Merci de toutes vos réactions à mon billet Les yeux pour pleurer... On me dit : "Je ne suis pas d'accord avec tout ce qu'il y a dans ton texte, mais on peut en parler..." C'est ce que je voulais ! Il est temps de prendre la parole pour réinventer la gauche. Il est temps de sortir des intimidations, des lignes maginots construites sur des positions acquises. Il est temps de prendre la parole et il est temps de la donner. Aux habitant-e-s des quartiers, aux syndicalistes, aux artistes, aux abandonné-e-s de l'industrie, aux client-e-s des banques, à toutes celles et tous ceux qui étouffent d'une situation bloquée dans la gauche française. A toutes celles et tous ceux qui fourmillent d'idées, d'énergie mais qui en ont tout simplement marre qu'on se foute de leur gueule - t'es militant, vient aider gratuitement la cause -, et qu'on leur serve la langue de bois des avant-gardes qui se dépensent surtout à vouloir garder leur pré-carré. À toutes celles et tous ceux à qui on explique depuis 1995 et 2005 et 2012 que "Tous ensemble, tous ensemble, ouais, ouais !" Et pourtant... Et pourtant ! C'est bien tous ensemble qu'on peut y arriver.
On me dit : "Ce n'est pas possible..." On me dit : "Ce n'est pas le moment..." On me dit : "Tu travailles pour le PS..." On me dit : "Tu as une dent contre Mélenchon parce que ex-proche et gnagnagna et gnagnagna..." On me dit : "Tu démoralises les troupes..." On me dit : "Il faut attendre les régionales..." etc. etc. Stop. Parlons-en ! Quels sont les espaces de parole aujourd'hui pour que la gauche se réinvente ? Je serai ce samedi à Paris aux Chantiers de l'Espoir (que j'aurais plutôt intitulé "Les Échaffaudages du Maintenant"... ), pour voir, pour entendre, et pour distribuer des papillons du film Howard Zinn de Olivier Azam et Daniel Mermet qui sort dans 70 salles dès le 29 avril grâce aux Mutins de Pangée, aux Films des deux rives et à Là-bas si j'y suis.
La question n'est pas d'être pour ou contre Mélenchon. Lui même n'est pas bien fixé sur la question. Et il montre des signes évidents de fatigue. Mais il est là, et il occupe un espace que lui seul en ce moment peut occuper. Parfois, pris de mélancolie, il confie qu'il voudrait tout arrêter, écrire des romans d'amour. Dans son entourage proche, où il n'y a pratiquement que des groupies, on me dit qu'il n'y aurait personne pour faire le boulot. Ah bon ? Quel manque d'imagination ! J'en connais qui sont prêts à s'avancer dans la lumière et à dire - dru et cru et plus si affinité - leur fait à Bourdin, Cohen, Pujadas ou Aphatie réunis. Mélenchon leur donnera l'espace s'il juge qu'ils tiennent la route.
Il nous faut bien constater, depuis 2012, l'échec d'une stratégie, d'un mode d'organisation (au Parti de Gauche et au Front de Gauche), d'une personnalisation contre-productive, d'une stratégie anti-médias piégée par ceux-là mêmes qu'elle prétend combattre (voir un article dans la revue Regards "Jean-Luc Mélenchon pris en flagrant délit de TF1" ) Il faut bien mettre des mots sur la désolation du paysage politique de la gauche et la montée de l'extrême-droite.
Et pour bâtir du neuf, sans doute faut-il commencer par lever les obstacles.
Le mouvement Podemos l'a compris et Pablo Iglesias explique que la politique n'est pas affaire d'Espace (périmètres des partis, positions à conquérir, fenêtres médiatiques...) mais de Temps. Ignacio Ramonet le rappelait lors de la conférence qu'il a donné mercredi 8 avril à l'initiative des partisans de Podemos Paris et dont je mettrai bientôt les vidéos en ligne. Voir à ce sujet l'article excellent de Renaud Lambert dans Le Monde diplomatique de janvier 2015. Podemos, et SYRIZA d'une autre manière, montrent qu'il ne faut pas forcément suivre le calendrier électoral institué, mais que l'on peut imposer son calendrier, imposer de négocier à ceux qui disent qu'il n'y a pas d'alternative, imposer un mode de communication qui déjoue les stratégies des puissants, créer sa propre télévision (voir l'excellente La Tuerka), etc. etc. C'est aussi de cette manière que Médiapart s'est créé (abonnez-vous !).
Le moment est venu, pour reprendre l'expression célèbre de Lionel Jospin et lui faire faire un pas en avant, de faire "le grand réinventaire". Réinventaire de la gauche dans son ensemble, qui s'est enfoncée peu à peu, à partir de 1983 - et malgré le sursaut de 1997 - dans le trou noir de l'Europe des financiers et du marché. Et qui est au fin fond du bord de la planche savonnée par Hollande, Valls et Macron.
Certains me disent : qui êtes-vous ? C'est vrai ça, hé toi, qui suis-je ? Photographe argentique dans la veine de Bernard Plossu (si ça intéresse c'est par ici www.raymondmacherel.com) Et sinon ? Normalien, la même année que le chouchou de Pierre Carles, Nicolas Demorand et que la chouchoute de Daniel Schneidermann, Judith Bernard. Professeur de Français en ZEP à Aubervilliers pendant 10 ans, en première ligne pour des élèves qui avaient besoin du Malade imaginaire et d'ateliers d'écriture. Et aussi chef de cabinet à la Mairie du 4e quelque temps de Christophe Girard (le vert devenu rose) et de Roman Abreu (l'attaché de presse "classe affaire" de Laurent Fabius). Et, lors de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon, aux côtés du député-candidat à "l'Usine du Front de Gauche". En 2005, j'avais décidé de m'engager politiquement, adhéré à l'association "Pour la République Sociale" en 2007, adhéré au Parti de Gauche dès sa création en 2008, pris la responsabilité de la web-télévision du PG en 2009... Un jour de janvier 2011 à l'Assemblée Nationale - le PG désignait Mélenchon pour être son candidat à la candidature de 2012 et je filmais l'événement - Mélenchon vint me voir : "Raymond, j'ai un débat sur BFMTV contre Marine Le Pen, est-ce que tu pourrais me faire un dvd avec quelques extraits d'émissions pour que je vois comment elle s'y prend la chauve-souris ?" En bon militant, excité par la commande, j'avais passé quinze jours à me fader de la Marine Le Pen sur internet et à visionner toutes ses prestations d'apprentie moustache depuis 2002. Sa gestuelle, ses tactiques rhétoriques, ses faiblesses, les points qu'elle avait marqués contre Dati, les coups qu'elle avait pris contre Copé, et tutti quanti. J'ai pondu au chef une note de huit pages et fourni un dvd d'extraits. Mélenchon - qui n'avait personne auprès de lui qui faisait ce travail - me dit après coup que ces conseils avait été déterminants. Il me demanda derechef de préparer tous ces passages radio et télé, de l'accompagner sur les plateaux, bref de fournir des biscuits à son goût immodéré du ring médiatique. C'est ce qui me permit un soir de juin 2011, d'assister au 20H de Claire Chazal depuis le plateau à TF1 et d'être témoin d'un moment i-nou-bli-a-ble : après le lancement d'un reportage, le Mélenchon attendant ses 4'31 de gloire, la journaliste sortit le miroir et la brosse à cheveux de dessous la table pour se refaire le brushing façon Greta Garbo. Si si, séñor. L'alors candidat des communistes, enfin ! - sous l'oeil amusé des forces de l'esprit mitterrandiennes, j'imagine - décida de m'embaucher. Je n'ai pas chômé, mais l'Humain d'abord, vu de l'intérieur, c'est pas tout à fait comme dans le programme.
Naïvement, je croyais que "l'Usine du Front de Gauche", sous la houlette du général Mélenchon (je ne dis pas Tapioca car les copains vont encore m'accuser de pas être drôle...), allait être "the place to be", le coeur bouillonnant de la gauche, le poumon de la réinvention et des artistes, la ruche des talents qui savent aller plus loin que la seule vague médiatique, la war room de la tactique politique... Et que les communistes présents, Olivier Dartigolles, Laurent Klajnbaum, les autres composantes du FdG, Clémentine Autain, Alain Faradji, Isabelle Lorand... allaient participer de ce bouillonement sous la houlette du dircab Laurent Mafféis, de l'"attachée" de presse Sophia Chikirou, du directeur de campagne François Delapierre, du directeur de la "communicazione" Arnaud Champremier-Trigano. Las, trois fois hélas... A la mi-septembre 2011, ce doux rêve était déjà écroulé. Et "l'Usine", où à l'automne on commençait à cailler parce que le chauffage n'y était pas, se replia sur l'équipe serrée du cabinet. Les éclaireurs communistes étaient rentrés à Fabien. Mélenchon n'occupait pas son bureau. Pour que ça ne reste pas vide - on est "kamikaze" ou on ne l'est pas - j'avais installé mon ordi portable dans la place que je quittais dare-dare quand le chef venait faire un tour. J'ai aimé y travailler avec les camarades, les militants dont certains dormaient là. J'ai aimé être de concert avec l'excellent webmestre du blog du candidat, Jean-François Molins, et nous passions des heures et des heures au téléphone pour ne pas déprimer. J'ai aimé converser avec Isabelle Figoni de la société Pellicam qui a réalisé toute la campagne et les grand meetings de plein air, envers et contre tout. J'ai aimé cotoyer Laurent Mafféis, fidèle d'entre les fidèles, et amateur de bons vins et de films engagés. J'ai aimé conspirer "le grand réinventaire" avec Laurent Klajnbaum, le dircom du PCF.
Il y aurait beaucoup à raconter sur cette campagne, qui a coûté 10 millions d'euros au lieu des 3 millions prévus au départ. Je m'en tiendrai à quatre anecdotes.
Septembre 2011 : Une équipe de joyeux graphistes aborde l'Usine et propose de faire des affiches pour la campagne. Ils viennent de l'école Grapus et des luttes sociales, et sont loin d'être des manches. Parmi eux, Sébastien Marchal (le graphiste du grand réinventaire...) Ils couvrent un mur de l'Usine de leurs propositions. Pour faire cela - des affiches dans la rue et sur facebook et accrochées au ciel - ils demandent 500 euros par tête de pioche. Réponses des lieutenants de la campagne : y'a pas d'argent pour ça. Les graphistes s'en vont. Il paraît que y'avait pas d'argent...
Septembre 2011 : Jean-Luc Mélenchon fait un grand discours à la Fête de l'Humanité. C'est historique ! Un ancien du PS sur la grande scène ! La question qui se pose dans l'équipe de campagne, c'est comment filmer ça pour ne pas être dans la main des communistes. Le dircom Champremier a son plan. Nom de code : opération "websérie". Le cameraman de l'Usine et son ingé son (la même personne en réalité, parce que pas trop de budget...) aura un accès exclusif à la grande scène pour filmer de l'intérieur. J'avais dit à Champremier : ce discours faut le filmer à la Chavez, en se mettant derrière Jean-Luc et pas dans l'axe de la tribune comme tout le monde. T'inquiète ! Surbadgée, l'équipe "websérie" se fait refouler au pied des coulisses par le service d'ordre du PCF : "On ne filme pas". Caramba ! Mais une deuxième équipe travaillait dans l'ombre, hé-hé : Pour ne pas râter ça, avec le camarade Eric Delion de la "Télé de Gauche", on prévoit de monter sur scène coûte que coûte : culotté comme pas deux, Delion monte par devant avec ses deux appareil-photos 5D dont personne ne voit que ce sont des caméras. Il en pose un en contre-plongée en pied de scène et va se poster juste derrière Mélenchon avec le deuxième. Un coup de génie ! Le soir même jusqu'à pas d'heure, Delion et moi nous montons le tout et postons sur internet le petit film de 13'28 suivant :
Octobre 2011 : Une projection est organisée pour la presse à L'Usine. La salle est pleine. Comme il fait plus que froid, on sert du vin et du chocolat chaud aux invités. Les films projetés en grandes pompes sont les deux premiers épisodes de la "websérie" de campagne, "En marche !" Ce concept a été soufflé par Obama lui-même à l'oreille de Champremier-Trigano : une websérie, chérie, ça c'est la révolution ! La campagne sera sur internet ou ne sera pas ! Tu es le Serge Moati du XXIème siècle, coco, vaz-y fonce ! Las, trois fois hélas... Jean-Luc Mélenchon est assis au premier rang et à mesure que les images défilent sur grand écran, sa mine devient toute sombre. Et pourtant ! Dès le printemps 2011, au siège du Parti de Gauche et par sms à Mélenchon, les meilleurs réalisateurs se sont avancés pour faire un film de la campagne. Même Pierre Carles le grand ! Même Raymond Depardon et Alain Cavalier ! Et sa majesté Clint Eastwood himself ! Et Emir Kusturica, qui finit en ce moment son documentaire sur l'uruguayen Pepe Mujica, Le Dernier héros. Intraitable, Mélenchon choisit Arnaud Champremier-Trigano de "Mediascope" et sa "websérie". En marche arrière.
Novembre 2011 : La consigne, c'est qu'il n'y a pas de consigne ! De tous les slogans de la présidentielle 2012, c'est mon préféré. L'idée c'est que la bouillonnement doit partir d'en bas. Enfin, c'est juste une idée, parce que tout reste piloté d'en-haut. Mais je saute dessus. Nous réunissons avec un camarade co-réalisateur huit professionnels de l'image et du son qui acceptent de bénévoler pour la cause. 35 jours de tournages avec 35 intervenants ! Parmi eux Bernard Stiegler, Marie-George Buffet, Roland Gori, Hervé Kempf, Marie-Laure Brival, Nicolas Frize, Gilles Perret, Patrick Viveret, Jacques Rebotier, Corinne Morel-Darleux, Alain Foix, Eric Alt, Gérard Mordillat, Clémentine Autain... Plus de 250 vidéos mises en ligne. Un abécédaire de la gauche radicale et de l'écologie politique. Des contributions politiques sensibles à butiner, si vous pensez que les colères fleurissent. Et vous croyez que "la consigne c'est pas de consigne" a accueilli à bras ouverts, le printemps venu, cette pépite tombée du ciel ? Pas une seule vidéo sur le blog de "Monsieur Mélenchon" et ses 60.000 visiteurs/jours. Remisé à la consigne... Comme cette affaire-là est toujours en ligne, en voici deux pour le plaisir :
Partout - raconte François Astolfi cégétiste du collectif rennais "Les Jours Heureux" -, vous aurez toujours des gens dans les branches prêts à s'agiter à tout vent. Mais ce ne sont pas les branches qui tiennent la société debout. Le moment est venu pour les racines de prendre conscience qu'elles sont des racines. Et de retrouver le sourire.