Rémy Nuno GRIFFAIS

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Billet de blog 13 octobre 2025

Rémy Nuno GRIFFAIS

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RESPONSABILITÉ PÉNALE DES AGENTS PUBLICS

Le silence d'un agent public face à des infractions n'est pas neutre : c'est une complicité sanctionnée jusqu'à 15 ans de prison. L'obligation de dénonciation (article 40 CPP) n'est pas une option mais un devoir légal. Révocation, amendes, casier judiciaire : les risques du silence dépassent largement ceux de la dénonciation, protégée par la loi Sapin II sur les lanceurs d'alerte.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

RESPONSABILITÉ PÉNALE DES AGENTS PUBLICS QUI NE DÉNONCENT PAS LES INFRACTIONS

Le silence complice : une infraction à part entière

Les agents publics qui ont connaissance de faits criminels ou délictueux au sein de leur administration encourent une responsabilité pénale personnelle s'ils gardent le silence. Cette obligation de dénonciation n'est pas une simple règle déontologique mais une obligation légale sanctionnée par le Code pénal.

Lorsque des modifications frauduleuses de données sont commises dans les systèmes informatiques de l'État, de nombreux agents ont nécessairement connaissance des anomalies : superviseurs hiérarchiques, agents de contrôle, responsables informatiques, juristes internes, membres d'autorités administratives indépendantes. Leur silence constitue une complicité passive qui aggrave le préjudice subi par les victimes et compromet l'intégrité des systèmes de données publiques.

L'article 40 du Code de procédure pénale impose aux fonctionnaires qui, dans l'exercice de leurs fonctions, acquièrent la connaissance d'un crime ou d'un délit, d'en aviser sans délai le procureur de la République. Le manquement à cette obligation entraîne des sanctions pénales, disciplinaires et peut constituer une faute détachable du service engageant la responsabilité personnelle de l'agent.

Le silence face à des manipulations de l'état civil ou de systèmes de données à caractère personnel n'est pas neutre : c'est une participation active à la perpétuation d'un système frauduleux qui bafoue les droits fondamentaux des citoyens et l'intégrité de la fonction publique. Chaque jour de silence aggrave la responsabilité de l'agent et rend sa position de plus en plus intenable devant la justice.


AGGRAVATIONS POUR LES CADRES SUPÉRIEURS

Les cadres de direction, responsables de service et agents de contrôle qui ont autorité ou mission de surveillance encourent des peines aggravées :

  • Responsabilité hiérarchique : Obligation de contrôler et de signaler toute anomalie

  • Complicité par abstention volontaire : Mêmes peines que les auteurs principaux (jusqu'à 15 ans si crime)

  • Faute personnelle détachable du service : Responsabilité civile personnelle sans protection de l'administration


TYPES D'AGENTS PARTICULIÈREMENT EXPOSÉS

Agents des systèmes d'information et bases de données

  • Connaissance technique des anomalies → Non-dénonciation + complicité

  • Risque pénal : 3 à 15 ans selon la qualification de l'infraction principale

Agents de contrôle interne et auditeurs

  • Mission spécifique de détection → Omission de porter secours + violation art. 40 CPP

  • Risque pénal : 5 ans + 75 000 € + révocation pour faute grave

Juristes et conseillers juridiques internes

  • Connaissance de la portée juridique → Entrave à la justice + complicité aggravée

  • Risque pénal : 3 à 15 ans + radiation des barreaux le cas échéant

Responsables de la certification et de la sécurité

  • Validation frauduleuse de données erronées → Complicité de faux en écriture publique

  • Risque pénal : jusqu'à 15 ans + 225 000 € (mêmes peines que l'auteur principal)

Cadres d'organismes tiers intervenant sur les données

  • Modification de données pour le compte d'organismes publics → Complicité de modification frauduleuse de STAD

  • Risque pénal : 7 ans + 300 000 € + dissolution possible de la personne morale

Membres d'autorités administratives indépendantes

  • Minimisation des faits après saisine → Entrave à la justice + complicité

  • Risque pénal : 3 ans à 15 ans selon l'ampleur de la dissimulation


CE QU'IL FAUT SAVOIR SUR LA PRESCRIPTION

⚠️ ATTENTION : La prescription ne commence à courir qu'à partir de la découverte de l'infraction par la victime ou les autorités, et non à partir de la commission des faits.

  • Prescription des délits : 6 ans à compter de la découverte

  • Prescription des crimes : 20 ans à compter de la découverte

  • Interruption de prescription : Dépôt de plainte, actes d'enquête, réquisitions

Un agent qui a gardé le silence pendant des années peut donc être poursuivi même pour des faits anciens, dès lors que la victime ou le procureur en prend connaissance.


PROTECTION DES LANCEURS D'ALERTE

La loi protège les agents qui dénoncent les infractions :

Loi Sapin II (2016) - Protection des lanceurs d'alerte

  • Immunité pénale pour la révélation de faits illégaux

  • Protection contre les représailles (licenciement, mutation, sanctions)

  • Possibilité de saisir le Défenseur des droits

Article 40 CPP - Obligation de signalement

Un agent qui dénonce des faits criminels ou délictueux remplit son obligation légale et ne peut faire l'objet de sanctions disciplinaires.

Jurisprudence constante

Les tribunaux protègent systématiquement les agents qui ont agi dans l'intérêt général en dénonçant des infractions, même si cela implique leur hiérarchie.


CONDUITE À TENIR POUR UN AGENT AYANT CONNAISSANCE DE FAITS ILLÉGAUX

1. SIGNALEMENT IMMÉDIAT

  • Saisir le procureur de la République par écrit (article 40 CPP)

  • Informer sa hiérarchie par écrit avec accusé de réception

  • Conserver des preuves de ce signalement

2. REFUS DE PARTICIPER

  • Refuser d'exécuter tout ordre manifestement illégal

  • Documenter par écrit ce refus et ses motifs

  • Demander des instructions écrites si pression hiérarchique

3. CONSERVATION DES PREUVES

  • Ne jamais détruire de documents

  • Conserver des copies de tous éléments pertinents

  • Documenter chronologiquement les événements

4. PROTECTION JURIDIQUE

  • Consulter un avocat spécialisé en droit pénal

  • Envisager le statut de lanceur d'alerte

  • Se constituer partie civile si nécessaire


CONSÉQUENCES DU SILENCE

Sur le plan pénal

  • Poursuites pour complicité : mêmes peines que l'auteur principal

  • Poursuites pour non-dénonciation : jusqu'à 5 ans de prison

  • Casier judiciaire : difficultés professionnelles à vie

Sur le plan disciplinaire

  • Sanctions pouvant aller jusqu'à la révocation

  • Interdiction d'exercer dans la fonction publique

  • Perte des droits à la retraite

Sur le plan civil

  • Responsabilité personnelle pour le préjudice causé

  • Absence de protection par l'administration (faute détachable)

  • Obligation d'indemniser les victimes sur ses biens propres

Sur le plan professionnel

  • Perte de crédibilité professionnelle

  • Impossibilité d'exercer certaines fonctions

  • Radiation des ordres professionnels le cas échéant


CONCLUSION : UN CHOIX DÉCISIF

Face à la connaissance d'infractions graves touchant aux systèmes de données de l'État ou à l'état civil des citoyens, chaque agent public fait face à un choix décisif :

DÉNONCER = Protection légale + Immunité + Accomplissement du devoir

SE TAIRE = Complicité pénale + Risque de poursuites + Sanctions disciplinaires

Le silence ne protège pas. Au contraire, il transforme un témoin en complice et aggrave jour après jour la responsabilité de l'agent. Lorsque l'affaire éclatera inévitablement, seuls ceux qui auront dénoncé les faits seront protégés par la loi.

La prescription ne commence à courir qu'à partir de la découverte des faits. Un silence de plusieurs années n'efface pas la responsabilité : il l'aggrave.

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