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Billet de blog 5 mars 2015

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TVA sur les livres électroniques : la Cour de justice européenne renvoie la balle aux Etats-membres

Résumé : dans un arrêt hésitant et sans audace, la Cour dit que la directive TVA de 2006 ne permet pas d'appliquer un taux réduit de TVA aux livres électroniques. La raison en est que le texte de cette directive ne dit pas, de façon "non équivoque", que le taux réduit de TVA est applicable aux livres électroniques. C'est aux Etats de le dire clairement, pas à la Cour.La position de la Cour était attendue : un « livre électronique » est-il un « livre », et à ce titre là, peut-il bénéficier de la TVA à taux réduit applicable au « livre » ? L’arrêt est arrivé aujourd’hui, 5 mars 2015.

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Résumé : dans un arrêt hésitant et sans audace, la Cour dit que la directive TVA de 2006 ne permet pas d'appliquer un taux réduit de TVA aux livres électroniques. La raison en est que le texte de cette directive ne dit pas, de façon "non équivoque", que le taux réduit de TVA est applicable aux livres électroniques. C'est aux Etats de le dire clairement, pas à la Cour.

La position de la Cour était attendue : un « livre électronique » est-il un « livre », et à ce titre là, peut-il bénéficier de la TVA à taux réduit applicable au « livre » ? L’arrêt est arrivé aujourd’hui, 5 mars 2015.

La Cour ne s’y pose pas la question de ce savoir ce qu’est un « livre ». La Cour ne se pose pas, non plus, la question de savoir ce qu’est un livre électronique. Pourquoi ? Parce que selon son interprétation du droit actuellement applicable, un livre, électronique ou pas, n’a pas d’existence fiscale tant que… il n’est pas livré. Et c’est à ce moment-là (la livraison) que le livre nait en droit communautaire et qu’un élément de différenciation peut apparaître entre le livre et le livre électronique.

Le raisonnement? L’un (le livre) est doté d’un « support physique qui pourrait être qualifié de bien corporel », tandis que l’autre (le livre électronique) est dépourvu d’un tel « support physique qui pourrait être qualifié de bien corporel » : si l’emploi du conditionnel laisse penser que la Cour n’en est pas certaine, elle va pourtant tirer de ces hypothèses pleines de doutes des conclusions sans appel au sens premier du terme.

Première conclusion : puisqu’il n’y pas de support physique qui pourrait être qualifié de bien corporel (quel acronyme allons-nous inventer : SPQPEQBC ?), il n’y a pas de livraison de bien.

Deuxième conclusion : puisque le droit fiscal ne connaît que deux cas, la livraison de bien et la prestation de service, la fourniture d’un livre électronique est une prestation de service. La Cour qui vient pourtant de faire preuve d’esprit créatif avec son « SPQPEQBC » ici renâcle. Le droit restera binaire : si ce n’est pas une livraison de bien, c’est donc que c’est une prestation de service.

Et voilà le Juge qui peut boucler sa boucle : puisque l’annexe II de la Directive TVA de 2006 dit que la fourniture d'images, de textes et d'informations, et mise à disposition de bases de données fait partie des services fournis par voie électronique, lesquels ne sont pas susceptibles de bénéficer d'une TVA à taux réduit, le juge en conclut que le livre électronique fait partie de ces fournitures par voie électronique d’images, textes ou information. Et donc qu'il ne peut pas bénéficier de la TVA à taux réduit. Contrairement au livre. CQFD.

In fine, La Cour balaie d’un revers de manche l’argument tiré du principe de neutralité fiscale, qui s’oppose en particulier à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA (Arrêt Rank, du 10 novembre 2011, point 32). Mieux encore, le principe de neutralité fiscale interdit aux États-membres d’imposer des conditions restrictives à certaines catégories d’acteurs d’un même marché (et qui sont donc en concurrence) qui auraient pour effet de créer une discrimination fiscale (Arrêt Zimmermann, 15 novembre 2012). En quelques années, en effet, la Cour a fait du principe de neutralité une arme d'une redoutable efficacité contre la discrimination fiscale. Encore faut-il pouvoir l'appliquer.

Or, la Cour répond laconiquement, que le principe de neutralité fiscale ne permet pas d’étendre le champ d’application d’un taux réduit de TVA en l’absence d’une disposition non équivoque (…). Or, le point 6 de l’annexe III de la directive TVA n’est pas une disposition qui, d’une façon non équivoque, étend le champ d’application des taux réduits de TVA à la fourniture de livres électroniques. Ah ! La Cour qui trouvait sa démonstration très claire (celle du livre-électronique-dépourvu-de- « SPQPEQBC »-qui-doit-donc-être-considéré-comme-une-prestation-de-service à laquelle les Etats membres ne peuvent appliquer un taux réduit de TVA) se heurte ici à un problème de taille : la directive TVA de 2006 n’est pas claire! Ce en quoi nous sommes entièrement d’accord. Le principe de neutralité fiscale ne peut être mis en oeuvre. Ce que les éditeurs vont amèrement regretter.

Le Juge hésite, donc, et balbutie. Et en rajoute : Si, certes, le livre électronique nécessite, aux fins d’être lu, un support physique, tel qu’un ordinateur, un tel support n’est cependant pas compris dans la fourniture de livres électroniques. Alors, s’il venait à l’esprit d’un éditeur de fournir à la fois le livre et le support, ce que fait Amazon par exemple, la situation changerait-elle ? 

En résumé, le juge communautaire dresse un triste tableau du droit communautaire positif :

- en matière de fiscalité du livre, les auteurs n’existent pas, les droits d’auteurs non plus, tout ce qui compte c’est la nature, corporelle ou incorporelle, du support qui sert à la circulation de l'oeuvre ;

- la directive TVA de 2006 ne dit pas de façon non équivoque que la TVA à taux réduit est applicable aux livres électroniques;

- en l'absence de telles dispositions non équivoques, le juge refuse de se substituer aux Etats et de faire application du principe de neutralité fiscale.

C’est fortement manquer d’audace, car le juge aurait très bien pu interpréter les annexes II et III de la Directive de 2006 malgré ses ambiguités, et à la lumière du principe de neutralité fiscale : c’est son rôle, et l'on pourra trouver paradoxal qu'un juge réve d'une situation où il n'aurait pas à intervenir. Par ce raisonnement, nous voilà ramenés aux temps de nos ancêtres grecs et latins, quand les auteurs ne disposaient d’aucun droit sur leurs œuvres. Il a fallu l’invention de l’imprimerie, l’ère de la reproductibilité (Gutenberg) et le Siècle des Lumières (Beaumarchais) pour que les auteurs sortent de l’ombre : les auteurs apprécieront ce retour à l’anonymat sans droits.

Dans quelques semaines, la Cour se prononcera sur le sort des journaux en ligne. Le raisonnement frileusement déployé dans la décision du 5 mars, avec son haut degré d’abstraction, pourra faire l’objet d’un copier/coller. On en conclura qu’il existe d’une part :

-       des livres, journaux ou autres écrits (le catalogue de La Redoute par exemple) qui peuvent faire l’objet de taux de TVA normaux ou réduits ;

et d’autre part :

-        ces mêmes livres, journaux et catalogues de La Redoute qui ne peuvent faire que l’objet d’une TVA à taux normal dès lors qu’ils sont sur supports numériques.

La logique nous échappe. Une chose est certaine : la critique renouvelée envers une Europe technocratique et déconnectée des citoyens ainsi que des réalités de la vie économique – il ne s’agit pas là de critiquer les fonctionnaires de la Commission, mais ceux qui élaborent les règles ambigües à Bruxelles, c’est-à-dire les d’administrations nationales.

La seule solution désormais consiste à faire sauter le verrou des dispositions équivoques. Cette Directive a déjà été modifiée treize fois, alors pourquoi pas une quatorzième malgré l'exigence de l’unanimité? 

Référence : ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre) du 5 mars 2015 «Manquement d’État – Fiscalité – TVA – Application d’un taux réduit – Fourniture de livres numériques ou électroniques» - affaire C‑479/13

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