C'est fou ce que ces trois auteurs, Kafka, Orwell et Jarry, sont actuels... Jugez un peu...C'est l'histoire d'un prof de philo, témoin d'un contrôle d'identité un peu tendu à la gare Saint-Charles à Marseille... « Bigre, se dit-il, pourquoi si peu de bienveillance ? Que puis-je faire pour apporter un peu de douceur ? » Il adopte alors une posture théâtrale et lance, en pointant l'index vers les policiers « Sarkozy, je te vois ! »...les gens rient...la tension décroit...
L'extrême insolence
Conduit au commissariat, notre professeur de philosophie, s'excuse de la gêne occasionnée et oubli l'incident... Mais Bon ! c'est le sacrilège absolu... C'est le dictateur qui doit voir, pas le vulgum pecus ! Vous vous souvenez, dans « 1984 », les petites affiches collées partout sur les murs « Big brother vous regarde ». L'effet est immédiat : ça fige les citoyens. Ils ne peuvent plus penser...Imaginez Sarkozy vous observer tranquillement écrire un billet, comme ça, sur Médiapart, en vous pointant du doigt ! Brrr...ça fait froid dans le dos. Là, notre philosophe fait preuve d'une extrême insolence. Il a beau se montrer courtois, il renverse les rôles « Big brother je te vois ! » Le courroux de la puissance publique ne se fait pas attendre...Voudrait-il être calife à la place du calife ? Les fonctionnaires zélés portent plainte...On va lui mettre un procès sur le dos...pour quel motif ? Euh, disons..on cherche...ça y est on trouve...une vieille jurisprudence de 1875 : « bruit et tapage injurieux, diurnes, troublant la tranquillité d'autrui... »
Bruits, tapages diurnes et atteinte à la tranquillité publique
Ici, Kafka n'est pas bien loin, mais Jarry nous fait rire par l'absurde pour en tempérer le tragique. Peut-on parler de bruit et tapage troublant la tranquillité d'autrui en pleine journée dans le brouhaha de la gare Saint-Charles, lorsqu'on prononce la phrase sacrilège : « Sarkozy, je te vois » ? L'avocat du philosophe envisage de faire venir un neurologue pour mesurer le nombre de décibels perçus et évaluer le dérangement causer par l'apostrophe... Mais ça ne marche pas ! On a à faire à des gens sérieux et zélés... L'officier de police judiciaire, qui poursuit au pénal, sort de sa poche une circulaire du ministère de la justice portant « programme national de lutte contre le bruit » qui distingue, hors du tapage nocturne, « les bruits de voisinage, qui peuvent être des bruits domestiques ou des bruits d'activités »...C'est « l'atteinte à la tranquillité publique, qui permet de basculer du code de la santé publique au code pénal » et « nous avons à juger un « perturbateur qui a vociféré » Cornegidouille ! Sans rire ?
Bon... On récapitule. D'après le procès-verbal, le délinquant vocifère à 17h50 et on l'interrompt à 17h55... c'est beaucoup murmure l'officier qui instruit l'affaire... « moi, quand je crie Sarkozy je te vois, ça dure à peine dix secondes. Si ça a duré cinq minutes, c'est qu'il a scandé la phrase au moins soixante fois »
Bon, admettons qu'il y ait eu tapage, mais où est l'injure ?
« Il n'est pas injurieux de prononcer le nom de Sarkozy, tout de même !...Vous imaginez le nombre de gens que l'on pourrait aligner pour injures, si tel était le cas ? » La défense fait vraiment tout ce qu'elle peut, mais elle n'a pas l'air de savoir à qui elle a à faire. « Le caractère offensant de l'attitude – montrer du doigt – suffit à qualifier d'injure la phrase vociférée »...le ministère public demande une amende de 100 euros... jugement le 3 juillet !
Surveillons Big Brother
Cette histoire rapportée par Franck Johannès, dans le journal Le Monde, n'est pas seulement un « fait divers »... Elle est éclairante sur l'état d'esprit du pouvoir et de ses relais. Elle n'est pas un fait isolé...Ce billet voudrait apporter mon soutien à ce professeur de philosophie... et encourager son attitude ... Ne laissons pas Big Brother nous regarder ! Cornegidouille surveillons le ! Merdre alors "Sarkozy, je te vois !"