Épilogue à la mort de Jean Pormanove
Les articles que nous avons pu consulter sur Mediapart et ailleurs ont mis en accusation, tour à tour, les dérives du capitalisme, les défaillances des institutions (ARCOM) ou des personnes chargées de les interpeller (ministre), le cirque médiatique à la recherche du spectaculaire, le validisme, l’emprise du groupe sur un homme fragilisé par la précarité, la recherche désespérée d’amour de ce dernier auprès du public et de ses « amis » du Live, fut-ce en exposant sa souffrance. Et c’est très bien : une approche multifactorielle n’est pas de trop pour tenter de comprendre l’inconcevable. Nous savons aujourd’hui que ce ne sont pas les coups qui ont entraîné la mort ; mais cette spirale involutive l’a possiblement favorisée, et elle est en elle-même problématique au regard des droits humains ; il reste donc pertinent de s’interroger. Nous voudrions dans ce qui suit, mettre l’accent sur deux points aveugles de ces analyses : le « Mal » en tant que dimension constitutive de l’Humanité ; la souffrance et son spectacle comme recherche de consistance dans un monde dématérialisé par les Nouvelles Technologies.
Freud (1920/1927 ; 1930/1943) a postulé une « pulsion de mort », dont l’intentionnalité serait la destruction, et qui animerait jusqu’à notre destin d’humains, puisque tout être qui naît est un futur mort ; celle-ci partage avec la « pulsion de vie », qui pousse au rapprochement et à la construction, la détermination de la trajectoire de chacun. Bergeret (1984) peut paraître plus optimiste : il modélise une « violence fondamentale », qui n’est pas en elle-même destructrice, du moins dans l’intention, puisqu’elle sert à notre survie (chasser des proies, se défendre des ennemis) ou, tout simplement, à l’affirmation de notre existence ; mais elle peut le devenir si elle s’intrique à d’autres pulsions comme l’emprise pour donner le sadisme (sentiment de toute-puissance quand, malgré la souffrance infligée, l’autre ne peut se défendre). Anzieu (2012), quant à lui, montre que la destruction est une condition de la création (d’autre chose).
La souffrance fait partie des épreuves de réalité. Judas exige de toucher les plaies du Christ. Le langage courant dit : « On se pince », pour se convaincre que quelque chose est réel. Nos contemporains sont de plus en plus privés d’expériences sensibles car nous manipulons, dès l’enfance, des images et des données numériques au lieu de matériaux concrets. Il en résulte, à force, un sentiment de déréalisation par rapport à notre environnement, et de dépersonnalisation, auquel il nous faut porter remède. La violence est une réponse possible à ce besoin de rétablir l’intensité.
Quel est l’intérêt de ces remarques complémentaires ? Certes pas de dédouaner ceux qui font de l’argent ou tirent leur plaisir à vivre en exploitant les forces potentiellement destructrices de l’Humanité. Mais elles leur préexistent et il convient d’échapper à un rousseauisme qui considérerait que l’homme est naturellement bon, et qu’il est perverti par la société, comme si celle-ci n’était pas d’essence humaine. Reste que la société dans laquelle nous vivons nous propose plus ou moins d’opportunités de sublimation, c’est à dire d’orienter nos pulsions (initialement sexuelles, mais aussi agressives) vers des objets et des buts exaltants pour l’individu et éclairants pour le collectif : on ne peut que déplorer la disparition des « grands récits » et de la présence au monde au profit d’un mimétisme vis à vis d’images standardisées véhiculées par des écrans. La réalité nous échappe, la nôtre et celle de l’Autre, condition de l’empathie.
Bibliographie
Anzieu, D. (2012). Créer, détruire. Le travail psychique créateur. Dunod.
Bergeret, J. (1984). La violence fondamentale. L’inépuisable Œdipe. Dunod.
Freud, S. (1920/1927). Au-delà du principe de plaisir. Payot. (Ouvrage original publié en 1920).
Freud, S. (1930/1943). Malaise dans la civilisation (Ch. & J. Odier,Trad.). Revue française de psychanalyse, 7 (4), pp. 692-769. (Ouvrage original publié en 1930).