Raphaëlle Rémy-Leleu (avatar)

Raphaëlle Rémy-Leleu

Conseillère de Paris - Militante écoféministe

Abonné·e de Mediapart

14 Billets

0 Édition

Billet de blog 29 mars 2025

Raphaëlle Rémy-Leleu (avatar)

Raphaëlle Rémy-Leleu

Conseillère de Paris - Militante écoféministe

Abonné·e de Mediapart

Protéger et résister face à la bascule fasciste

Notre texte "Protéger et résister : se préparer à la bascule fasciste" se veut une contribution à la stratégie nationale que le parti écologiste doit adopter dans les mois et les années à venir. La question lancinante posée à l’été 2024 ne semble plus occuper tous les esprits. Pourtant, le danger demeure : que ferions nous si demain l’extrême droite gouvernait ?

Raphaëlle Rémy-Leleu (avatar)

Raphaëlle Rémy-Leleu

Conseillère de Paris - Militante écoféministe

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Rédigé dans le cadre du congrès 2025 des Écologistes, notre texte "Protéger et résister : se préparer à la bascule fasciste" se veut une contribution à la stratégie nationale que notre parti doit adopter dans les mois et les années à venir.
Face à l’urgence climatique, à l’aggravation des inégalités mais aussi à la montée d’un fascisme de plus en plus assumé, nous devons poser un constat lucide et construire une réponse à la hauteur de l’ensemble de ces défis qui nous attendent. La question lancinante posée à l’été 2024 ne semble plus occuper tous les esprits. Pourtant, le danger demeure : que ferions-nous si demain l’extrême droite gouvernait ?

Le glissement vers le fascisme, notre nouvelle réalité en 2025

Dans notre quotidien d’élues et de militantes, écologistes et féministes, et plus que jamais depuis ce début d’année 2025, nous constatons que la bascule fasciste n’est plus une menace lointaine : elle est en cours. L’extrême droite, méthodique et organisée, a gangréné les institutions démocratiques, infiltré les milieux économiques, parasité tous les espaces. Avec l’aide de médias qui ont perdu leur neutralité, elle impose désormais ses récits, banalise ses idées et teste ses stratégies sur le terrain. 

Dans les assemblées élues, la stratégie de l’extrême droite repose sur une méthode simple mais redoutablement efficace depuis plusieurs années : la répétition et l’omniprésence. Au sein de l’Assemblée Nationale comme des Conseils régionaux, le Rassemblement National exploite en continue et avec assiduité les arènes démocratiques pour imposer son agenda et marteler sans relâche les mêmes discours - souvent populistes, souvent incohérents - et détournant de plus en plus le vocabulaire progressiste. L’extrême droite sature ainsi l’espace médiatique, et via une guerre d’usure initiée de longue date, épuise les opposant·e·s. Elle parvient ainsi à légitimer des propositions qui, il y a encore quelques années, auraient été jugées inacceptables. Peu à peu, elle normalise des idées qui relèvent pourtant d’une vision autoritaire et réactionnaire de la société, et entraîne avec elle de plus en plus d’élu·e·s de droite bien loin des principes républicains fondamentaux de notre pays.

L’infiltration de milieux économiques, elle, suit une logique différente mais tout aussi dangereuse. Plutôt que d’assumer frontalement son entrisme, l’extrême droite y pénètre par l’influence et l’argent. Des milliardaires comme Pierre-Edouard Stérin ou Vincent Bolloré investissent dans des secteurs stratégiques – médias, éducation, formation professionnelle – avec pour objectif de propager un modèle capitalistique ultralibéral combiné à un fond d’autoritarisme et de nationalisme. Ce projet vise à affaiblir tous les services publics et les mécanismes de solidarité, pour mieux imposer une idéologie du chacun pour soi, avec où l’État est réduit à un rôle sociétal répressif, au profit d’intérêts purement privés.

Nous devons les arrêter avant que ces infiltrations deviennent des structurations, avant que les méthodes violentes et les idées haineuses de l’extrême droite ne finissent d’être acceptées comme un espace acceptable du champ politique.

Et voilà que lors de la dernière journée du 8 mars à Paris, qui aurait dû être exclusivement un moment de mobilisation massive en faveur des droits des femmes, les militantes féministes ont été confrontées à une réalité inquiétante : le collectif réactionnaire Nemesis, qui promeut une idéologie antiféministe et identitaire, était présent, de plus en plus visible et organisé. Ce n’était pas un événement isolé, mais le signe d’une dynamique plus large, où l’extrême droite s’approprie l’espace public, détourne les symboles des luttes de gauche et impose son agenda dans des moments clés du calendrier militant progressiste.

Dix jours plus tard, toujours à Paris, l’évacuation de la Gaîté Lyrique marque un tournant inquiétant Ce qui aurait dû rester un lieu de culture, de dialogue et de création, est devenu le symbole d’une abdication collective face à l’extrême droite. Loin d’assumer un rôle de résistance, une partie du monde culturel et politique a cédé aux rhétoriques racistes qui ciblent, en priorité, les jeunes mineurs isolés. L’obsession de leur expulsion, présentée comme une nécessité impérieuse par les droites extrêmes, a trouvé en Bruno Retailleau un relais zélé et dangereux au ministère de l’Intérieur. Ce basculement idéologique n’a pas seulement permis cette expulsion, il l’a légitimée. Il a transformé en acte banal ce qui aurait dû susciter l’indignation, renforçant l’idée que la fermeté autoritaire serait une réponse acceptable aux crises sociales et humanitaires. Ce jour-là, l’humanisme a fait un terrifiant bond en arrière.

Cette dérive peut sembler inexorable, car elle nous montre que l’extrême droite même sans gouverner, réussit à imposer ses priorités. D’autres appliquent son projet à sa place. En est une parfaite démonstration la loi de simplification actuellement en débat à l'Assemblée Nationale. L’alliance droite et extrême droite a acté en commission, main dans la main, toute une série de propositions que le Rassemblement National porte depuis des années comme par exemple la suppression des Conseils économiques sociaux et environnementaux régionaux,  la suppression des zones à faibles émissions ou encore la suppression du zéro artificialisation nette des sols. L’agenda du Rassemblement National est suivi par ceux qui étaient censés participer au front républicain. Cela ouvre de terrifiantes perspectives sur les mesures que pourrait mettre en place l’extrême droite si elle accédait aux responsabilités. Dans un contexte international dystopique, la vague brune est désormais monstrueuse dans notre pays : il nous faudra du temps et l’énergie collective de l’ensemble des irréductibles humanistes et démocrates pour l’arrêter et la renverser.

Face à cette offensive inédite par son ampleur, les institutions démocratiques doivent apprendre à se protéger.

Déjà des maires partout en France se mobilisent pour lutter sur le terrain contre les groupuscules qui déploient leurs idées nauséabondes (1). 

Déjà des parlementaires, élu·e·s dans les régions, départements, et communes s’organisent pour par exemple renforcer les garde-fous contre la captation des espaces d’influence par l’extrême droite, en particulier dans le financement des médias, des associations et des partis politiques, ou pour que les collectivités locales et les administrations se dotent de mécanismes de vigilance pour ne pas laisser des stratégies de long terme, comme le rachat de médias régionaux ou la privatisation de formations professionnelles, installer durablement un discours d’extrême droite au cœur des nos vies. 

Ces réalités structurent désormais notre quotidien, tant sur le plan personnel que militant. Face à cela, nous les Ecologistes avons fait notre choix : nous serons une force de résistance collective, et un rempart de protection de notre démocratie et du plus grand nombre contre la menace fasciste, par tous les moyens à notre portée. 

Mais pour pouvoir faire cela, il va nous falloir tout d’abord nous poser une question essentielle : comment nous protéger nous-même. 

Ce texte est donc une invitation à ouvrir ce débat crucial sur les moyens à mobiliser dès à présent pour protéger nos militant·e·s, nos idées, nos espaces et nos luttes.

[Le texte ci-dessous est une contribution au congrès des écologistes, les mesures proposées concernent donc le parti Les Ecologistes.]

Protéger et résister : se préparer à la bascule fasciste

“Ainsi commence le fascisme. Il ne dit jamais son nom, il rampe, il flotte. Quand il montre le bout de son nez, on dit : « C’est lui ? Vous croyez ? Il ne faut rien exagérer ! » Et puis un jour, on le prend en pleine face, et il est trop tard pour le repousser.” 

L’incrédulité que décrivait Françoise Giroud est la même que celle qui a surgi suite aux images d’Elon Musk, le bras tendu dans un geste nazi dont il n’ignore rien de la signification. Provocation ? Malentendu ? On frise la naïveté coupable, celle de politiques incapables ou réticent·e·s à reconnaître les signes du fascisme. 

Le réveil peut être brutal. Ce fut le cas pour les militant·e·s en Hongrie ou en Italie. Leur engagement est devenu quasi clandestin :  réunions secrètes, communication cryptée, passage offline. Comment réagirions nous ?

La bascule fasciste c’est l’effondrement des libertés fondamentales, l’instauration d’un régime autoritaire et la répression des oppositions.  En France, les attaques contre le service public, les médias libres et les militant·e·s s’intensifient, laissant entrevoir ce que deviendrait notre démocratie tombée aux mains de l’extrême droite. 

Le travail de Gwendoline Delbos-Corfield et Philippe Lamberts doit nous guider. Leur « stress-test » de l’État de droit a évalué la résistance de nos institutions, de nos mécanismes de contre-pouvoirs face à une extrême droite victorieuse. Nous ne sommes pas prêt·e·s Nos protections sont faibles, alors que les digues politiques s'effondrent les unes après les autres.

Nous devons aborder clairement ce risque dans nos discours et stratégies. Mais aussi nous doter d’outils pour protéger nos idées, notre organisation et nos militant·e·s. Cette préparation nous permettra de ne pas céder à la sidération et de résister de manière efficace. De plus, chaque amélioration pensée pour répondre à la crise permettra de faire progresser notre collectif dès maintenant.

C’est pourquoi nous avons besoin de créer une cellule de crise, politique et opérationnelle. Imaginons qu’une ville française soit touchée par des inondations semblables à celles de Valencia en 2024. Nous aurions à réagir vite et bien pour limiter les dégâts, organiser la solidarité et proposer des réactions politiques adaptées. Cette réactivité, indispensable face aux catastrophes climatiques, est aussi cruciale en cas de bascule fasciste. Sécuriser notre mouvement repose sur quatre axes :

  1. Financier : diversifier les ressources pour limiter les dépendances.
  2. Pratique : sécuriser les personnes (physiquement, psychologiquement, et en ligne), les événements, les locaux.
  3. Immobilier : acquérir des espaces autonomes, difficilement saisissables.
  4. Numérique : généraliser le chiffrement, adopter des pratiques responsables et des outils sûrs.

Enfin, la formation reste un levier clé. Sensibiliser aux dangers de l’extrême droite et partager les bonnes pratiques avec des partenaires du mouvement social forgent les bases d’une résistance collective. 

Par Raphaëlle Rémy-Leleu & Emilie Sarrazin

(1) https://www.streetpress.com/sujet/1742295867-maires-guerre-contre-extreme-droite-radicale-neonazis-neofascistes-rouen-strasbourg-lyon-chambery-tours-toulouse-clermont-ferrand-racisme-violences-groupuscules

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.