La refondation de l’école a déjà fait l’objet de diverses tentatives dont il souhaitable de tirer des enseignements utiles, et très logiquement celles qui ont été initiées par l’Institut National de la Recherche Pédagogique.
Voici par exemple le contrat ( « la charte ») qui a lié pendant une trentaine d’années les enseignants de plusieurs groupes scolaires, qui s’est préoccupé majoritairement de « la réussite éducative » et qui a engendré une véritable refondation de la fonction enseignante.
Le préambule précise les circonstances et le mode d’élaboration de ce contrat. (Certaines expressions sont « datées »…)
PREAMBULE AU PROJET DE CHARTE
Les commissions Villeneuve de Grenoble (1) qui regroupent en permanence 120 à 150 personnes ont eu, depuis trois mois, une double préoccupation :
- Trouver les bases pour la constitution d’équipes véritablement engagées dans l’expérience ;
- Recherche des conditions favorables à un fonctionnement cohérent du travail en équipe et de la concertation.
Elles ont élaboré un projet de charte définissant les finalités poursuivies et les lignes d’action et d’organisation communes à tous les participants ou particulières aux différents secteurs concernés.
Cette charte a pour objet de servir de base à l’engagement contracté par chacun des participants à l’action éducative entreprise dans la Villeneuve de Grenoble.
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Toute généralisation de ces procédures ne peut être envisagée, pour chacune des professions concernées, avant qu’il soit procédé à une nouvelle définition
- De leur rôle nouveau (au travers d’expériences de ce type) ;
- De leur statut et de leurs conditions de travail (dans le sens d’une valorisation tenant compte du nouveau rôle social)
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(1) C’est le Recteur Maurice Niveau qui a donné le coup d’envoi de ces commissions lors d’une conférence au CRDP.
PROJET DE CHARTE
- 1. PARTIE COMMUNE AUX EDUCATEURS
Toute personne désirant participer au projet éducatif de la Villeneuve de Grenoble adhère aux finalités ci-dessous définies.
1.1. Education
1.1.1. L’éducation constitue une action globale qu’il n’est plus possible de dissocier en secteurs séparés et étanches, en période d’activité et d’arrêt. Elle a pour objectif final d’aider l’enfant ou l’adulte à devenir :
- un être capable de prendre des responsabilités individuelles et collectives, de se prendre en charge, de s’engager dans un processus de formation continue ;
- un être sociable, créatif, pourvu d’esprit critique.
1.1.2. Les éducateurs doivent se concerter pour harmoniser leurs méthodes et leurs objectifs.
1.1.3. Par éducateur, nous entendons tous ceux qui, professionnels ou bénévoles, interviennent à quelque âge que ce soit, dans une perspective de formation et de développement continus, et ceci dans le domaine de :
- l’action sanitaire et sociale
- l’école
- la formation professionnelle
- l’éducation populaire et permanente
- l’action culturelle et les loisirs
1.2. Enseignement
1.2.1. L’enseignement est indissociable de l’éducation. Il doit viser le développement harmonieux des facultés de l’enfant et l’aider à maîtriser les instruments indispensables que constituent les différents langages (oraux, écrits, mathématiques, audiovisuels, esthétiques et corporels). Il doit apporter une aide méthodologique pour l’appropriation du savoir. Il doit être lié à la vie : les activités pédagogiques doivent intégrer l’expérience vécue par l’enfant hors de l’école, dans l’école et dans le groupe-classe.
1.2.2. Cette conception de l’enseignement s’applique également à l’adulte, avec les adaptations nécessaires dans le cadre de la formation continue.
1.2.3. La poursuite de ces finalités générales implique une lutte continue contre les handicaps divers qui constituent à eux seuls une sélection de fait.
1.3. Lutte contre les handicaps socioculturels
La levée des handicaps rencontrés par les enfants des couches défavorisées de la population et l’élévation générale du potentiel de développement sont des objectifs majeurs à poursuivre tout au long de la vie de chaque individu et, en particulier, dans la période décisive de la petite enfance.
1.4. Lutte contre les carences affectives
1.4.1. La prévention et la thérapie des carences affectives impliquent une action continue en direction des parents ou futurs parents, un dialogue permanent (collectif ou individuel) avec ceux-ci, et nécessairement une collaboration assidue entre éducateurs, psychologues, médecins, travailleurs sociaux, etc…
1.4.2. Cette action globale vise à éliminer l’échec scolaire, à réduire l’inadaptation à la vie sociale.
1.5. La poursuite des finalités implique :
- Le décloisonnement et la concertation à tous les niveaux
- L’institution d’un travail en équipe systématique
Ces méthodes de travail sont suffisamment inhabituelles pour exiger une action persévérante de mise en œuvre.
Elles constituent en elles-mêmes des objectifs primordiaux dans la première phase de l’opération.
1.5.1. Travail en équipe
Le travail en équipe constitue une règle essentielle à laquelle tout professionnel ou bénévole participant à l’action éducative, est tenu. Ses modalités d’application sont à définir par les intéressés, compte-tenu des situations particulières à chaque domaine d’action.
1.5.2. Décloisonnement et concertation
Quel que soit son statut, professionnel ou bénévole, représentant d’usager, parent, animateur, moniteur, travailleur social, etc…, tout participant s’engage à opérer les décloisonnements indispensables à la mise en œuvre d’une politique générale commune, et à participer aux concertations qui s’avéreront nécessaires pour que, dans son secteur, les finalités poursuivies soient atteintes.
1.6. Tout acte de candidature constitue un acte d’approbation globale des finalités et objectifs ci-dessus définis.
1.7. Pour des raisons évidentes, la présente charte devra être réexaminée par les équipes constituées sans qu’il soit pour autant possible d’en modifier l’esprit.
- 2. VOLET PARTICULIER A L’EDUCATION NATIONALE
2.1 Travail en équipe
2.1.1. Selon l’organisation propre à chaque type d’établissement, les enseignants pratiquent le travail en équipe par niveau, discipline, inter-niveau ou interdisciplinaire. Ils participent avec les différents personnels associés à leur action, aux réunions de synthèse portant sur les enfants, sur la gestion et la politique de l’établissement. Ils organisent leur participation aux différentes concertations avec les autres établissements scolaires de la Villeneuve, les parents, les travailleurs sociaux.
2.1.2. Les équipes sont majeures et responsables dans leur action pédagogique et éducative. Elles effectuent le contrôle continu de l’adéquation entre les objectifs fixés et la pratique dans des réunions au niveau de chaque établissement ou de l’ensemble des établissements Villeneuve.
Elles travaillent en collaboration étroite avec la recherche pédagogique et universitaire et les responsables hiérarchiques (dans la mesure de leur disponibilité).
2.1.3. Dans cet esprit, la direction et la gestion des établissements sont assurées par les responsables en titre selon les décisions de l’équipe, élargie aux enfants et aux parents, dans le respect des finalités définies.
2.2. Action pédagogique
2.2.1. La prise en charge de son travail par l’enfant est un objectif essentiel.
2.2.2. Elle implique le développement préalable des appétences, la motivation et l’intérêt du travail, l’adoption d’une pédagogie de la réussite, l’établissement de relations basées sur le dialogue et le respect de l’enfant, excluant le rapport d’autorité sous ses différentes formes (arbitraire, paternalisme ou par personne interposée).
2.2.3. Le travail autonome de l’enfant est recherché en utilisant pleinement les équipements, en particulier le centre de documentation et la bibliothèque.
2.3. Une pédagogie de la réussite exige une école adaptée à l’enfant, respectant ses besoins, ses rythmes, son histoire personnelle, et apportant les soutiens et les moyens nécessaires au meilleur développement de chacun. (La collaboration des enseignants, psychologues, assistantes sociales, parents, prend tout son effet, ici en particulier).
2.3.1. Elle exige également une prise en considération attentive des phénomènes de groupe, qui conduit logiquement à une élaboration par le groupe enfants-maître des institutions régissant la classe.
2.3.2. La notion de redoublement est à exclure a priori (sauf décision contraire prise en réunion de synthèse). Dans les mêmes conditions, les enfants nouveaux venus seront mis automatiquement dans la classe de leur âge.
2.4. L’action pédagogique doit tenir compte du contexte sans être paralysée par celui-ci.
2.4.1. Des jalons et des étapes doivent être définis. Ils permettront de repérer l’évolution de l’enfant dans le domaine proprement scolaire, et tenir compte des besoins possibles de réinsertion dans le secteur traditionnel.
2.4.2. L’obsession des contrôles, les notations et comparaisons, l’utilisation des stimulants artificiels (punitions et récompenses) sont exclus.
2.5. L’enseignant qui est plus avancé que l’enfant dans la recherche et la possession des connaissances indispensables à l’analyse du réel, encourage l’expression par l’enfant de sa propre perception du monde. C’est dans la confrontation et en fonction des besoins qu’il favorise l’accès au savoir.
2.6. Les enseignants sont les techniciens de la pédagogie. Ils n’en font pas cependant un domaine réservé. L’équipe qu’ils constituent avec les autres éducateurs s’efforce de collaborer avec les enfants et les parents pour l’élaboration des formes et des moyens de l’activité pédagogique et, dans la mesure du possible, des objectifs.
2.7. L’organisation scolaire doit assurer la continuité :
- Entre l’école maternelle et l’école élémentaire
- Entre l’école élémentaire et le CES
- Entre le CES et les études ultérieures
2.7.1. Les enseignants de grande section maternelle suivent les enfants à l’école élémentaire et assurent la continuité méthodologique pendant toute la période d’apprentissage de la lecture (qui peut englober le CE1).
2.7.2. Les maîtres et l’organisation matérielle des cours moyens établissent la transition avec le mode de vie du CES. Le CES est organisé en groupes de niveau (ou différenciés) en ce qui concerne une partie des disciplines instrumentales (français, math, langues). Chaque enfant reçoit ainsi les soutiens ou trouve les possibilités de prolongement.
2.7.3. Dans les autres activités, les enfants sont brassés de manière à éviter toute ségrégation et donc à favoriser les échanges enrichissants.
2.8. Lutte contre les handicaps socioculturels
2.8.1. Il convient de pallier les insuffisances et d’augmenter le niveau général. Une intervention doit se faire dans la période décisive, c'est-à-dire la petite enfance. Ceci suppose une action éducative en direction des parents mais aussi la révision du rôle des institutions qui concernent cette période (placement à domicile, crèches, jardins d’enfants, écoles maternelles).
2.8.2. La priorité à la construction du langage, à l’expression et à la créativité doit être absolue dans le secteur de la petite enfance mais aussi tout au long de la vie ainsi qu’en témoignent aussi bien les conclusions des recherches effectuées dans le premier secteur que les expériences de formation des adultes.
2.8.3. Le décloisonnement des disciplines scolaires et la revalorisation des activités négligées (éducation physique, artistique, « éveil », etc.) que vise la notion du « tiers temps pédagogique » viennent apporter un encouragement officiel à l’idée d’élévation du niveau culturel et à l’intégration instruction-éducation. La notion d’ « école ouverte » va dans le même sens de décloisonnement, d’ouverture à la vie, à la réalité.
2.9. Lutte contre les aliénations affectives.
Le remède aux difficultés affectives passe par la connaissance des enfants, la liaison étroite avec les parents (contenue également dans la notion d’ « école ouverte »), l’intervention des médecins, psychologues, du groupe classe, de la dynamique duquel les enseignants doivent être avertis.
Ainsi, de 1972 à 2002, des équipes d’enseignants volontaires ont pu explorer les possibilités et constater l’intérêt de la « coéducation », transformer les rapports maître-élèves, enfants-enfants ( entraide mutuelle, coopération), organiser et exploiter les BCD ( Bibliothèque Centre Documentaire), transformer le rapport des enfants aux savoirs par l’ouverture de l’école sur leur environnement social et matériel, mettre en œuvre (en précurseurs) les cycles, les classes multi-âges. En 1978, un groupe d’Inspecteurs Généraux conduits par le doyen Géminard ont considéré après un long travail d’observation et de rencontres, que l’expérience était globalement positive et souhaité qu’elle joue un rôle de laboratoire. De même, en 1983 , un Inspecteur d’Académie exceptionnellement favorable, M. Jean-Marie Laureau, a pu déclarer : « Les écoles expérimentales de la Villeneuve approfondissent avec l’ INRP, dans le cadre de nouvelles recherches, des orientations indispensables aux projets futurs (…) Puisse cette action dynamique et féconde se poursuivre au profit des élèves et de notre système éducatif. » Il notait également « gage de rayonnement et d’efficacité, bien des instituteurs, formés dans le secteur expérimental de la Villeneuve (2), apportent maintenant leur contribution à la rénovation pédagogique dans de nombreuses écoles du département de l’Isère. ». Malheureusement, ses successeurs n’ont pas partagé sont intérêt pour la refondation entreprise et n’ont eu de cesse de normaliser le fonctionnement de ces écoles, notamment en rendant difficile le renouvellement des équipes pédagogiques.
Enseignements pouvant être tirés de cette réalisation.
Alors qu’un nombre sans doute important d’enseignants ( si l’on en croit l’Appel de Bobigny) aimeraient pouvoir se lancer dans des projets réellement innovants, alors qu’il existe plus de 50 « Villes Educatrices » qui souhaitent voir les écoles jouer un rôle actif dans leur projet éducatif global, il devrait être possible de multiplier de manière significative des innovations pouvant contribuer très concrètement à la refondation souhaitée.
« L’expérience » de la Villeneuve de Grenoble en témoigne. On pourrait aussi citer le cas plus ancien des écoles expérimentales du XXème arrondissement de Paris (l’école Vitruve vient de fêter ses 40 ans d’existence et de succès éducatif et pédagogique).
L’obstacle principal à surmonter réside dans les règles administratives et syndicales qui rendent impossible la constitution d’équipes de volontaires. Il faudrait donc trouver des solutions acceptables qui pourraient passer par le développement d’un vaste secteur expérimental avec les moyens institutionnels pour assurer la coordination et l’évaluation de chacun des projets locaux considérés comme des « recherche-action ».
Les rédacteurs de ce texte sont pour la plupart des anciens enseignants de la Villeneuve de Grenoble ( et de l’école Vitruve). Ils sont également contributeurs du pacte éducatif pour une Société Educatrice Décentralisée. www.pacte-educatif.org
(2) Le secteur expérimental était constitué de 5 groupes scolaires et d’un collège.