Le référendum d’initiative citoyenne a donné lieu à plusieurs propositions concrètes et sérieuses. Elles ont toutes deux propriétés communes. Premièrement, elles permettent à la majorité des votants – en cas de divergences entre les élus et une portion de la population – de trancher le différend à travers un référendum. Deuxièmement, elles permettent aux citoyens, et non aux élus, de fixer les modalités de cette procédure.
La première exigence implique qu’une portion des citoyens, dont l’étendue peut être discutée, a la possibilité de déclencher un référendum, par exemple, pour annuler la taxe sur les carburants. La proposition ou la contestation d’une politique doit pouvoir aboutir à une votation, capable de trancher tout désaccord. Cela permet notamment d’éviter d’avoir des mois de contestations dans la rue, des conflits inutiles, épuisants et douloureux pour tous.
La deuxième exigence permet à ceux qui n’ont pas le pouvoir – les non-élus – de mieux contrôler les règles du jeu. Toute proposition de RIC doit contenir la possibilité d’être modifiée par ce même RIC et, dans tous les cas, approuvée uniquement par référendum. Cette exigence est très importante car elle ouvre la possibilité aux citoyens d’ajuster la formule pour la rendre meilleure. Par exemple, dès 1914, les électeurs d’Arizona privèrent leurs représentants du droit d’amender ou de supprimer des décisions prises par RIC et ce à travers un RIC.
Selon la presse, le Président, dans son annonce manquée, aurait proposé une simplification de l’article 11 de la constitution portant sur le référendum d’initiative partagée, ainsi que l’introduction d’un RIC local.
Commençons par l’article 11. Les deux exigences ne sont clairement pas remplies puisque (1) Des parlementaires sont nécessaires pour que la procédure aboutisse et (2) un référendum peut être déclenché sur un nombre restreint de sujets, parmi lesquels ne figure pas la modification de l’article 11 lui-même. De plus, cet article a d’autres importantes limites. Il ne peut pas viser l’abrogation d’une loi promulguée depuis moins d’un an (donc, il n’aurait pas été utile pour résoudre pacifiquement la contestation de la hausse du prix du carburant). En outre, dans ses conditions d’application, une pétition ne peut pas être officiellement lancée par les citoyens, mais uniquement par les parlementaires. L’initiative proprement dite, donc, revient aux élus. Enfin, le parlement a son mot à dire sur la proposition, avant que celle-ci soit soumise à référendum, ce qui ne garantit pas que la proposition aboutisse à un référendum telle qu’elle.
Passons maintenant au RIC local. Ici également, aucune des deux exigences n’est remplie. Concernant la première, les compétences des collectivités territoriales sont très restreintes, tout comme leurs budgets. Le nombre de sujets qui peuvent donner lieu à une procédure est très limité et, là encore, cet outil n’aurait pas pu résoudre la crise sociale et politique que nous connaissons depuis le 17 novembre. Deuxièmement, les procédures de décision au niveau local, en France, sont décidées au niveau national. Autrement dit, une commune ou un département ne peuvent pas s’auto-administrer comme elle veut, mais seulement par les moyens que la loi nationale leur met à disposition. Si donc une collectivité désirait un RIC différent que celui proposé par le Président, elle n’aurait aucune possibilité de le modifier.
Afin de comparer ces propositions à ce qui pourrait remplir les exigences d’un RIC satisfaisant, j’en exposerai maintenant la variante la plus simple, qui n’exige la modification partielle d’un seul article de la constitution et qu’on peut trouver dans la page facebook RIC article 89.
Les constitutions se terminent généralement avec l'énoncé de la méthode par laquelle elles peuvent être révisées. La Constitution française ne fait pas exception : l’article 89 – le dernier – énonce les règles nécessaires à sa modification. Cet article, en l’état actuel, dit que les changements de la Constitution doivent être :
- proposés soit par le Président de la République, soit par les parlementaires et
- approuvés soit par référendum, soit par les 3/5e des parlementaires.
La proposition de révision de l’article 89 demande que les changements constitutionnels soient
- proposés par le Président de la République, par les parlementaires ou par 700 000 citoyens et
- approuvésuniquement par référendum.
Cette modification – pourtant bien plus économe que celles proposées par le président et son gouvernement – permet à une portion de la population d’introduire un débat public et un référendum sur toute sorte de sujets. Ainsi, par exemple, cela aurait pu conduire à la proposition d’interdire l’introduction de taxes sur les biens premiers comme les carburants sans un référendum. Quel que soit l’avis de la majorité des votants, cela aurait permis d’éviter la crise sociale et politique que nous avons connu. La première exigence est donc remplie.
En outre, s’agissant de changement constitutionnels, d’autres formes de RIC pourraient être introduites dans la constitution à l’initiative d’une portion de citoyens, y compris pour changer l’article 89 lui-même. Supposons, par exemple, que certains désirent augmenter le seuil de signatures à un million ou le réduire à cinq cent mille. Cela est possible en vertu de ce même article modifié. De même, un RIC capable d’abroger des lois qui déplaisent peut être introduit avec cette procédure.
En comparant les deux propositions, il doit être clair qu’on peut appeler « RIC » des procédures extrêmement différentes. En Russie il y a un RIC de la même famille que ceux proposés par Emmanuel Macron. Depuis sa mise en place dans les années 1990, aucun référendum n’a été déclenché et son existence est purement formelle. Il n’aura pas permis de démocratiser le système russe. En Suisse, en revanche, il y a un RIC proche de celui issu de la modification de l’article 89. Depuis 1995, plus de deux-cent référendums d’initiative citoyenne ont vu le jour au niveau national. Le travail des élus et l’implication des citoyens sont fortement façonnés par cet outil.
Lorsqu’on revendique l’outil suisse et que l’on reçoit l’outil russe, il est impossible de conclure que la proposition faite ait un lien quelconque avec la revendication demandée. Loin d’être un caprice, l’insatisfaction par rapport aux propositions du gouvernement resteront donc parfaitement légitimes.