Nous verrons à quel point c’est possible. Je crois que la défense de l’intérêt général mérite qu’on prenne des risques, y compris celui de réinventer le pouvoir. Parce que s’il est exercé sans envie, une envie sincère et profonde de changer les choses, il ne peut être que domination.
Il y a encore beaucoup de choses à en raconter. Mais comme je n’arrête rien, tout est à transmettre. Et bien sûr, toutes les personnes avec lesquelles je milite et plus encore toutes celles que j’ai l’honneur de servir peuvent compter sur moi. A très vite.
“Nous avons des idées concernant l’équité, la justice et l’égalité.
Et nous devons trouver des moyens de les réaliser. Nous n’avons pas de magie. Nous n’avons pas de pouvoirs surnaturels. Et nous ne pouvons pas continuer à recoller les fragments des femmes mises en miettes. Alors ce que je pense, c’est que nous défendre est le moyen le plus accessible de nous guérir. Et je pense qu’il est important de comprendre que nous allons vivre avec une certaine quantité de souffrance pendant la majeure partie de notre vie. Et je pense que, si votre priorité numéro un est de vivre une vie sans souffrance, vous ne pourrez ni vous aider ni aider d’autres femmes. Et je pense que ce qui compte c’est d’être une guerrière.
Et je pense qu’avoir de l’honneur dans la lutte politique est une façon de guérir.”
- Andrea Dworkin