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Billet de blog 14 avril 2018

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La Syrie, victime d'une société "psychotique"

La France a bombardé la Syrie pour détruire des armes chimiques. Si sa justification paraît noble, cette action militaire méprise le droit et les valeurs qui sont censés être défendus. Ces bombardements et leur justification révèlent une société "psychotique" qui se fabrique une réalité de toute pièce pour justifier des actes contraires aux valeurs revendiquées. Le chaos est notre horizon.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En ce début d’après-midi, j’ai traversé la Grand’Place de Lille pour rejoindre une rue adjacente. Des jeunes adultes brandissaient des pancartes sur lesquelles étaient inscrit « Qui veut des câlins gratuits ? ». Dans une insouciance bonne enfant, ces jeunes offraient à qui le voulait des câlins, et en plus sans se faire payer. Le contraste entre leur activité et la noirceur du monde était saisissant. Je les regardais prendre entre leur bras des inconnus pour les câliner tout en songeant à la nuit de cauchemar que venait de vivre les syriens. D’un côté du monde, de jeunes individus prêts à serrer contre leur cœur des inconnus et de l’autre côté du monde, des individus de tout âge, terrorisés, démembrés, éventrés, assassinés.

Le geste de ces jeunes adultes distributeurs de câlins, pour dérisoire qu’il soit, n’en est pas moins noble mais il donne le vertige. Comment ne pas se sentir mal à l’aise quand on voit de jeunes citoyens aveugles au spectacle des crimes en cours. Dans le fond, j’aurais trouvé plus naturel que tous ces jeunes adultes, et les moins jeunes, fassent un sit-in géant sur la Grand’Place dans le plus assourdissant des silences pour témoigner son horreur des frappes sur la Syrie et son horreur de se voir gouverner par des dirigeants « psychotiques ».

Comment oser affirmer faire respecter le droit et plus particulièrement les droits de l’homme quand on bafoue le droit international et que l’on bombarde des zones densément peuplées ? Il y a une forme psychotique de positionnement. Des gouvernants reprochent à d’autres ce que eux même ne respectent pas et ils le font avec le sourire car certains d’être dans le juste. Il y a peut-être des raisons objectives de bombarder un Etat mais encore faut-il que cette action militaire soit autorisée par les Nations-Unies ou alors soit conduite dans le cadre d’une guerre. La France a-t-elle déclaré la guerre à la Syrie ou la Syrie a-t-elle déclaré la guerre à la France ? Je ne le crois pas ou alors l’information m’a échappée. Le conseil de sécurité des Nations-Unies a-t-il autorisé une quelconque force d’intervention à bombarder la Syrie ? Je ne le crois pas ou alors l’information m’a échappée. A défaut de démontrer que la guerre a été déclarée entre la France et la Syrie ou que les Nations-Unies ont autorisé l’action militaire de cette nuit, les bombardements sur la Syrie sont illégitimes car ils ne se fondent sur aucune règle de droit. Cela déplaît sûrement à ceux qui rêvent de détruire la Syrie mais cela est imparablement vrai sur le plan du droit international.

On peut choisir aujourd’hui de se passer du droit et d’agir selon sa propre volonté au motif que l’on affirme être dans le camp de la vertu, du vrai et de la raison. On le peut, mais dans ce cas, une telle action ne se fonde que sur la croyance péremptoire en son bon droit et donc en sa supériorité. On le peut donc mais on le peut dans un monde qui n’est plus un monde régulé par le droit mais un monde fondé sur la loi des plus forts. Soyons lucides et cohérents, en l’absence de règles de droit, plus personne ne viole des traités puisque ces derniers n’ont plus aucune force juridique. Dès lors, les crimes du dirigeant syrien sont juridiquement tout aussi équivalents aux crimes de ceux qui bombardent en violant le droit. En l’absence de règles de droit à respecter, le chaos organise le monde et le roi de ce monde est le criminel qui est le plus fort en bombes et missiles. Nous sommes entrés dans une ère dangereuse. La démocratie est bien morte du moment que les cadres juridiques mis en place sont aussi facilement mis de côté dès lors qu’ils dérangent les volontés guerrières des uns et des autres. Plus que jamais, les criminels armés jusqu’aux dents sont les rois du monde mais d’un monde qui se réfugie dans la psychose pour mieux fuir une réalité contrariante.

Pour nous consoler, il nous reste à attendre de voir ces preuves sur la base desquelles on a bombardé la Syrie. Nous voulons voir ces preuves car elles doivent nous montrer l’incroyable et cet incroyable est l’histoire  d’un régime syrien qui, après avoir gagné sur tous les fronts intérieurs, a décidé de se suicider en utilisant des armes chimiques alors qu’il n’en avait pas besoin et alors que l’usage de ces armes entrainerait les bombardements de la nuit dernière. Il nous faut des preuves solides pour nous convaincre que Bachar el-Assad a décidé d’agir dans un sens contraire à ses intérêts de survie. Attention, nous ne voulons pas de preuves impossibles à vérifier comme ce tube d'Anthrax agité par Colin Powell à l’ONU, ce tube présenté comme la preuve irréfutable que le régime irakien disposait et était en train de fabriquer des armes de destruction massive. Preuves si irréfutables qu’aucune arme n’a été trouvée en Irak. Preuves si irréfutables que même Colin Powell a avoué quelques années plus tard qu’il avait menti à l’ONU… Dans cette affaire, ce qui fut massif ce fut la manipulation des opinions et des médias. Pensons aux millions de gens tués en Irak sur la base d’un mensonge. Pensons à tous ces syriens tués hier sur la base de preuves dont on espère qu’elles n’ont pas la force des preuves brandies par M. Powell. Espérons aussi que nos gouvernants ne vont pas nous remettre sur le tapis ces histoires à dormir debout de frappes chirurgicales. On le sait depuis les guerres du Golfe et la destruction de l’Irak que les frappes chirurgicales ne sont chirurgicales que dans leur capacité à berner les cerveaux des citoyens naïfs. Hélas cet espoir, comme il se devait, a été très vite démenti. Le général Lecointre, chef d'état major des armées, vient de déclarer que la France a tiré 16 missiles qui …. ont tous atteint leur cible ! Ouf, c’était chirurgical..

Demain, nous verrons des photos de corps ensanglantés, de corps pulvérisés, d’enfants qui pleurent. Demain nous verrons les victimes syriennes de gens qui disent représenter le droit tout en le bafouant mais demain verrons nous vraiment ces photos ? Ces dernières ne seront-elles pas filtrées et mises dans le fond des tiroirs au nom de la perfection des frappes chirurgicales ? Il est fort à craindre que le sort des victimes syriennes soit d’être des victimes même au-delà de leur mort violente. Ces victimes seront cachées, oubliées et méprisées par nos grands adorateurs du droit écrit par eux-mêmes.

Etre à ce point conscient d’être dirigé par des gouvernants « psychotiques » qui disent vouloir faire respecter le droit tout en le violant, me procure un sentiment d’isolement et d’abandon. J’aurai peut-être dû me laisser câliner par ces jeunes adultes. Leur démarche que je trouvais puérile et dérisoire est peut-être la seule chose censée et vraie qui reste autour de nous en occident. C’est dire si notre monde « civilisé » est tombé bien bas. Il ne faut pas avoir peur de la finance disait un dirigeant occidental féru de droit et de légitimité. Cette affirmation est un sacré leurre quand on sait que la finance permet à toutes ces sales bombes de tuer des innocents.

Régis DESMARAIS

En complément, je vous invite à lire les trois textes suivants :

Caroline Galactéros: «Pourquoi la France ne doit pas s'associer aux frappes en Syrie»

Pierre Charasse : "Lettre ouverte au Président de la République"

Général Dominique Delawarde : "Frappes sur la Syrie : résultats, conséquences"

Et toujours Irocblog !

Commentaire faisant suite à l'interview de M. Macron :

En réponse aux questions de M. Plenel sur l'intervention en Syrie, Le président a déploré le fait que "la Syrie ne se soit pas conformée au droit international sur les armes chimiques" et il a justifié les bombardements de vendredi sans accord à l'ONU à cause du "blocage constant des Russes". Le président français prétend donc faire respecter le droit international en le violant. Nous sommes en pleine "doublepensée" orwellienne. Il est clair sur son argumentation : le droit n'existe que si son application est conforme à ses désirs : la Russie refuse de voter à l'ONU le principe d'une intervention en Syrie et bien on se passe de l'ONU ! En clair, si demain le président Macron veut faire entrer un nouveau pays au sein de l'Union européenne et qu'un ou des pays font blocage et refusent de voter cet élargissement (il faut l'unanimité pour faire entrer un nouvel Etat au sein de l'Union) et bien le président Macron se passera du vote du conseil européen. Vous l'avez compris le droit n'existe plus ou plutôt il n'existe que comme concept creux pour ceux qui ne réfléchissent plus et qui font corps avec notre société psychotique. Triste dérive de nos démocraties aux mains de dirigeants qui se revendiquent de valeurs qu'ils bafouent avec aplomb et sourire.

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