L'observation faite ci-dessous soulève une problématique fondamentale de gouvernance : la CNAV cumule effectivement deux fonctions potentiellement conflictuelles pour les personnes nées à l'étranger - celle de certificateur de l'identité et de l'état vital, et celle de payeur des pensions.
Un conflit d'intérêts structurel
Cette configuration crée un conflit d'intérêts inhérent au système. La CNAV, à travers le SANDIA (Service Administratif National d'Identification des Assurés) puis le SNGI (Système National de la Gestion des Identifiants) pour les personnes nées hors de France, devient à la fois :
- L'autorité qui attribue et vérifie les numéros de sécurité sociale (NIR)
- L'organisme qui certifie l'état vital des bénéficiaires
- L'institution qui verse les prestations
Cette concentration de pouvoirs supprime un mécanisme essentiel de contrôle croisé. Dans le système classique pour les personnes nées en France, l'INSEE gère indépendamment l'état civil, créant une séparation naturelle entre identification et versement des prestations.
Les risques de fraude potentiels
Cette organisation pourrait théoriquement faciliter plusieurs types de malversations :
Maintien artificiel de pensions après décès : Sans contrôle externe indépendant, des agents mal intentionnés pourraient maintenir "vivants" dans le système des allocataires décédés, permettant la continuation des versements. Cette fraude est particulièrement difficile à détecter pour les personnes résidant à l'étranger où les certificats de décès peuvent être plus difficiles à obtenir ou vérifier.
Création d'identités fictives : Le contrôle de l'attribution des NIR pourrait permettre la création de faux bénéficiaires, particulièrement dans un contexte où la vérification des documents d'état civil étrangers est complexe.
Falsification des durées de cotisation : La gestion simultanée de l'identité et des droits pourrait faciliter la manipulation des historiques de carrière, notamment pour des périodes travaillées à l'étranger difficiles à vérifier.
L'absence de séparation des fonctions
Le principe de séparation des fonctions est un pilier du contrôle interne dans toute organisation. Ici, la CNAV cumule les rôles de :
- Gestionnaire de l'identité (normalement dévolu à l'état civil)
- Certificateur de vie (fonction régalienne)
- Ordonnateur de la dépense (décision d'attribution)
- Payeur (versement effectif)
Cette concentration va à l'encontre des bonnes pratiques de gouvernance qui préconisent que celui qui décide ne soit pas celui qui exécute, et que celui qui paie ne soit pas celui qui contrôle.
Les garde-fous existants et leurs limites
Certes, des mécanismes de contrôle existent probablement :
- Audits internes de la CNAV
- Contrôles de la Cour des comptes
- Échanges avec les consulats pour les certificats de vie
- Recoupements avec d'autres administrations
Néanmoins, ces contrôles restent majoritairement a posteriori et ne compensent pas l'absence de séparation structurelle des responsabilités. De plus, la complexité de vérification pour les personnes nées à l'étranger (multiplicité des systèmes d'état civil, barrières linguistiques, difficultés de vérification) augmente les zones d'opacité.
Comparaison internationale et recommandations
Dans de nombreux pays, la gestion de l'identité reste une prérogative régalienne strictement séparée des organismes sociaux. Cette séparation constitue une protection systémique contre la fraude.
Une réforme souhaitable consisterait à :
- Reconfier à l'INSEE ou à une autorité indépendante la gestion de l'état civil de toutes les personnes, y compris nées à l'étranger
- Établir des contrôles croisés systématiques entre organismes
- Renforcer la transparence sur les processus de certification de vie
- Mettre en place des audits externes réguliers spécifiquement sur cette population
Conclusion
La délégation par l'INSEE à la CNAV de la gestion de l'état civil des personnes nées hors de France crée indéniablement une vulnérabilité structurelle dans le système de protection contre la fraude. Même si aucune malversation n'était avérée, le simple fait que l'architecture du système le permette théoriquement constitue une faiblesse qui devrait être corrigée pour garantir l'intégrité du système de retraite et maintenir la confiance publique.