Je commence.
Accordons nous sur un point : le néolibéralisme – le capitalisme – détruit le monde avec une réussite incontestable. La création de valeurs qu’il met en avant pour seule justification morale ne profite, par définition, qu’à un très petit nombre de personnes. Ecosystèmes, biodiversité et équilibre des milieux n’existent pas pour lui ; ce sont des « contraintes environnementales » ou, au mieux, des « ressources naturelles ». Il réduit toutes les dimensions de nos vies à une supposée valeur marchande. Il impose le règne de la marchandise, transforme tout en produit, êtres humains compris. Tout y passe : les vêtements, les diplômes, le logement, les enfants, les dernières vacances, les paysages, les fruits, la musique, etc.
Je poursuis.
D’un point de vue politique, il a réussi un coup de maître : entretenir la confusion entre le libéralisme politique – les droits des individus – et le libéralisme économique – le pouvoir de l’argent. Le mot liberté n’a pas le même sens pour un opposant politique mis en prison par un pouvoir fasciste que pour un président directeur général devant augmenter la valeur d’une action à n’importe quel prix. Au centre de cette confusion, les droits de l’individu, son épanouissement, son intégrité et, effectivement, sa liberté.
Je constate.
Dominant le microcosme politique, le monde économique s’est affranchit de tout contrôle démocratique. Les responsables politiques ont rendu les armes. Symboliquement, on peut le résumer à une décision : renoncer au contrôle des mouvements de capitaux. Les individus ont beau être libres, avoir des droits, s’ils ne peuvent que subir la loi du capital, ils ne resteront pas éternellement libres, ils n’auront pas éternellement des droits. S’ils constatent l’absurdité, l’injustice, la violence du modèle économique et qu’ils n’ont aucun plus aucun moyen de le réguler, de le réorienter, de le limiter, ils devront réinventer la démocratie en vitesse accélérée. Nous y sommes. Nous le savons. Nous le voyons.
Je suppose.
Nous sommes nombreux et sans doute majoritaires à souhaiter d’autres manières d’être ensemble et d’autres manières d’être au monde. Mais nous sommes isolés, aussi bien socialement que politiquement.
J’extrapole.
A la mise en scène permanente de l’individu correspond une disparition continue des solidarités. De sorte que même les opposants revendiqués au diktat néolibéral doivent respecter ses règles du jeu pour ne pas être marginalisés. Les réseaux sociaux sont la forme la plus aboutie de ce mécanisme. Les alter-ego servent en permanence de faire-valoir à des individus seuls. Poussant cette logique jusqu’à l’absurde, il suggère que l’on a juste besoin des autres pour exister en faisant de la relation inégalitaire – asymétrique – la norme.
Je décline.
Cette « évolution » individualiste est prégnante dans la vie des personnes (emploi, mutuelle, crédit, assurance,…). Elle est aussi significative dans la vie politique. Elle pose le même problème. Les entreprises personnelles ne se sont jamais aussi bien portées. Comme l’individu s’est affranchit des contraintes de la famille, du village ou de la corporation, le responsable politique s’est affranchit des contraintes du parti, des militants et du débat d’idées. Il m’est impossible d’être nostalgique de l’époque où l’individu était écrasé par les traditions ou les institutions. Pour autant, je pense que les individus sont redevables aux autres d’exister. On voit l’idée. Depuis la Révolution française et l’invention de l’égalité, nous avions trouvé une forme simple pour mettre ce précepte en pratique : le mandat. Mot commun au monde syndical, associatif et politique, il permet de désigner un.e porte parole, un.e représentant.e pour un temps limité, après une approbation collective déterminée avec un autre outil: le vote. Les deux termes correspondent à des processus collectifs. Quoi de plus cohérent pour les tenants de la solidarité – des liens qui libèrent – que de les mettre en œuvre dans la vie de leur mouvement pour pouvoir faire de même dans la société toute entière.
Je connais.
D’un point de vue égalitariste, on peut se désespérer du cynisme des leaders politiques agissant comme tout dominant. On pourrait parler de l’incohérence entre les paroles et les actes mais le problème est plus épineux. Il renvoi à l’idée même de l’action politique au sens premier : influencer le cours du monde. Il renvoi aussi à des questions pratiques. Comment réussir à se faire entendre dans une société pour la modifier radicalement ? En fait, on devrait surtout s’inquiéter des conditions d’existence des leaders politiques. Ils deviennent moins les représentants d’un mouvement, d’idées ou d’un programme que d’une image, la leur. Si l’existence politique se réduit à l’existence médiatique, les militant.e.s – les alter-ego vous donnant mandat – se transforment en supporters, en fan club. Le narcissisme des petites différences prend alors une très grande importance. Dans ces conditions, l’atmosphère délétère régnant sur les réseaux sociaux peut avoir des conditions politiques catastrophiques : rendre impossible toute entente entre des personnes globalement d’accord entre elles. La compétition électorale, apanage des leaders, impose sa loi aux militant.e.s.
Je traduis.
En clair, les écologistes, les insoumis, les socialistes, les communistes et les autres se partageant plus ou moins le même électorat l’infantilisent en permanence en surjouant toute différence. Aucun débat de fond entre militants, juste des querelles superficielles de personnalités. Le rapport de force classique entre formation politique pouvant débouché sur un compromis programmatique se réduisant désormais à un spectacle malsain rendant impossible tout accord. Les citoyen.ne.s sont donc pris en otage. Pour parler la langue de l’ennemi et pour souligner une absurdité de plus. La question n’est pas de savoir qui lave plus blanc que blanc mais de gouverner la France. Aucun homme ou aucune femme providentiel.le n’y arrivera seul.e.
Je reformule.
Dans une société de la communication, de l’instantané, les détails anecdotiques prennent une importance démesurée. Les clashs ont remplacé le débat d’idée. Les plans de communication valent pour toute stratégie politique. Les professionnels de l’indignation peuvent facilement apparaître plus sympathiques que les professionnels de la vente à la découpe. Pour autant, s’ils entretiennent le même rapport avec la « société civile » (sic), ils auront beaucoup de mal à mener une autre politique une fois au pouvoir. Autrement dit, les rapports marchands ont tellement cadenassé la société que les mouvements politiques aspirant à en sortir devraient mettre en pratique dès maintenant les moyens concrets le rendant possible.
Je dénonce.
Le confort illusoire de la consommation nuit plus au citoyen – je vote pour quelqu’un de bien, je le like, comme ça se sera mieux, je ne suis pas trop regardant sur le comment du pourquoi – qu’à son représentant – j’adresse un discours destiné à mon segment de marché électoral, je mets en lumière ma marque repère, mon étiquette, mon produit politique. De ce point de vue les idées et leur mise en œuvre sont devenues très secondaires ; les « marqueurs » se suffisent à eux-mêmes. Au coeur de la crise sanitaire, le manager macroniste est apparu ridicule avec ses tableaux excel détruisant l’hôpital public; mais le ridicule ne tue pas alors que les tableaux excel le font très bien. Pour autant, les outils de la destruction néolibérale viennent de plus loin et il faudra beaucoup d’imagination, de persévérance et d’énergie pour s’en débarrasser.
J’insiste.
A vrai dire, il faut déjà concevoir leur remplacement effectif. Ca n’a l’air de rien comme ça mais il vaut mieux s’y prendre longtemps à l’avance. C’est une exigence imposée par le réel, sa transformation est plus compliquée que sa continuation. Le tournant radical que nous devons opérer ne sera possible que si nous donnons aux idées les moyens de leur réalisation. C’est une forme de lapalissade de l’action politique. Elle n’a pourtant plus rien d’évident au vu de ce qu’est devenu « la politique ». Elle met en lumière la nécessité de mettre en mouvement l’ensemble de la société ; ces membres devenant majoritairement d’accord sur l’impasse qu’ils entrevoient, aussi bien dans leur vie personnelle que dans notre vie collective. Cela passe par l’élaboration collective, l’expertise d’usage, la prise de parole. Cela passe par une citoyenneté active. Or, quoi de plus proche d’une campagne électorale qu’une campagne publicitaire. Symbole de l’emprise de l’économie capitaliste sur le monde politique, elle limite très sérieusement sa future capacité d’action en cas d’accession au pouvoir.
J’ai une solution.
A suivre.