René Backmann

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Billet de blog 1 janvier 2015

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Après le rejet de la résolution palestinienne: est-il encore possible de négocier?

La mobilisation des Etats-Unis aux côtés d’Israël pour empêcher l’adoption de la proposition de négociation palestinienne au Conseil de sécurité des Nations Unies pose deux questions cruciales : les Israéliens ont-ils toujours l’intention de négocier ? Les Palestiniens ont-ils encore quelque chose à négocier ?   

René Backmann

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La mobilisation des Etats-Unis aux côtés d’Israël pour empêcher l’adoption de la proposition de négociation palestinienne au Conseil de sécurité des Nations Unies pose deux questions cruciales : les Israéliens ont-ils toujours l’intention de négocier ? Les Palestiniens ont-ils encore quelque chose à négocier ?   


 Le Conseil de sécurité des Nations Unies a rejeté mardi dernier une résolution palestinienne présentée par la Jordanie qui entendait jeter les bases d’une solution pacifique et durable au conflit israélo palestinien. Pour être adopté, le texte devait recueillir au moins neuf des quinze voix du Conseil.  Huit pays ont apporté leur soutien à la résolution (Argentine, Chili, Chine, France, Jordanie, Luxembourg, Russie, Tchad), cinq se sont abstenus (Corée du sud, Lituanie, Nigeria, Royaume Uni, Rwanda) et deux ont voté contre ‘Australie, Etats-Unis).

Selon les Palestiniens, c’est le Nigeria, qui en cédant à l’intense lobbying israélien et américain, ces dernières semaines, a empêché la résolution de recueillir les neuf voix requises. En fait, le changement de cap de Lagos a changé peu de choses au destin de ce texte. Il a simplement dispensé Washington d’avoir recours à son veto, comme c’est généralement le cas lorsque le Conseil met aux voix des textes jugés inacceptables par Israël.

Les Etats-Unis, adoptant la position et la plupart des « éléments de langage » d’Israël, n’avaient cessé de répéter, depuis des semaines, qu’ils s’opposeraient à ce texte. Ils avaient aussi entrepris une intense campagne de démarches diplomatique auprès des membres non-permanents du Conseil pour les inciter à rallier le camp du non ou au mois à s’abstenir. Avec l’espoir – manifestement hors de leur portée - d’obtenir une attitude plus favorable de Washington, les diplomates jordaniens avaient, de leur côté,  apporté de nombreux amendements au document. En vain.

Paris, qui avait mis en chantier son propre projet de résolution, avait fini par se rallier au projet jordanien « poussée par l’urgence à agir, par la nécessité profonde d’une adaptation de méthode » […]  « alors même que la détérioration de la situation sur le terrain commande d’agir sans attendre » comme l’a indiqué dans son explication de vote, le représentant permanent de la France aux Nations Unies, François Delattre.

La menace de la Cour pénale internationale

Mais le soutien de Paris, qui ne passe pas pour une capitale hostile à Israël, n’a été d’aucun effet sur la position obstinée de Washington. En revanche, il a valu à l’ambassadeur français en Israël d’être convoqué vendredi dernier au ministère israélien des affaires étrangères, pour « expliquer » le vote de la France, le soutien de Paris à la démarche palestinienne ayant entraîné « déception et perplexité, côté israélien ».

Comme il l’avait annoncé à plusieurs reprises, le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a signé, le 31 décembre 2014, en réponse au refus du Conseil,  la demande de l’adhésion palestinienne à la Cour pénale internationale (CPI) qui pourrait lui permettre, si la partie palestinienne en faisait le choix, de poursuivre, dans deux mois, des responsables israéliens devant la justice internationale. Tout comme le projet de résolution, cette démarche de Mahmoud Abbas, tenue pour une « ligne rouge » par les Etats-Unis et par Israël a  été violemment critiquée par les dirigeants des deux pays qui ne cessent depuis la semaine dernière de multiplier sanctions et menaces contre l’Autorité de Ramallah. En Israël, où l’un des proches du premier ministre Benjamin Netanyahou affirmait mercredi que le vote de la résolution soumise aux Nations Unies n’était « pas moins dangereux que les roquettes du Hamas » la campagne électorale en cours risque fort d’ouvrir la voie à un chapelet de surenchères en matière de propositions de sanctions contre l’Autorité palestinienne.

La première de ces mesures de rétorsions n’est pas une surprise : comme il l’a déjà fait de nombreuses fois ces dernières années, le gouvernement israélien a annoncé vendredi dernier le gel du transfert de 106 millions d’Euros de taxes à l’Autorité palestinienne. Depuis 1993 et les accords d’Oslo ce sont en effet les services fiscaux israéliens qui perçoivent les taxes perçues par l’Autorité palestinienne sur les produits qu’elle importe ou exporte. Ces fonds, qui sont normalement transférés ensuite à l’Autorité palestinienne représentent près de la moitié de son budget. Et Israël n’entend pas s’en tenir là. « Notre riposte sera beaucoup plus dure et plus globale que le gel du transfert des taxes, a prévenu le directeur général du ministère des Affaires étrangères, Nissim Ben Shetrit, s’adressant à une réunion d’ambassadeurs israéliens en poste en Europe. Nous allons passer de la défensive à l’offensive ».

Vers l’arrêt de l’aide américaine aux Palestiniens ?

Les autres sanctions pourraient aller du retrait des laissez-passer VIP, qui permettent aux dirigeants palestiniens de circuler plus facilement que leurs compatriotes, à des plaintes pour terrorisme, ou complicité de terrorisme contre des responsables palestiniens déposées devant des tribunaux américains. Israël, qui n’a pas ratifié le Statut de Rome, n’est pas membre de la CPI, créée en 2002 pour juger les responsables  de génocides, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, mais pourrait trouver aux Etats-Unis un tribunal disposé à juger des dirigeants palestiniens.

Par ailleurs, des émissaires du gouvernement israélien ont déjà entamé des démarches auprès des membres du Congrès favorables  à Israël pour qu’une loi récente qui prévoit des sanctions américaines contre l’Autorité palestinienne, si elle demandait son adhésion à la CPI, soit activée. Ces démarches pourraient aboutir à l’arrêt du versement de l’aide américaine à l’Autorité palestinienne, évaluée actuellement à 400 millions de dollars par an.

Cette stratégie de la punition n’a pas que des partisans en Israël. L’ancien général Giora Eiland, qui fut le conseiller pour la Sécurité nationale du premier ministre Ariel Sharon, de 2004 à 2006, juge le gel du transfert des taxes « contreproductif » : « si vous cessez les versements à l’Autorité palestinienne, quels sont ceux qui ne seront pas payés, demandait-il la semaine dernière. Une partie de ceux-là sont les policiers palestiniens. Voulons-nous les voir furieux ou voulons–nous les voir continuer à coopérer avec nous ? » « Israël veut-il l’effondrement de l’Autorité palestinienne ? A-t-il mesuré l’impact qu’aura sa décision sur une économie palestinienne chancelante ? interrogeait lundi l’éditorialiste de Haaretz. Vengeance et punition ne sont pas une politique. Et surtout pas une politique intelligente. »

Face au durcissement israélien, à l’hostilité américaine, les dirigeants palestiniens ont décidé de répliquer en présentant une nouvelle fois le texte de leur résolution devant le Conseil de sécurité. Ils comptent sur le remplacement au premier janvier  de l’Argentine, de l’Australie, de la Corée du sud, du Luxembourg, du Rwanda par l’Angola, l’Espagne, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande et le Venezuela, pour obtenir les neuf voix qui obligeront Washington  à utiliser son veto. C’est-à-dire à afficher, une nouvelle fois, devant la communauté international son soutien inconditionnel à Israël, même lorsque sa position diplomatique devient indéfendable.  

Car à lire les versions successives de la résolution jordanienne, à comparer les propositions qu’elle avance à celles déjà contenues dans les négociations et les divers documents diplomatiques accumulés, en vain depuis les accords d’Oslo de 1993, on ne peut écarter une question simple : jusqu’à quelle concession devront aller les responsables palestiniens, quels qu’ils soient, pour que leur offre de dialogue soit jugée acceptable par Israël et son protecteur américain ?

Est-il, en d’autres termes, encore possible, pour les Palestiniens, d’avancer des paramètres pour une négociation en vue d’une solution pacifique et équitable, qui ne soient pas immédiatement récusés par Israël, avec le soutien de Washington, pour des raisons de « sécurité » discutées en Israël même ? Est-il acceptable que le pays  qui possède la plus puissante armée du Proche-Orient, qui détient, seul dans la région, l’arme nucléaire, continue de se présenter, avec le soutien continu de l’administration américaine, en victime potentielle d’un accord de paix qui ne serait pas à ses conditions exclusives ?

Une résolution qui « encourage les divisions ».

Que contenait le projet jordanien ? Réaffirmant les résolutions précédentes du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale et les principes de Madrid, rappelant les propositions de l’Initiative  de paix arabe de 2002, il proclamait « le besoin urgent de parvenir dans les 12 mos, au plus tard, suivant l’adoption de la résolution, à une solution pacifique, équitable, durable et exhaustive mettant un terme à l’occupation israélienne depuis 1967 et accomplissant la vision deux Etats indépendants, démocratiques et prospères ». Il insistait sur la nécessité, pour ces deux Etats de vivre « côte à côte, en paix et en sécurité, à l’intérieur de frontières mutuellement et internationalement reconnues ».

Sur quels paramètres le projet de résolution jordanien proposait-il de fonder cette « solution pacifique » au conflit israélo-palestinien : - des frontières basées sur le tracé du 4 juin 1967, avec des échanges de territoires limités, mutuellement agréés ; - des accords de sécurité garantissant et respectant la souveraineté de la Palestine, notamment à travers le retrait complet et progressif des forces d’occupation israélienne […] durant une période transition négociée dans un délai raisonnable ne devant pas aller au-delà de 2017 ; - une solution juste et négociée de la question des réfugiés palestiniens sur la base de l’Initiative de paix arabe, du droit international et des résolutions pertinentes  des Nations Unies ; - une résolution équitable du statut de Jerusalem en tant que capitale des deux Etats ; - et le règlement juste de toutes les autres questions en suspens, y compris celles de l’eau et des prisonniers.

Reprenant des propositions maintes fois discutées par les deux parties, et parfois déjà informellement agréées, ce projet de résolution était certes perfectible mais ne comportait e réalité aucune innovation politique ou diplomatique réellement choquante. Au point que Paris avait décidé de le soutenir, et Londres s’était contenté de s’abstenir. C’était pourtant encore trop aux yeux des dirigeants israéliens et américains. « Cette résolution encourage les divisions et non un compromis, a tranché l’ambassadrice américaine à l’ONU, Samantha Power. Ce texte n’évoque les inquiétudes que d’une seule partie ».

La veille, le porte-parole du département d’Etat avait estimé que le calendrier fixé par le texte « fixait des délais arbitraires » qui « n’aideraient pas les négociations » avant d’ajouter que les Etats-Unis avaient aussi « des inquiétudes sur les besoins légitimes d’Israël en matière de sécurité ». Venant d’un pays qui a patronné la majorité des négociations vaines engagées depuis 1993, et qui a fourni à Israël la majeure partie de son formidable arsenal de défense, ces remarques pourraient prêter à rire si le sujet n’était  aussi grave. Elles induisent en tous cas des questions cruciales : existe-t-il encore aujourd’hui, pour les Israéliens, comme pour les responsables américains, un terrain pour la négociation ? Et s’il existe, est-il acceptable qu’une seule partie – Israël - en définisse les limites, avec l’appui aveugle des Etats-Unis ?  

La lettre des « 106 »

  Peut-être faut-il rappeler qu’après plus de vingt ans de négociations vaines, pendant lesquels le nombre de colons israéliens en Cisjordanie et à Jerusalem-Est est passé de 195 000 à 550 000, tandis qu’une barrière et un mur de séparation de 700 km étaient construits par Israël, avec la silencieuse complicité de Washington, il n’est peut-être pas absurde d’assigner des délais aux négociateurs. Peut-être faut-il aussi conseiller aux responsables du Département d’Etat inquiets de la sécurité d’Israël, de consulter la lettre adressée début novembre au premier ministre israélien par 106 généraux de réserve, anciens directeurs du Mossad et autres ex-responsables des services de sécurité.

Dans ce document, ces personnalités qu’il est difficile d’accuser de sympathie pour le Hamas, de mépris pour la sécurité d’Israël, d’ignorance des conditions géopolitiques régionales ou d’antisémitisme, affirment qu’Israël a clairement les moyens de mettre en œuvre une solution à deux Etats qui ne mette pas en péril sa sécurité. Evoquant notamment l’Initiative de paix de 2002, dans laquelle la Ligue arabe, offrait à Israël la paix, la reconnaissance diplomatique et des « relations normales » entre les Etats arabes  et Israël, en échange de l’évacuation des territoires occupés jusqu’aux frontières de 1967, avec des échanges de territoires négociés, et une solution de compromis juste et « mutuellement agréée » à la question des réfugiés, les 106, qui rappellent leurs Etats de service, demandent à Benjamin Netanyahu de s’engager dans un processus diplomatique  conduisant à la paix avec les Palestiniens.

« Nous sommes emportés par un mouvement de polarisation croissante de la société et dé déclin moral par la nécessité  de maintenir des millions de gens sous occupation sous prétexte qu’ils représentent pour nous un risque de sécurité, déclarait, il y a deux mois à la deuxième chaîne de télévision israélienne, l’un des signataires de cette lettre, le général Eyal Ben-Reuven. Je ne doute pas que le premier ministre veuille le bien d’Israël, mais je pense qu’il souffre  d’une sorte d’aveuglement politique qui a pour conséquence de le faire vivre dans la peur et de nous faire vivre dans la peur. C’est à cause de la faiblesse de nos dirigeants que nous n’avons jamais pu atteindre un accord avec les Palestiniens ».