La décision de la Cour du 7 mars 2017 peut être consultée ici
Circonstances de l’affaire :
La Cour Constitutionnelle de Pologne a saisi la CJUE d’un double renvoi préjudiciel :
- la modification, en 2009, de la Directive de 2006 sur la TVA aurait-elle dû faire l’objet d’une consultation du Parlement européen ? Sur ce point, la Cour répond que cette modification a pu se faire sans consultation du Parlement, car il ne s’agit que d’une simplification rédactionnelle du texte de 2006, dont la substance a été entièrement maintenue (point 34 de la Décision). Voilà le Parlement passé à la trappe, quand on sait qu’une virgule peut changer le sens d’un texte, ce qui est précisément le cas de la directive de 2006.
- Les États-Membres peuvent-ils introduire une discrimination de taux de TVA entre livres numériques selon que ces derniers sont transmis par le biais d’un support physique ou par voie électronique ? Sur ce point, la CJUE répond que oui. Ce qu’elle a déjà fait en 2015, mais sur le fondement d’autres motifs.
Discussion sur la procédure
Au préalable, rappelons ce qu’est un renvoi préjudiciel :
C’est la procédure qui permet à une juridiction nationale d'interroger la Cour de justice de l'Union européenne sur l'interprétation ou la validité du droit communautaire dans le cadre d'un litige dont cette juridiction est saisie. Le renvoi préjudiciel offre ainsi le moyen de garantir la sécurité juridique par une application uniforme du droit de l'Union européenne.
À ce titre, l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) précise que les juridictions nationales qui statuent en dernier ressort, c’est-à-dire dont les décisions ne peuvent faire l’objet d’un recours, ont l’obligation de saisir la Cour de Justice d'une demande préjudicielle, sauf lorsqu’il existe déjà une jurisprudence de la Cour en la matière ou lorsque l'interprétation de la règle de droit de l'UE en cause est évidente.
Or autant sur le premier renvoi préjudiciel, il ne semble pas que la Cour ait déjà statué, autant sur le second, la CJUE s’est prononcée en détail sur le caractère légitime, selon elle, de la discrimination en matière de TVA entre livres numériques selon que ces derniers sont transmis par le biais d’un support physique ou par voie électronique : c’était tout l’objet de l’arrêt du 5 mars 2015 (voir mon billet). On peut donc trouver étrange que la CJUE n’ait pas écarté ce deuxième renvoi, au motif, qu’elle ne manque pas de soulever quand l‘occasion se présente, qu’elle s’était déjà prononcée sur ce point.
Discussion sur le fond
A lire la motivation de la décision du 7 mars 2017, on croit comprendre les raisons pour lesquelles la Cour n’a pas rejeté le renvoi préjudiciel de la Cour Constitutionnelle de Pologne sur la possibilité d’introduire une discrimination de taux de TVA entre livres numériques selon que ces derniers sont transmis par le biais d’un support physique ou par voie électronique.
C’est qu’entre le 5 mars 2015 et le 7 mars 2017, son analyse a changé, et pour le pire.
Le 5 mars 2015, la Cour considérait que le texte de la directive de 2006 ne dit pas, de façon "non équivoque", que le taux réduit de TVA est applicable aux livres transmis par voie électronique. Pour faire bref, elle ouvrait la voie à une unification des taux de TVA, à condition que les États-membres le disent clairement, sans équivoque.
Le 7 mars 2017, tout cela est oublié, et la Cour sort de son chapeau que l’objectif poursuivi en 2006 par les Etats-membres, en excluant l’application d’un taux réduit de TVA aux services fournis par voie électronique (donc : y compris la fourniture de livres par voie électronique), est d’éviter aux assujettis et aux administrations fiscales nationales de devoir examiner, pour chaque type de services électroniques fourni, si celui-ci relève de l’une des catégories de services susceptibles de bénéficier d’un tel taux en vertu de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée.Ainsi, la mesure en cause doit être regardée comme étant apte à réaliser l’objectif visant à établir avec certitude le taux de TVA applicable aux services fournis par voie électronique et ainsi à faciliter la gestion de cette taxe par les assujettis et les administrations fiscales nationales.
On a beau se frotter les yeux, cet objectif de simplification de gestion administrative par des fonctionnaires nationaux ne figure nulle part dans la Directive de 2006, ni dans ses considérants, ni dans ses dispositions, et ne figure nulle part non plus dans des textes à valeur normative supérieure. En revanche, on trouve dans le texte de 2006 des objectifs autrement plus importants que le confort de vie des autorités administratives :
- Neutralité concurrentielle (considérants n°4, 7, 23, 28)
- Neutralité fiscale (considérant n°5)
- L’emploi (considérant n°33)
- L’allégement des formalités administratives et statistiques des entreprises, notamment pour les petites et moyennes entreprises (considérant n°48).
Cette vision de l’Union européenne tout orientée, selon la CJUE, par le souci de faciliter la vie quotidienne des fonctionnaires des administrations fiscales nationales ne devrait cependant pas empêcher le États-membres d’adapter la directive dans le sens d’une TVA commune pour les livres (et pour les journaux) transmis par voie électronique ou physique, à condition cependant de bien préciser que les objectifs sont autres que celui avancé le 7 mars 2017 par la CJUE.