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Billet de blog 21 février 2017

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Une campagne électorale à l'ère du Buzz

Tout semble désormais se passer sur les réseaux sociaux. Le buzz est la clef de la visibilité. Mais faire le buzz est-ce suffisant ? Les articles publiés sur le Web semblent lus en diagonale. Tout se bouscule, se succède, s'actualise. Les citoyens sont désormais sur Internet. Laisser des traces sur les réseaux c'est le plus sûr moyen de gagner l'élection présidentielle.

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L’article « L’assassinat politique de François Fillon » a été vu plusieurs centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux. En un mot et à sa manière, il a fait le buzz. La Tribune de Genève me décernant même le titre de «meilleur avocat» de François Fillon aux côtés d'Elisabeth  Lévy.

Les informations circulent vite. Elles peuvent « faire le buzz » et se répandre de manière virale. Derrière les innombrables clics et partages que reste-t-il vraiment du contenu informatif ? Les internautes retiennent-ils les informations contenus dans les articles diffusés ? On peut en douter. Le caractère décisif et influent des réseaux sociaux est surement vrai dans l’immédiateté qui suit le clic mais deux heures après, trois jours après, plusieurs semaines après, quelles traces et quels messages subsistent dans les cerveaux ? Difficile une fois de plus de répondre à ces interrogations.

Internet produit un nouveau mode de rapport à l’information et au monde réel : l’inconstance dans sa relation au monde. Tout va si vite, tout se bouscule, tant de choses apparaissent puis disparaissent des écrans que s’instaure une forme de volatilité extrême des opinions. Certes, les plus pugnaces à tweeter, bloguer, publier, partager acquièrent une forme de réalité prégnante derrière les écrans. Comme une «image fantôme», leurs idées, leur nom, leur discours planent quelque part en nous et sans doute nous conditionneront lors du vote. Ce qui importe, ce n’est donc plus le contenu du message mais son annonce, la simple évocation de l’existence d’un message. Ce qui compte, c’est la présence démultipliée d’un acteur sur les réseaux sociaux et cette présence se satisfait d’un simple sourire, de quelque chose de visuellement accrocheur car facilement mémorisable. Plus besoin pour un candidat de présenter son programme, il suffit de l’annoncer, d’évoquer sa diffusion prochaine pour que cela suffise. En ce sens, M. Macron maîtrise parfaitement les outils numériques et surtout a une bonne compréhension de leur impact mental. Sur la manière dont Emmanuel Macron utilise dans sa campagne les smartphones, le web et sur la facilité avec laquelle il s’est présenté sans programme à l’élection présidentielle, je vous invite à lire l’excellent article de Hassina Mechaï sur le blog Médiapart.

Le buzz, moment décisif de la reconnaissance sur le web, s'alimente de tout et de n'importe quoi dès lors que ce qui compte est d'être sur Internet et d'être repris de façon virale sur les réseaux afin de laisser une «image fantôme» dans les esprits des internautes. C'est le vieux slogan de l'ère triomphante de la télévision qui est actualisé : hier «Vu à la télé», aujourd'hui «Vu sur Internet». Si c'est vu à la télé ou vu sur le Web, c'est donc vrai ! Piège du buzz, qui propage le faux comme le vrai.

Donald Trump s'est singularisé par l'usage intensif de l'expression «Fake news» pour désigner des informations erronées diffusées à son sujet. Récemment, une information a fait le buzz sur la toile "Trump a dit qu'un attentat a eu lieu en Suède". Toute la presse a repris cette information. Pourtant, il semble que cette information soit une "fake news" et sa propagation sur la toile soit une "fake news" fabriquée de manière délibérée. Que croire dans cet exemple ? Monique Hirschhorn, dans une interview donnée à l'hebdomadaire Marianne nous donne les clefs pour distinguer le vrai du faux : «La meilleure défense est de les soumettre au marché de l'information le plus exigeant, c'est-à-dire celui de l'information scientifique et d'appliquer la pensée méthodique. Se demander, chaque fois qu'une idée ne nous apparaît pas bien assurée, d'où elle vient et quelles sont les sources, de quelles informations je dispose pour l'évaluer, si j'ai bien établi des informations multiples et contradictoires afin de ne pas tomber dans les biais de confirmation, si j'ai explicité mes a priori intellectuels et culturels, même s'ils ne sont pas nécessairement faux, si j'ai envisagé la possibilité d'erreurs de raisonnement, si je n'ai pas laissé mon croire être contaminé par mon désir.». Sages conseils. La méthode recommandée nous conduit à aller directement à la source, c'est-à-dire les déclarations de Trump. Les propos du président américain ont été les suivants : « Regardez ce qui se passe en Allemagne. Regardez ce qui se passe la nuit dernière en Suède ! Qui l'aurait imaginé ! La Suède ! Ils ont fait entrer un grand nombre de personnes et rencontrent des problèmes qu'ils n'auraient jamais imaginés. Regardez ce qui se passe à Bruxelles, regardez ce qui se passe partout dans le monde. Regardez Nice, regardez Paris. Nous avons accueilli des milliers et des milliers de personnes dans notre pays. Il n'y avait aucun moyen de les vérifier (...)». Trump n'a donc pas dit qu'il y avait eu un attentat en Suède. Très clairement, il faisait allusion à des vagues migratoires (effectivement de nombreux problèmes entre des migrants et la police suédoise ont été signalés notamment à Malmö). CNN a repris les propos de Trump sans faire référence à une déclaration sur un éventuel attentat en Suède mais en indiquant le caractère elliptique de ces propos, ce qui ressort de la traduction des déclarations du président américain car ce dernier n'a pas dit ce qui se passe en Suède. ABC est allé droit au but et au buzz : Trump a dit qu'il y avait eu un attentat en Suède. Information allégrement reprise par "Le Monde" puis par tous les réseaux. Et le buzz s'est formé.... Le biais de la confirmation dénoncée par Mme Hirschhorn a fait son oeuvre. On devine les effets de ces diffusions de faux et de vrai auprès des internautes : manipulation des esprits, réalités multiples et incertaines et surtout accélaration de la propension à changer ses opinions et à oublier une information fragile de toute façon remplacée par d'autres buzz.

Face à cette inconstance ou volatilité de nos opinions façonnées par les écrans, les instituts de sondage se retrouvent dans l’impossibilité de dire quelle est la position des sondés car cette position est mouvante et volatile. Les sondages n’avaient pas vu arriver Trump, Hamon, Fillon. Toutefois, un institut de sondage canadien se distingue par ses méthodes : FILTERIS. Cet institut ne procède pas par sondages sur des échantillons réduits et représentatifs de mille personnes dont les résultats sont ensuite "redressés". FILTERIS analyse, en direct, le «buzz» sur les réseaux sociaux (Facebook,Twitter, MySpace, Linkedin, Viadeo) plus le Web (Wikis, Youtube, Flicker). Par ce moyen, FILTERIS récupère en instantané et quotidiennement des informations provenant librement de millions d'internautes. (Merci au Général Dominique Delawarde pour ces informations). Cette méthode a permis à FILTERIS de prévoir la victoire de Trump et de pronostiquer la sélection de François Fillon pour le second tour de l’élection présidentielle. Il ne faut plus sonder le citoyen hors écran et réseaux sociaux. Désormais tout se joue sur les réseaux. C’est la que l’opinion publique se forme et se défait. Evidemment, il faut incorporer dans ses analyses le paramètre volatilité de cette nouvelle opinion publique. Rien n’est perdu pour personne dans cette élection. Ceux qui accèderont  au second tour de l’élection seront ceux qui maîtriseront le mieux les modes de communication sur les réseaux.

Le Monde affirmait en 2013 qu’« être citoyen connecté, c'est d'abord être citoyen tout court ». Cette affirmation se trouve confirmée quatre ans plus tard : en 2017, la réalité virtuelle, celle des réseaux sociaux, supplante la réalité physique. L’agora est sur les réseaux ! Nous pouvons faire le deuil de la constance dans les opinions et le deuil des discussions argumentées et des textes longs. Le format de communication adapté au seuil de tolérance des citoyens est désormais le tweet, on ne cesse de me le répéter, ou au mieux, la page web. Ce nouveau monde semble enterrer le temps des longues analyses, du plaisir intellectuel d’argumenter et de contre argumenter. C’est ainsi, le spectacle et le buzz supplantent tout.

En conclusion, je vous propose de lire la citation de Feuerbach (Préface à la deuxième édition de L'Essence du christianisme) choisie par Guy Debord en introduction de « La Société du spectacle » : « Et sans doute notre temps... préfère l'image à la chose, la copie à l'original, la représentation à la réalité, l'apparence à l'être... Ce qui est sacré pour lui, ce n'est que l'illusion, mais ce qui est profane, c'est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité et que l'illusion croît, si bien que le comble de l'illusion est aussi pour lui le comble du sacré. »

Régis DESMARAIS. Plus à lire sur IrocBlog

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