Les états généraux du cinéma (avec ou sans majuscules) sont lancés. Sans le CNC, ni le ministère de la culture. Ce dernier a informé le collectif qu'il n'y contribuerait pas en 2023 car il enfourchait déjà le tigre des états généraux du droit à l'information. Trop d'états généraux tuent les états généraux. Le CNC ne s'est pas prononcé à ce stade. Sans attendre, l'aristocratie du cinéma, le clergé du cinéma et le tiers-état du cinéma sont réunis, le temps qu'il faudra.
Nous avons plusieurs révolutions sur la planche. Beaucoup nous regarderont de haut et de loin. Il y a ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien, énonce tranquillement celui qui détruit tout. Mais il se pourrait bien qu'ils soient contraints, les soutanes et les monseigneurs, les tartuffes et les poudrés, à une forme de rapprochement. Une mise en commun chaleureuse même car nous, dans le monde de celles et ceux qui fabriquons et diffusons des films, on a le sens du collectif et de la chaleur humaine. Qu'ils s'en aillent tous est un slogan vain et confus. Il faut qu'on s'occupe d'eux, plutôt.

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Qu'est-ce que le cinéma ? Un art, une industrie, orpheline de son histoire et encore balbutiante, ose-t-on espérer. Des rangées de chiffres et de tristes graphiques dans le rapport et la tête du baron Boutonnat. Une petite braise étincelante dans la boîte de Pandore de l'audiovisuel attrape tout. Le cinéma, c'est aussi PACIFICTION d'Albert Serra, 50.000 entrées, distribué sans ciné-débats : « — Tu crois que je suis pas au courant ? — Je crois qu'on s'est pas compris. Je suis là pour te prévenir que nous allons agir. — Tu crois que je sais pas que la Chine, la Russie, les États-Unis... Arrête de me donner des cours de géostratégie ! — La population va se mettre en mouvement. Il y aura des morts. Des blessés. Mais on aura les images à la fin. Du buzz. Des fake news, comme ils disent. — Les gens vivent avec passion. Ils ont des sentiments. Il faut prendre du recul. Prendre des décisions pour le bien du plus grand nombre. — Ils pensent être les maîtres mais c'est ce qu'on leur fait croire. Il suffit d'aller dans leur boîte et d'allumer la lumière. »
Louis Delluc disait : « Un jour la lumière s'est rallumée dans une salle de cinéma et les spectateurs sont restés. » Ils ont parlé, ils se sont écoutés. Ils ont aimé et critiqué le film qu'ils venaient de voir. Ils ont inventé la salle de cinéma comme agora. Nous nous autorisons le droit de rallumer la lumière.
Lors de la journée du 6 janvier 2023 au Centre Pompidou à Paris, la première ayant eu lieu le 6 octobre 2022 à L'Institut du Monde Arabe à Paris, je me suis risqué à deux interventions :
Les états généraux du cinéma sont désormais réunis en groupes de travail. Il y a cinq groupes WhatsApp : 1) EGC1 : Pour une politique culturelle d'envergure au nom de l'« exception cinéma ». 2) EGC2 : Vive la liberté et la liberté de création des auteurs. 3) EGC3 : A la recherche du public perdu : la distribution et l'exploitation au 21ème siècle. 4) EGC4 : L'éducation à l'image et l'éducation culturelle. 5) EGC5 : Le modèle culturel français, l'Europe et le monde.
Le groupe EGC1 s'est réuni pour la première fois lundi 16/01 de 15h à 17h dans un bâtiment de coworking du 10ème arrondissement à Paris. Il y avait là des gens de la production, du montage, de Cannes, du son, des électros, des cinéastes, des chef'op... bref, des personnes de bonnes volonté venant des trois ordres du cinéma : l'aristocratie du cinéma (qui collecte l'avance sur recettes), le clergé du cinéma (qui ne veut surtout pas de l'annulation du Festival de Cannes 2023 dans la déferlante sociale qui vient) et le tiers-états du cinéma, ou les prolétaires du cinéma, qui pensent autrement que par calcul et s'échinent à faire vivre comme ils peuvent l'invention des frères Lumière.
La réunion a été d'une grande civilité. Les questions politiques ont été sagement remisées. La bataille contre la réforme des retraites comme la liquidation progressive de ce qui a été porté par le Conseil National de la Résistance a paru hors-sujet. On ne sait pas bien encore s'il faut "pérenniser" le système ou le "régénérer". Le grand Ogre menace partout d'engloutir l'exception culturelle française. Mais il faudrait négocier avec lui la température de cuisson des enfants du cinéma.
On aurait pu commencer la réunion par regarder un film. Au hasard : GRANDEUR ET DÉCADENCE D'UN PETIT COMMERCE DE CINÉMA de Jean-Luc Godard. Le film est sorti en salles le 24/05/1986 puis a été ressorti le 4/10/2017 par le distributeur Capricci. Il a réuni 1823 spectateurs en première semaine, 821 en deuxième, 269 en 3ème, puis il a disparu. On aurait discuté d'un certain état général de la société qui dure depuis... depuis... et on se serait peut-être dit que le cinéma ne peut pas continuer à vivre hors-sol. Car il y a ceux qui vivent hors-sol et ceux qui voient le sol se dérober. Vous vous souvenez de Jean-Pierre Léaud dans LES 400 COUPS ?
Et on aurait pu résumer le problème actuel du cinéma français ainsi : l'avance sur recettes permettra un jour à Louis Garrel de faire enfin un long-métrage digne de ce nom et non de la publicité sur France-Inter pour les cuisines Mobalpa. Voici le synopsis de son premier long-métrage LES DEUX AMIS : « Mona Dessaint est courtisée par Clément, figurant de cinéma. Mona ne peut se livrer à cet amour car elle porte un secret en elle. Abel, le meilleur ami de Clément, va aider ce dernier à conquérir Mona. » Un suspense haletant, garanti sans plan séquence sur la fabrication des escalopes panées par une femme en détresse. Au bout de plusieurs avances sur recettes (ou non-recettes car la distinction est de plus en plus ténue), Louis Garrel réussira peut-être à faire un long-métrage digne de ce nom. Car lui aussi porte un secret. Et son meilleur ami va l'aider à conquérir l'avance sur recettes.
Dans les états généraux du cinéma, chacun pourrait y aller de sa petite anecdote sur l'ambiance que fait régner le clergé du cinéma sur les fabricants de films tout au long de la chaîne et des chaînes du cinéma. On rendra évidement ces « témoignages » anonymes car la pratique du blacklistage est une joyeuseté répandue dans cette industrie fraternelle, avant et même après Weinstein & Polanski. Les tartuffes sont partout et les bonnes âmes sont parfois démunies. Les prolétaires du cinéma survivent mais pour combien de temps... C'est pareil dans tous les domaines. A l'ouest, il commence à faire sombre. Car nous sommes à l'ouest face au délitement du monde et de la sensibilité humaine... et pourtant... nous sommes ardents et plein de désirs... de cette braise qui ne calcule pas... et nous finirons aussi par sortir à la conquête du pain.
La réunion EGC3 s'est faite en zoom mardi 17/01/2013 de 17h à 19h. Il y avait là des sages et des énervés. Des salariés et des précaires. Des bavards et des silencieux. Pour la recherche du public perdu, il nous faudrait au moins Indiana Jones. Mais ce fut fructueux. Ont été avancés quatre champs où semer des idées nouvelles : le développement des moyens attribués aux séances-événements dans les salles, la refonte du classement Art&Essai, la lutte contre la concentration des salles et les ententes de programmation, la réinvention des modèles de distribution. Nous sèmerons plus tard dans le contre-champ.
Notre époque manque aussi cruellement d'idées à la con. C'est pas rentable, les idées à la con. Mais ça donne du plaisir. Il y a peu, une journée "Recherche & Découverte" était organisée par l'ACRIF (Association des cinémas de recherche d'Île-de-France) et le GNCR (Groupement national des cinémas de recherche) au cinéma le Méliès à Montreuil dirigé de main de maître. Il s'agissait de découvrir des films estampillés « R&D ». J'ai pu découvrir GOUTTE D'OR de Clément Cogitore, un film dans les clous et dans les flous, avec ce qu'il faut de maigre rebondissement scénaristique. Énième regard bourgeois sur un quartier populaire. Eh bien, figurez-vous que personne n'a réussi à dire en quoi ce film était « Recherche & Découverte ». S'agit-il d'un « Art&Essai » en mieux ? Un peu mieux recherché ? Un peu mieux découverte ? L'AFCAE (Association française des cinéma art & essai) ne participait pas. Et on labellise, et on estampille, et on donne de l'argent, beaucoup d'argent, avec des critères qui ne sont jamais énoncés clairement ni publiquement. Quelqu'un à la tribune a quand même osé : « Quand je vois un champ/contre-champ, je me demande si c'est fait comme dans les films depuis toujours ou bien s'il y a une petite recherche. Ça éveille ma curiosité. C'est ça pour moi le R&D. »
Faites vos films, rien ne va plus. Avec un ami des monteurs associés et une amie directrice d'une salle en souffrance, nous imaginons des groupes de travail supplémentaires dans les états généraux toujours à venir du cinéma :
• Groupe ARGENT (ceux qui en ont, ceux qui en donnent, ceux qui investissent, ceux qui en perdent, ceux qui ne voient pas trop la couleur du ruissellement). Nous connaîtrons peut-être enfin les chiffres et les porterons à la connaissance du public. Combien touchent Louis Garrel et ses amis ? Je suggère aux futurs participants de se procurer et de lire le livre éponyme ARGENT de Christophe Hanna aux Éditions Amsterdam.
• Groupe RECHERCHE & DÉCONNADE. Officiellement, il pourrait proposer un nouveau label aux films et aux salles : un label « R&D » mais en plus rigolo. On ressortirait les films de Jacques Rozier, entre mille poilades. Mais les critères seront définis avec sérieux. Et la déconnade débordera hors-champ.
Merci à toutes celles et tous ceux qui entrent en mouvement.
#unmomentsansretour