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Billet de blog 3 mai 2025

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Sous les décombres de Gaza, un passé en péril

Du 3 avril au 2 novembre, l’exposition « Les trésors sauvés de Gaza » à l’Institut du monde arabe révèle la richesse historique d’une région aujourd’hui ravagée par les destructions. Dans le contexte dramatique que vivent les Gazaouis, les œuvres du patrimoine palestinien présentées permettent de sensibiliser au passé de la cité, où se sont côtoyées les civilisations pendant des millénaires.

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Illustration 1
Vue de Gaza au début du XXe siècle © Rémi Ducasse

Qu’on ne s’attende pas à une mise en scène monumentale, les œuvres sont au contraire présentées sur des supports symbolisant des chariots de transport, et on s’attend à tout moment à ce qu’elles soient déplacées sans avertissement. « Nous avons fait appel à deux architectes-designers originaires de Bethléem, explique la commissaire de l’exposition Elodie Bouffard. Il s’agissait d’évoquer le déplacement incessant des œuvres, qu’il s’agisse de les protéger des destructions ou de les exposer à l’étranger. » Comme un écho au sentiment de « déracinement et d’urgence » que vivent les populations de cette région du monde.

Plongée dans un passé millénaire

Illustration 2
Sculpture d'Aphrodite de l'époque romaine © Rémi Ducasse

Remontant au milieu du IIIe millénaire, sous l’Ancien Empire égyptien, c’est peu dire que les racines historiques de Gaza sont profondes. Entre 1930 et 1934, sous l’occupation britannique, une série de fouilles archéologiques mettent au jour une vaste forteresse pharaonique à Tell el-Ajul. Considérée comme la frontière nord de l’Empire égyptien, c’est durant cette période que la cité va connaître son premier essor commercial en devenant un centre maritime important. Après avoir été successivement administrée par les Philistins, les Assyriens, les Babyloniens et l’Empire perse achéménide, Gaza tombe finalement sous la coupe de la domination grecque puis romaine.

La fondation du port d’Anthedon, au VIe siècle avant JC, lui confère une importance stratégique d’ampleur, elle devient le point de rencontre entre les caravaniers arabes et les marchands grecs. La collection d’objets portuaires, d’amphores et de lampes à huiles présentée illustre ainsi l’activité de la région, au carrefour entre le monde romain, l’Egypte, les provinces arabes et la Mésopotamie. Une remarquable statue d’Aphrodite de l’époque romaine, « retrouvée par un pêcheur et confiée à un collectionneur », laisse présager des trésors qui se trouveraient encore dans le sous-sol gazaoui. Le collectionneur en question, Jawdat Khoudary, est un des hommes les plus riches de Gaza et a rassemblé les objets de manière frénétique dans un musée personnel, aujourd'hui détruit.

En 1980, des fouilles sous la cathédrale de Genève révèlent des amphores de vin originaires de Gaza datées de 457 après J.-C., début de la période byzantine. Un signe que le commerce entre la région palestinienne et l’Europe occidentale se maintenait malgré la séparation définitive des deux Empires romains d’Orient et d’Occident. L’évêque Grégoire de Tours, auteur au VIIe siècle d’une Histoire des Francs, conseillait ainsi dans un manuscrit à tous ses coreligionnaires d’utiliser le vin de Gaza pour la messe, car il provenait de « Terre sainte ».  Une imposante mosaïque provenant du site de Deir el-Balah et datée de 579 illustre par sa finesse la richesse commerciale de la ville à cette période.

De l’archéologie en temps d'occupation

« Il suffit presque de se pencher et de creuser un peu pour trouver des pièces d’intérêt » selon Mme Bouffard. Pourtant, la quantité d’objets exposés est restreinte, nous laissant sur notre faim. La faute au contexte politique régional qui n’a permis une exploitation des sites de fouilles qu’en pointillé.

Illustration 3
Carte des accords Sykes-Picot © Royal Geographical Society

Avec la fin de la Première Guerre mondiale et la défaite des armées de l’Axe, l’Empire ottoman, qui était présent à Gaza depuis 1517, est disloqué par les puissances occidentales. La découverte des riches gisements de pétrole dans la région attisait leur appétit. La France et l’Empire britannique se partagent le gâteau, monnayant leur participation aux différentes compagnies d’exploitation pétrolières avec les étendues de terre. Les accords Sykes-Picot attribuent à l’administration française la Syrie et le Liban, pendant que les mandataires britanniques s'occuperont de la péninsule arabique et la Palestine. Dans ce contexte, la Grande-Bretagne lance une première grande période de fouilles de la région de Gaza, un épisode illustré par une série de photos qui détaillent l’occupation britannique. Le célèbre archéologue Flinders Setrie, fondateur de l’égyptologie, met au jour un certain nombre de sites d’exception, dont Tell el-Ajul, et restera en Palestine jusqu’à sa mort en 1942.

La Seconde Guerre mondiale marque une pause dans les fouilles. L’Empire britannique, victorieux mais affaibli, subit une vague de contestation de sa domination dans ses colonies. Il décide alors de se retirer et laisse le soin à l’ONU de gérer le plan de partage de la Palestine en un État juif, un État arabe et Jérusalem sous contrôle international. Gaza se trouve ainsi enclavée dans la bande de terre qui porte son nom depuis. Elle est en première ligne lors du déclenchement de la guerre des Six Jours en 1967 par l’Egypte et les autres pays arabes de la région. Leur défaite éclair consacre la supériorité militaire d’Israël dans la région, bien aidé en cela par les puissances occidentales qui la fournissent en armement. Gaza est occupée par l’armée israélienne et les fouilles reprennent sous la houlette du nouvel occupant.

Selon l’Institut des études palestiniennes, créé en 1963 à Beyrouth dans le but de publier et d’archiver les sujets ayant trait au conflit israélo-arabe, les fouilles prennent alors une tournure politique. Moshé Dayan, chef d’Etat-major israélien et membre du parti travailliste, coordonne les recherches et a pour but de trouver des preuves archéologiques de la présence du peuple juif en Palestine. Parmi les principales découvertes, on note la nécropole de Deir el-Balah, d’où provient également la mosaïque présentée à l’exposition, et ses cinquante sarcophages en argile de l’époque égyptienne. La plupart des œuvres exhumées à cette époque furent cependant exfiltrées de la bande de Gaza vers Israël.

Le patrimoine gazaoui détruit par la guerre

La majeure partie des œuvres présentées dans l'exposition n’a été mise au jour que durant la dizaine d’année qui sépare les accords d’Oslo en 1994 du retrait de l'armée israélienne de Gaza en 2005. Avec la fondation d’un département local des Antiquités, l’Autorité palestinienne cherchait à structurer les recherches et à limiter l’impact de l’urbanisation galopante sur la destruction des sites archéologiques. C’est à cette période que des collaborations avec des équipes étrangères, notamment françaises par l’intermédiaire de l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem, se sont établies, et que des sites monumentaux comme le monastère de Saint-Hilarion ont été découverts.

Depuis la victoire du Hamas en 2007, l’évolution politique de la région et la résurgence régulière des affrontements entre le mouvement islamiste, le Fatah et les forces armées israéliennes ont forcé les archéologues institutionnels à se retirer du terrain. Aujourd’hui, ce sont surtout des organisations non-gouvernementales qui poursuivent leur travail, parfois directement sous l’œil des combattants. Le musée de Jawdat Khoudary a ainsi été incendié lors de l’offensive de 2023 et les entrepôts du département des Antiquités, abritant des dizaines de milliers d’objets auraient été perquisitionnés et saccagés. Pour Mme Bouffard, « cette exposition est une manière de lutter contre l’amnésie contemporaine ». Marquée par les massacres, les bombardements et les destructions, Gaza voit le risque que s’ajoute à sa situation humanitaire effroyable, celui d’une perte totale des témoignages de son passé.

Bibliographie sélective

"Les sites archéologiques sont le pétrole de Gaza", série d'entretiens réalisés par Fareed Armaly, Revue d'études palestiniennes n°107, 2008

"Human settlement and coastal change in Gaza since the Bronze Age", Christophe Morange et al., Revue géographique des pays méditerranéens n°104, 2005

"Destruction du patrimoine culturel à Gaza", Hamdan Taha, 2024

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