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Ce jeudi 23 juin au soir, à l’issue d’une manifestation qui a rassemblé à nouveau dans toute la France des centaines de milliers de citoyens opposés à la Loi Travail, François Hollande apparaît sur le plateau de David Pujadas, au JT de France 2. Un peu plus tôt, les dépêches d’agence ont annoncé l’intention du président de s’adresser solennellement au pays.
« Monsieur le président , merci d’avoir choisi France 2. Face à la contestation qui perdure contre la Loi Travail portée par votre ministre Myriam El Kohmri, les Français attendent de vous un geste pour sortir de cette situation de blocage. Les tensions grandissantes risquent chaque jour davantage de paralyser le pays. Dans ce contexte, où des actes terroristes parviennent à nous frapper, et où nous nous devons d’assurer la bonne organisation de l’Euro de football, que proposez-vous pour, j’ai envie de dire, apaiser les choses ? » l’interroge le journaliste.
Le président de la République marque une pause. Son air est grave comme à chaque fois qu’il aura tenté de se hisser à la hauteur de sa fonction. Il lève les yeux vers le journaliste et son regard se tourne vers caméra. Son conseiller en communication Gaspard Gantzer lui a demander de le faire. Il sait que ce moment va décider de son quinquennat tout entier.
« En tant que président de la République, je me dois d’être le garant de l’unité du peuple français. En ces temps où le danger terroriste se fait chaque jour plus pressant... En ces temps où des calamités ont plongé nos compatriotes dans la souffrance et le désarroi... En ces temps où certains voudraient voir basculer notre pays dans la violence et où d’autres s’attaquent aux fondements de notre vie démocratique... Notre pays a besoin d’apaisement, de sécurité et de rassemblement. Les manifestations de ces dernières semaines ont donné lieu à des affrontements et à des débordements inacceptables. Ils nuisent à l’image de la France.
Notre peuple est un grand peuple, capable une fois de plus de dépasser ses divisions. Je porte un esprit de réforme pour le bien de la nation toute entière, conformément aux idéaux européens qui me guident. Je souhaite que notre pays retrouve le chemin de la vitalité democratique, alors même que nous allons entrer dans des périodes de campagne électorale.
Aussi, en conscience, et après consultation du premier ministre et des présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat, j’ai décidé de proposer au peuple français de voter par référendum pour ou contre le projet dit de Loi Travail. Cette consultation aura lieu le dimanche 25 septembre prochain. La question posée aux Français sera simple et sa rédaction sera rendue publique dans les prochains jours. Je souhaite que d’ici là, les Français retrouvent la voie de la raison. Que les débats nécessaires prennent la place des manifestations. Et que le peuple tranche démocratiquement cette question décisive pour son avenir.
La réponse des Français engagera leur destin. Parce qu’il s'agit d'apporter au fondement de notre économie un changement considérable. C’est beaucoup d’adapter notre Code du Travail aux impératifs économiques du XXIème siècle. Adopter ce projet dit de Loi Travail, c'est faire un pas décisif sur le chemin qui doit nous mener au progrès et au maintien de notre rang. Votre réponse, je le répète, va engager le destin de la France. Si je reçois votre soutien, je continuerai, avec votre appui, de faire en sorte quoi qu'il arrive, que le progrès soit développé, l'ordre assuré, l’euro défendu, nos alliances maintenues, la paix sauvegardée, et la France respectée.»
David Pujadas lui-même vient de sentir passer le vent de l’Histoire sur ses petites épaules. C’est un coup de tonnerre, mûrement réfléchi par le président avec ses plus proches conseillers depuis quelques semaines. Comme prévu, l’effet de surprise est total. Il vient de dissoudre en direct ce pauvre Manuel Valls.
Ces derniers jours, la tension était grandissante. Surtout depuis que le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve avait émis l’hypothèse d’une interdiction de la manifestation annoncée par sept organisations syndicales le jeudi 23 juin. Les violences policières qui avaient touché des centaines de manifestants, gazé et flashballé à bout portant, enlevé l’œil de plusieurs et plongé dans le coma l’un d’entre eux victime d’une grenade de désencerclement, faisaient craindre des incidents mortels.
Les arguments d’un pouvoir aux abois pour jeter le discrédit sur le mouvement social dans l’opinion - et sur une CGT associée aux actions terroristes par l’obscène patron du Medef -, ont fini par se retourner les uns après les autres contre lui. Des inondations à l’Euro de football, Manuel Valls avait fait feu de tout bois. Jusqu’à instrumentaliser le drame qui avait laissé un orphelin pourtant à l’abri de l’hôpital Necker, lorsqu’un déséquilibré en cagoule avait attaqué furtivement sa devanture à coups de marteau lors de la manifestation du 14 juin. Chaque opération de communication contre la mobilisation manifestait une fébrilité jusqu’au boutiste du côté de Matignon, incapable d’entendre la colère populaire.
Au soir de l’allocution présidentielle, l’immense succès de la manifestation du 23 juin a été marqué par une image spectaculaire par laquelle David Pujadas a ouvert son JT. L’un des « tyrannosaures » à canons à eau de la police a été soulevé et renversé par une centaine de manifestants aux abords de la place de la Bastille, sans causer heureusement de blessés. L'escalade sans fin dans la violence imposait une décision du président.
Car depuis quatre mois, les opposants à la Loi Travail ont rassemblé des millions de Français dans les cortèges et sur les places. Les Nuit Debout ont essaimé au-delà de Paris, mêlant leurs forces aux initiatives syndicales. Les grèves et les blocages touchent désormais de nombreux secteurs de l’économie, des dépôts de carburant aux incinérateurs d’ordures ménagères. Les sondages eux-mêmes font état d’une très large majorité de français opposés à la Loi Travail.
Sans que personne ne puisse trouver une issue, la situation menaçait d’emporter un président soucieux de s’appuyer sur une dynamique de sortie de crise pour se présenter à nouveau à l'élection présidentielle.
L’arme du référendum lui permet une sortie par le haut dans un contexte de Vème république exsangue. Jouant son va-tout, comme son prédécesseur secoué par Mai 68, François Hollande prend donc le risque de soumettre son projet de Loi Travail au suffrage des Français.
L’Histoire retiendra qu’une fois de plus, le peuple français déterminé et conscient de son devoir d’insurrection, a su contraindre le président d’une République finissante à rouvrir un espace démocratique qui n’est pas prêt de se refermer.