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Billet de blog 10 sept. 2019

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Quand les parlementaires débattent du RIC

En février dernier, un débat parlementaire a eu lieu suite à une proposition de loi portée par la France Insoumise sur le RIC. Ce débat est savoureux, car il permet de savoir ce que nos parlementaires savent et disent du RIC. En bon professeur, je me suis permis d'attribuer à leurs propos une note reflétant leur niveau de (mé)connaissance de l’outil, accompagnée d'une évaluation.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je n’avais jamais lu dans le détail le compte rendu du débat entre les Parlementaires membres de la Commission des lois constitutionnelles sur la proposition de loi sur le RIC soumise en janvier par la France Insoumise. Pourtant, le 13 février la Commission s’était réunie, pendant les manifestations des Gilets Jaunes battaient leur plein et que le Grand Débat était en cours. Un petit groupe de 19 Parlementaires avaient échangé leurs arguments, avant de rejeter le texte.

Au gré de la lecture, mes bas instincts de professeur m’ont conduit à soupirer, puis me lamenter sur le faible niveau des élèves – les parlementaires, et enfin à sortir mon stylo rouge pour décerner des notes. Je me suis limité à deux critères d'évaluation :  leur niveau de connaissances (sur le RIC et son fonctionnement) et le respect des règles du jeu parlementaire à savoir l’attitude coopérative, constructive, la disponibilité aux débats et aux échanges d’arguments. Bref, deux qualités à attendre d’une agora parlementaire : des gens compétents qui délibèrent avec sérieux.

Pour m’assurer de ne pas être influencé par leur étiquette, je ne me suis renseigné sur eux qu’après avoir attribué les notes, leur nom ne m’évoquant pas grand-chose.

Voici le bilan général. La moyenne des copies de nos députés est de 6 sur 20. Trois d’entre eux ont cependant fait un excellent travail. Les quatre députés d’En Marche affichent une moyenne de 1 sur 20, qui monte à 1,2 si l’on inclue leur allié du MoDem. Ce qui caractérise leurs interventions est une extrême arrogance couplée d’une ignorance abyssale. Les cancres sont au pouvoir.

Voici le détail des notes, avec mes commentaires. De la meilleure à la pire.

Emmanuelle Ménard (Non Inscrite, 6ème circonscription, Hérault) : 18/20

Très impliquée dans la phase constructive des amendements. Sa position se présente d’emblée comme modérée : favorable au RIC, mais avec des limites. Elle propose 6 amendements, tous sensés: 1. regrouper le référendum législatif et abrogatif, dans un seul article où il est possible d’adopter, modifier ou abroger des lois ; 2. introduire un délai de 5 ans avant qu’un même référendum puisse être resoumis à cette proposition ; 3. opter pour un seuil de déclenchement fixe (500.000 électeurs, soit environ 0,6% du corps électoral), plutôt qu’un pourcentage ; 4. donner un rôle au Conseil Constitutionnel et au Conseil d’Etat dans le processus de contrôle ; 5. limiter le référendum local, pour éviter qu’il soit un outil systématique de l’opposition ; 6. remplacer la procédure proposée de révocation des parlementaires par un droit citoyen à la dissolution de l’Assemblée Nationale. Un bonus pour le fair play : Madame Ménard a retiré un amendement lorsque l’amendement d’un autre député lui a paru meilleur. Un travail excellent, quelque soient nos différences de vue !

Fabrice Brun (Les Républicains, 3ème circonscription, Ardèche) : 17/20

Un travail sérieux également. Dans un esprit qui se revendique gaulliste, il se montre ouvert à rendre le référendum plus accessible. Très investi dans les amendements, il a 4 propositions concrètes : 1. monter à 10% le seuil des signatures (contre 5%) pour révoquer le Président de la République afin de rendre cette révocation exceptionnelle ; 2. supprimer la procédure de convocation assemblée constituante pour laisser la possibilité pour 1% des inscrits d’initier une révision de la constitution. Il cite la Suisse en exemple de cette procédure. 3. pour les RIC législatifs, ajouter un pouvoir de contrôle de la Cour Constitutionnelle sur la validité des signatures et la constitutionnalité de la proposition ; 4. réduire à 1% l’initiative d’un processus abrogatif, mais en exclure les sujets fiscaux et budgétaires. Le tout avec des arguments qui méritent discussion. Un très bon travail a été fait. Félicitations M. Brun !

Bastien Lachaud (France Insoumise, 6ème circonscription, Seine Saint-Denis) : 15/20

Rapporteur, il fait une très bonne présentation du RIC. Dommage qu’il se montre quasi systématiquement défavorable aux propositions d’amendement, même lorsqu’elles sont raisonnables. Quelques lacunes: il ignore qu’un référendum législatif inclue déjà la possibilité d’abroger des lois et que d’autres pays prévoient dans leur Constitution la possibilité de dissoudre l’Assemblée Nationale par un référendum d’initiative citoyenne (la Lettonie et la Slovaquie). Ces lacunes, en soi, ne sont pas très graves, si ce n’est qu’elles donnent lieu à des affirmations péremptoires fausses. De petits péchés d’élu.

Adrien Quatennens (France Insoumise, 1ère circonscription, Nord) : 10/20

Il a le mérite de reclarifier patiemment le rôle de l’initiative citoyenne et du referendum pour ceux qui ne le comprennent pas. Pour le reste, il se borne à affirmer que selon lui la révocation ne sera qu’exceptionnelle, que le peuple n’est pas réactionnaire et qu’il faut aimer le peuple. Pas du haut niveau, mais compte tenu de la qualité du débat, on peut pardonner la superficialité avec laquelle les sujets sont abordés.

Marie-France Lorho (Non-Inscrite, 4ème circonscription, Vaucluse) : 10/20

Des interventions qui arrivent à point nommé, dans la phase des débats sur les amendements, c’est-à-dire lorsque les trolls sont fatigués. Une première question importante pour ouvrir les débats : « Quel sera le rapport de force entre les textes issus d’un référendum d’initiative citoyenne et ceux adoptés par la représentation nationale ? », pour ensuite évoquer une série de craintes qui, compte tenu de ce qu’on sait sur l’usage du RIC, sont sans fondement : le seuil de 2 % de signatures entraînerait des abus, de l’inflation législative, une qualité médiocre des textes et de l’instabilité. En revanche, elle évoque aussi des risques qui peuvent être réels : l’abstentionnisme, le désintérêt dû à trop de référendum et le fait la possibilité de révoquer le Président de la République donne lieu à une campagne permanente de sa part. Un point bonus pour avoir remarqué que la proposition d’Assemblée Constituante produit une tension avec l’article 89 qui n’est pas résolue dans le texte. Remarque judicieuse, comme le sont d’autres demandes de précision sur les règlements de l’assemblée constituante. Cet investissement doit être encouragé, même si un peu plus de travail en amont serait souhaité.

Paul Molac (Groupe Liberté et Territoires, 4ème circonscription, Morbihan) : 8/20

Une entrée en matière sur l’exemple suisse qui, selon lui, marche assez bien. Cet effort pour regarder ailleurs que dans sa propre imagination est salué. Cependant, il suggère que le seuil de 2% (qui est le seuil en Suisse) est trop bas, qu’il faudrait un quorum de 50% de participation (absent en Suisse), ainsi qu’une interdiction sur les sujets constitutionnels (alors que cela est possible en Suisse). Il n’est pas clair pourquoi M. Molac commence par l’exemple suisse pour ensuite proposer des changements qui vont à l’encontre de ce modèle. Des inquiétudes justifiées, notamment sur le RIC révocatoire, tout en critiquant au passage des pétitions qui réclament la révocation d’Emmanuel Macron pour haute trahison (il ignore ainsi qu’on ne révoque plus le Président pour « haute trahison » depuis 12 ans). Quoiqu’il en soit, après sa sortie, on ne l’entend plus.

Marietta Karamanli (Socialiste, 2ème circonscription de la Sarthe) : 7/20

Une intervention ciblée autour d’une mise en garde : le fait que, selon « le droit comparé », le peuple peut faire des choix liberticides et qu’en vertu de cela, il faut empêcher le RIC sur des sujets ayant trait aux droits fondamentaux. Mme Karamanli oublie cependant de préciser que le droit comparé dit aussi que les parlements peuvent également faire des choix liberticides, et ce dans une mesure bien plus importante que le « peuple ». Dommage, parce qu’on pourrait se demander si elle souhaite également limiter les sujets de compétence du Parlement au regard de ce risque. Au-delà de cela, elle demande un quorum de participation, ignorant les effets néfastes attestés qu’il a sur le débat public. Rien de particulièrement choquant, juste de la superficialité habituelle.

Philippe Gosselin (les Républicains, 2ème circonscription, Manche) 6/20

Opposant à la démocratie directe, il revendique l’idée de ne pas donner trop de pouvoir aux citoyens avec un élitisme assumé. Cette affichage n’autorise cependant pas des contresens grossiers. Il confond initiative et référendum : il croit ainsi qu’une pétition peut renverser le principe majoritaire, alors que, précisément, la pétition ne fait que déclencher un référendum qui, lui, le respecte. Cela conduirait à un régime totalement instable qui n’existe que dans son imagination. Son unique intervention a le mérite de n’être pas trop longue, et, pour le reste, il se limite à dire non à tout. Il n’a pas étudié, mais il a l’air d’en avoir conscience.

Mme George Pau-Langevin (Socialiste, 15ème circonscription, Paris) : 6/20

Pour elle, il faut plus de démocratie participative. Donc le RIC c’est non. Plutôt assouplir les conditions du RIP, prévu dans l’article 11. Sa très concise intervention, suivie de votes systématiquement opposés à tous les amendements et propositions démontrent que Mme Pau-Langevin ne voulait pas être là. Cette attitude a au moins permis de ne pas déranger ceux qui s’intéressaient au sujet.

Ugo Bernalicis (France Insoumise, 2ème circonscription du Nord) : 5/20

Un bel effort de rétablir certains faits pour contrer les opposants au RIC. Quel dommage de ne pas sélectionner les bons. Il cite une étude américaine qui montre que, après une délibération entre citoyens, les opinions sur la peine de mort évoluent. Je ne sais pas à quelle étude il se réfère, mais nombre d’entre elles tendent à dire qu’il y a changement d’opinion… en faveur de la peine capitale ! Sa note prendra cependant en compte son effort de citer une étude. Après cette tentative maladroite, il se lance dans une attaque de type « c’est celui qui dit qui est ».

Stéphane Peu (Gauche démocrate et républicaine, 6ème circonscription, Seine Saint-Denis) : 4/20

Après une longue introduction qu’on pourrait qualifier de hors-sujet, Monsieur Peu exprime quelques réserves sur le RIC révocatoire, et les atteintes que le RIC pourrait porter aux droits fondamentaux. Il est dommage qu’ensuite il ne propose aucun amendement ni aucun point de discussion sur les problèmes qu’il a soulevé. Une intervention inutile mais qui a le mérite de la brièveté. 

Michel Zumkeller (Union des démocrates et indépendants, 2ème circonscription, Territoire de Belfort) : 3/20

Comme d’autres avant lui, il ne comprend pas que les pétitionnaires n’ont pas le droit de changer les lois, mais de déclencher des référendums. Comme d’autres avant lui, il s’inquiète de l’instabilité qui résulterait du RIC. Il ne croit pas que le RIC puisse réduire la fracture entre élus et électeurs (fracture « très injuste », selon ses dires, « car les élus sont souvent très dévoués »), mais ce point mériterait d’être appuyé d’arguments. Puis il souligne que la peine de mort ou le mariage pour tous ne seraient pas validés avec le RIC, remarque reçue sous les applaudissements de la salle. En somme, il s’agit d’une suite d’affirmations qui n’ont comme justification que l’aplomb de M. Zumkeller. Un bon point, toutefois :  sa crainte que le RIC révocatoire puisse produire une campagne électorale permanente est, dans certains cas, valide. Deux points en plus pour cette remarque qui n’est pas délirante.

Erwan Balanant (MoDem, 8ème circonscription, Finistère) : 2/20

Une position déclarée en faveur du RIC qui ne l’empêche pas de descendre ce texte pour son manque de sérieux. Le problème est qu’à aucun moment il ne précise ce qui n’est pas sérieux, ni ce qu’il faut faire pour l’être. Il ne dépose aucun amendement, en soulignant que le moment n’est pas venu, puisque le grand débat était en cours, et qu’aucun projet de loi organique n’accompagne ce texte (et alors ?). Bref, M. Balanant sait tout, mais ne dit rien. Cette absence de contenu n’empêche pas de nombreuses approximations. Lorsqu’il fait appel aux « constitutionnalistes sérieux », il ne cite qu’Yves Sintomer qui, bien que sérieux, non seulement n’est pas constitutionaliste mais n’est même pas juriste. Et quand il se lance sur des principes généraux, il parle d’une « une co-construction entre les initiateurs du texte et le Parlement », démontrant ainsi qu’il ignore ce que le RIC est et à quoi il sert. D’où, probablement, le besoin de « prendre son temps ».

Christophe Euzet (La République en Marche, 7ème circonscription, Hérault) : 2/20

Encore une intervention commençant par une attaque sur le manque de sérieux de la proposition. Selon lui, il est inconcevable qu’on puisse voter sur le budget, la fiscalité, les choix redistributifs, les droits acquis et les engagements internationaux d’un pays. Bref, il ignore qu’il qualifie ainsi de « pas sérieux » la Suisse et plusieurs Etats Américains. Un certain conformisme dans l’erreur puisqu’il souligne qu’avec le RIC les pétitions suffisent pour faire des lois et décider ainsi pour tout le monde. Enfin, il considère que le RIC conduit à une société de la défiance (encore une fois, les cas existants disent le contraire). Ce système « pas sérieux » est comparé au très sérieux grand débat (qui ne prévoit pourtant même pas de procédure pour trier les propositions et prendre les décisions). Mais ce qui inquiète particulièrement M. Euzet est que dans des petites communes, les référendums pourraient être déclenchés par une dizaine de personnes. Enfin, il termine avec une tirade jargonnante où il confond la révocabilité permanente et le mandat impératif. Toutes ces âneries sont régulièrement introduites par une volonté de « mise au point », ou de « ce qui mérite débat est… ». Le niveau est lamentable, beaucoup plus de modestie et de travail sont nécessaires.

Alain Tourret (La République en Marche, 6ème circonscription, Calvados) : 1/20

Une intervention qui tire de l’histoire de France une leçon : que le référendum « a toujours été conçu comme un moyen de renforcer un régime autoritaire ». Il faut donc éliminer « la possibilité d’un référendum décisionnel : en dehors des cas prévus par la Constitution, la procédure est trop dangereuse ». Dommage que les connaissances se limitent à l’histoire de France, où aucun RIC n’a jamais eu lieu. On ne peut qu’encourager M. Tourret à apprendre que les régimes démocratiques qui ont duré le plus longtemps, sans jamais avoir eu un tournant autoritaire, sont les pays qui ont le RIC. Bref, un commentaire bâclé suivi de considérations hors sujet qui, manifestement, l’intéressent bien plus.

Sacha Houlié (République en Marche, 2ème circonscription, Vienne) : 1/20

Incapable d’argumenter de façon cohérente, se livre la plupart du temps à des erreurs de raisonnement classiques. Par exemple, il met en avant l’incohérence d’une proposition qui se base sur le référendum – instrument au cœur de la 5ème République - issu d’un groupe qui, pourtant, critique la 5ème République. Il n’y a aucune incohérence à proposer de faire une salade de fruits avec des pommes, même lorsqu’on n’aime pas la tarte aux pommes… Il affirme que le RIC réduit à néant les corps intermédiaires, alors qu’il est attesté qu’il les renforce, en leur offrant un outil important pour faire entendre leurs revendications. Il confond l’initiative et le référendum, en pensant qu’une pétition suffit pour changer la loi, amenant ainsi une instabilité permanente. Le tout, avec force mots ronflants. Après avoir tenu le rôle du troll, il refuse tout en bloc, amendements et propositions des autres membres de la commission.

Arnaud Viala (Les Républicains, 3ème circonscription, Aveyron) : 0/20

Une unique intervention qui part du principe que la démocratie directe vise à supprimer la représentation. Cela révèle non seulement une forte ignorance du sujet, mais aussi la faible capacité d’écoute de M. Viala qui intervient, pourtant, après beaucoup d’autres collègues.

Pierre Morel-À-l’Huissier (Union des démocrates et indépendants, Circonscription de la Lozère) : 0/20

L’intervenant s’interroge : « Quid des incidences budgétaires ? Quid des études d’impact ? Je suis curieux de savoir qui pourrait les réaliser ». C’est déjà fait, monsieur, dans les nombreux pays où le RIC existe. Le propos prend parfois un tour surprenant : « que fait-on après, c’est-à-dire une fois que la loi visée a été abrogée ? » Rien, monsieur. On reste comme avant. Il serait préférable de réviser avant le débat car le débat en commission n’a pas vocation à tenir lieu de formation des élus.

Rémy Rebeyrotte (La République en Marche, 3ème circonscription de Saône-et-Loire) : 0/20

En outre qu’interrompre systématiquement ses collègues avec des invectives, les remarques tombent systématiquement à côté de la question. Selon lui, la proposition réinvente l’eau chaude, parce que la 5ème République prévoit déjà le référendum. Vraisemblablement, il ne sait pas ce que « initiative citoyenne » veut dire. Mettez-vous au travail M. Rebeyrotte !

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