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Billet de blog 20 février 2020

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Guillaume Erner ou l’anti Albert Londres

Sur France Culture, une interview complaisante de M. Bruno Lasserre désole l'Association des Amis d'Alain Mouzon. On évite d'interroger M. Lasserre sur sa mise en examen pour complicité de harcèlement moral.

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M. Guillaume Erner s’inscrit visiblement dans une démarche opposée à celle d’Albert Londres. Si pour Albert Londres « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie », il est clair que M. Erner ne porte qu’un léger souffle à la surface des choses. Le 20 février 2020, son invité du matin était M. Bruno Lasserre. Pendant une quarantaine de minutes, le journaliste a pieusement recueilli les avis de M. Lasserre sur l’actualité, le fonctionnement du Conseil d’Etat et sur des questions sociétales. Il a même eu l’audace de dire à M. Lasserre de ne pas être trop modeste…

Quarante minutes pendant lesquelles M. Lasserre a récité un discours ennuyeux, sans risque d’être interrompu par des questions susceptibles de faire craquer un vernis que l’on ne décelait que trop bien dans une logorrhée convenue et sans originalité.

Quarante minutes pendant lesquelles le « journaliste » a été frappé d’amnésie, oubliant que le personnage assis en face de lui était mis en examen pour complicité de harcèlement moral, après une première condamnation par la justice des méthodes de management mises en œuvre sous sa présidence.

Pour M. Erner, la circonstance que le vice-président du Conseil d'Etat soit mis en examen dans une affaire ayant conduit à la mort d’un homme est sans doute sans incidence sur l’image de cette institution.

M. Erner a toutefois raison sur un point, M. Lasserre est terriblement modeste : il n’ose pas évoquer sa mise en examen et son impact sur l’image du Conseil d’Etat. A ce sujet, M. Lasserre se fait tout petit, petit, minuscule...

M. Erner est stupéfiant, il ose même dire que M. Lasserre est perçu comme un contrepoids au macronisme. C’est l’école du rire, mais c’est osé ! M. Erner oublie que M. Lasserre a été nommé par un président qui savait tout de l’affaire de harcèlement. M. Erner oublie que le « serviteur de l’Etat », assis face à lui, doit tout à M. Macron, et ne peut en aucun cas être un contrepoids à ce dernier. Croire à cette histoire de contrepoids c’est entrer dans un jeu de dupes.

Notre démocratie est ainsi faite. On peut parler d’une institution sans évoquer un vice qui l’affecte. Une telle institution, amenée à juger d’affaires de harcèlement moral, peut-elle être dirigée par un personnage mis en examen pour complicité de harcèlement moral ? Pour M. Erner, cela semble possible, ou du moins la question ne se pose-t-elle pas. Peut-être M. Erner est-il comme M. Macron : il y a les gens qui ont réussi (M. Lasserre) et ceux qui ne sont rien (l’agent décédé des suites de pratiques déviantes mises en œuvre sous la présidence de M. Lasserre).

Avec un sens du comique toujours aussi grand, a été évoquée la déconnexion entre les élites et les classes populaires. Cette déconnexion a été vue sous l’angle de la réglementation de vitesse et des 80 km/h. On se doute bien que cette défiance ne vient pas du sentiment d’un traitement différent entre les élites et les autres, du sentiment d’un deux poids, deux mesures. Il est certain qu’interviewer un « haut fonctionnaire » sans évoquer sa mise en examen est un gage de traitement d’égal à égal entre les classes populaires et les « élites », ou ceux qui s’imaginent en être.

Cette émission radiophonique révèle le respect infini pour les puissants, les intouchables, de la part d’individus censés informer la population. Après tout, qu’est-ce qu’elle réclame encore cette victime de harcèlement moral ? Elle est décédée depuis six ans…

Il y avait dans cet entretien un délicat parfum de courtisanerie, d’entre-soi, un parfum d’anti-journalisme. Je conseille à tous ceux qui n’ont pas eu le bonheur d’entendre cette interview, de l’écouter en replay sur France Culture. Vous verrez, on n’a jamais l’impression que celui qui parle longuement est un « haut personnage » de l’Etat mis en examen pour complicité de harcèlement moral. Le harcèlement moral serait-il devenu anodin, voire chic et tendance ?

Régis DESMARAIS

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