« L’Ecole inclusive et de la diversité » un slogan fédérateur
Comme le souligne Philippe Watrelot[1], il manque un slogan à cette refondation, c’est le signe d’un déficit idéologique. Pour faire face à l'augmentation des inégalités et des échecs, celui de "l'Ecole inclusive", inscrit dans l'article 1er du code de l'Education, est fédérateur. Encore faut-il s'entendre sur le périmètre du concept ; s'il n'est pas vraiment repris, c'est probablement parce qu'il ne concerne que des publics particuliers, ceux du handicap, des primo-arrivants, des élèves précoces... Pour lui donner toute sa légitimité et son caractère opératoire, il reste à l'élargir à la question de la diversité culturelle; cela permettrait que la xénophobie (à l'égard d'immigrés, de migrants...), les racismes, le radicalisme islamiste, le complotisme ... soient traités à leur mesure.
A noter que sur cette question de la "diversité", l'Education Nationale est en retard par rapport aux médias et aux entreprises: le concept a été officialisé après les révoltes urbaines de 2005[2]. Les activités périscolaires dans le premier degré et l’enseignement moral et civique (EMC) apparaissent comme des cadres naturels de formalisation de ce concept véhiculé par la société civile depuis une décennie au moyen de démarches interculturelles de divers ordres. La crise du travail, qui touche en premier lieu les jeunes d’origine immigrée mais aussi de territoires ruraux, est une occasion également de rechercher des voies de professionnalisation spécifiques, à partir des ressources humaines régionales et non européennes. Sur l’exemple réussi de l’enseignement du chinois, par exemple.
Une "Ecole de la diversité" est une Ecole qui donne à la communauté éducative les moyens d'inverser les termes populistes du débat, en réhabilitant et en positivant les relations inter-communautaires, sous les formes de l'interculturel, de l'éducation à l'altérité[3]... Ce concept s'avère un prolongement nécessaire de la question laïque, et évite que celle-ci ne soit récupérée par les ethno-nationalistes, dont ceux du FN, qui souhaitent en rester à une approche assimilationniste de l'Ecole, encore marquée de colonialité. De toute manière, la laïcité, même "ouverte" ou "inclusive", ne peut régler les questions d'harmonisation linguistico-culturelle, cela dépasse son champ d'intervention, lié au départ aux relations avec les sphères religieuses.
Le déficit actuel de réflexion sur l'harmonisation des relations inter-communautaires explique en grande partie le raidissement centraliste-autoritaire de l'Ecole et de l'Etat d'une manière générale, Etat impérial, il faut le rappeler. A la violence symbolique ou physique de l’Etat, répond la violence au quotidien à l'Ecole, subie par tous les acteurs, singulièrement dans les établissements des quartiers populaires. Mais pas seulement, preuve que les paramètres actuels ne suffisent plus à cadrer, en matière de contrat social et scolaire. La lutte contre les discriminations, de quelque nature qu’elles soient (d’origine, de genre…), s’avère un objectif émergent d’importance, dans une Ecole et une société en butte aux déterminismes, aux logiques de domination et à l’individualisme atomisant qui en résulte.
« Garantir dans le respect de la laïcité le Droit à l’éducation pour chacun et pour tous et donc l’équité dans l’accès à l’éducation et la formation ; refuser toute discrimination, en dépassant le droit formel à l’égalité des chances. » C’est le premier des cinq objectifs prioritaires de l’appel de Bobigny (2010)[4]
De même que les questions inter-communautaires ne peuvent être traitées suffisamment par une approche laïque, de même l'avenir des langues, anciennes, régionales, européennes (allemand), internationale (arabe..) relève d'une politique éducative générale, faisant intervenir des rapports de force à l'échelle géo-politique et de ce qui est communément appelé l'"économie de la connaissance" (ou "capitalisme cognitif"). A ce titre, certaines langues font partie de champs disciplinaires discriminés car insuffisamment rentables et compétentiels aux yeux d'un certain marché. De l'intérêt de les défendre au nom d'un principe d'équité, voire de "démocratie cognitive".
Diversification (pour les publics) et démocratisation (pour la communauté éducative) vont de pair, dans le sens où il s'agit de favoriser des dynamiques de groupe, d'assouplir les rouages d'une vieille machine grippée par trop d'immobilismes. Dans ce sens, le slogan "L'élève au centre des apprentissages" est daté historiquement (réforme de 1989), dans la mesure où il correspond à un paramètre individualisant bien sûr émancipateur, mais insuffisant actuellement pour gérer les flux collectifs générés par les réseaux sociaux, les médias à une échelle internationale, en fait mondialisée.
« Le 21e siècle devra aussi être celui de la réconciliation entre perspectives individuelles et collectives, entre épanouissement personnel et intérêt général, entre diversité culturelle et unité, celui du renforcement de la démocratie et de la construction d’une société du mieux être, du mieux vivre. »[5]
De la responsabilisation de la communauté éducative
Les responsabilités du ministère sont engagées dans les limites avérées de la refondation, son peu d'impact dans l'opinion. La communauté éducative pourrait également procéder à un examen de conscience, un exemple étant le dissensus alimenté à propos de la réforme des collèges. S'il est heureux que la part pédagogique soit prise en compte à travers les EPI (Enseignements pratiques interdisciplinaires) par exemple, il serait charitable de reconnaître aux autres composantes du système leurs prérogatives propres, notamment disciplinaires[6]. Redonner ses titres de noblesse à l'Education Nationale nécessite de sortir des logiques de chapelle et des divisions internes, incompréhensibles pour l'opinion, entre spécialistes et militants des différentes approches, pédagogique, didactique, syndicale. Sachant que le pouvoir aura toujours tendance à valoriser un '"camp" ou un autre, en fonction des circonstances ("diviser pour régner").
Une même démarche d'ouverture serait intéressante à cultiver entre les catégories, souvent enfermées dans des logiques corporatives[7]. Le dissensus précité pourrait être dilué avec l'aide de représentants des Espé. Ceux-ci se sont justement fait entendre sur les enjeux institutionnels ; il reste à opérer des synthèses opératives au niveau de la politique éducative. C’est aux ESPE au CNIRE injustement mis à l'ombre que de faire remonter et de théoriser les expérimentations du terrain. Le danger de l'empirisme et du nivellement par le bas est réel, concernant la mise en place des EPI en collège. La formation continuée y trouverait là un mode de réhabilitation.
« Pendant que les trois ministres de la Refondation se réjouiront, se satisferont des mesures qu’ils ont prises pour la Refondation, le Conseil national de l’innovation et de la réussite éducative – dit le CNIRÉ – se meurt dans la plus grande indifférence de la ministre de l'Education nationale et de son cabinet.
Le Conseil avait été installé le 19 avril 2013 en présence de Vincent Peillon et de George Pau-Langevin qui ne sera pas présente à l’ouverture de ces journées au côté des trois ministres, bien que ministre déléguée à la réussite éducative à l'époque. L'innovation et la réussite éducative ne sont vraiment plus à l'ordre du jour ! »[8]
La promotion d’une intelligence collective progressiste est d’autant plus importante que le capitalisme cognitif mise quant à lui sur l’accélération exponentielle des innovations à base techno-scientifique véhiculées par le numérique, et qui menacent les fondamentaux civilisationnels des nations[9]. De l’urgence, dans le champ des sciences sociales, de didactiser une formation et un enseignement dignes de ce nom dans les domaines de l’anthropologie culturelle et de la géo-politique, notamment. Ces nouveaux éléments programmatiques et de méthode contribueraient au rayonnement des valeurs républicaines, face aux obscurantismes réactionnels: pourquoi les principes d’égalité et de fraternité s’arrêteraient-elles aux frontières du pays par exemple ? De par sa mission de transformation socio-culturelle, il incombe à l’institution éducative de lever le voile sur les politiques d’Etat criminelles ou fautives à l’encontre d’autres peuples (voir le nécolonialisme françafricain par exemple).
Et pour en revenir à la réforme des collèges, comment recoller des morceaux pour une synthèse acceptable pour un plus grand nombre[10]? Pourquoi pas par l'organisation d'une table-ronde entre des représentants des secteurs concernés: pédagogues, défenseurs des disciplines, syndicalistes défenseurs des libertés professionnelles...?
Martine Boudet
[1] Philippe Watrelot, série de trois billets : 1ère partie : À la recherche du slogan perdu...
http://philippe-watrelot.blogspot.fr/2016/04/bilan-de-la-refondation-de-lecole-la.html
2ème partie : fidèle aux postes ?
http://philippe-watrelot.blogspot.fr/2016/04/bilan-de-la-refondation-de-lecole-2eme.html
3ème partie : est-ce que ça va mieux?
http://philippe-watrelot.blogspot.fr/2016/04/bilan-de-la-refondation-de-lecole-3eme.html
[2] http://www.csa.fr/Television/Le-suivi-des-programmes/La-representation-de-la-diversite/La-diversite-a-la-television/L-observatoire-de-la-Diversite
http://www.charte-diversite.com/
[3] Collectif Refondation Ecole, L’Ecole doit contribuer à apaiser les conflits et favoriser le dialogue des cultures (tribune Mediapart) http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/121015/l-ecole-doit-contribuer-apaiser-les-conflits-et-favoriser-le-dialogue-des-c
[4] Appel de Bobigny (p 5, octobre 2010) http://www.laligue.org/wp-content/uploads/2013/09/appel_bobigny.pdf
[5] Appel de Bobigny (p 3, octobre 2010) http://www.laligue.org/wp-content/uploads/2013/09/appel_bobigny.pdf
[6] Par exemple, le sous-titre de ce communiqué du CAPE est abusif, non argumenté au demeurant.
http://www.francas.asso.fr/__C1256C0C002FE1A0.nsf/0/59E51FE292179611C1257E3B0026836E?OpenDocument
Refonder l'École c'est engager la réforme du collège ! Ou quand les questions du latin et du grec ne sauraient masquer les véritables enjeux !
[7] Philippe Meirieu : Autonomie des établissements : de quoi parle-t-on ? (Café Pédagogique)
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2016/05/20052016Article635993256223012388.aspx
[8] Catherine Chabrun, L’innovation, persona non grata de la Refondation (Blog Mediapart)
https://blogs.mediapart.fr/catherine-chabrun/blog/280416/l-innovation-persona-non-grata-de-la-refondation
[9] Bernard Stiegler, Dans la disruption-Comment ne pas devenir fou ? (Les liens qui libèrent, 2016)
https://www.leslibraires.fr/livre/8971355-dans-la-disruption-comment-ne-pas-devenir-fou--bernard-stiegler-editions-les-liens-qui-liberent
Pourquoi notre monde est-il en train de devenir fou ? Bernard Stiegler commet ici son livre fondamental sur les ressorts d’une société qui a vendu le souci d’humanisation au diable d’une technologie aveugle. Avec la connexion planétaire des ordinateurs, des smartphones et des foules que tout cela forme, les organisations sociales et les individus qui tentent de s’approprier l’évolution foudroyante de la technologie arrivent toujours trop tard – à tel point qu’elles sont à présent au bord de l’effondrement. C’est ce que l’on appelle la disruption. Cette immense puissance installe un immense sentiment d’impuissance qui rend fou.
[10] Collectif Refondation Ecole : Réforme des collèges: il faut renouer le dialogue (Tribune Mediapart, janvier 2016)
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/250116/reforme-des-colleges-il-faut-renouer-le-dialogue