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Billet de blog 2 avril 2011

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A Tours, le maire PS décide de changer sa présidente du conseil général.

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La députée Marisol Touraine s’installe au siège de présidente du Conseil général d’Indre-et-Loire à la place de Claude Roiron. Ainsi en a décidé Jean Germain, le maire de Tours. Comment est-ce arrivé ? Et pourquoi ?

Une page de la vie politique en Touraine

I. Les péripéties d’un mandat

L’ « harmonie » du printemps 2008

Il y a trois ans, J. Germain s’était prononcé pour son adjointe de Tours Nord. Soucieux de répartir les responsabilités entre les courants du PS et d’avoir main sur le conseil général pour la première fois de son histoire conquis sur la droite, il avait convaincu les divers prétendant-e-s de s’effacer devant une « fabiusienne » minoritaire dans la fédération socialiste départementale.

Marisol Touraine, la députée de Loches, s’était résignée : elle devait se contenter de son mandat parlementaire. Philippe Le Breton, le maire de la ville voisine, ne voulait pas quitter son poste de maire : président du groupe socialiste sortant, il espérait cette présidence et dut, à contrecœur, renoncer.

En 2008, il y eut seulement quatre femmes élues à la présidence d’un conseil général sur les cent que comptait la France. Jean Germain pouvait s’enorgueillir d’avoir fait progresser l’image de la vie politique. D’autant plus que Claude Roiron se mit dans la tête d’installer le seul exécutif départemental de France où hommes et femmes étaient strictement à parité.

Les divisions du congrès de Reims

En 2008, le « centrisme », celui de Bayrou en particulier, faisait encore illusion en politique. Certains politiques aussi astucieux qu’avertis surent en tirer parti en Touraine. Jean Germain, à Tours, « débaucha » quelques centristes au grand dam du Modem qui les mit (momentanément) à la porte. Ils durent accepter le programme du PS et le maire socialiste fut ainsi en conformité avec les décisions du PS national de François Hollande. Avec talent, Laurent Baumel et Pierre-Alain Roiron, le frère de Claude, surent en faire autant à Ballan-Miré et Langeais pour gagner, parfois de peu, des municipalités ancrées à droite depuis des lustres.

En Touraine, un centrisme diffus, « modéré », était majoritaire dans la droite départementale, au grand dam de l’UMP d’ailleurs, qui y vit la cause de sa déroute aux cantonales. Ph. Le Breton, l’ancien responsable du groupe socialiste, entretenait en effet depuis longtemps des relations marquées par l’estime avec le président battu. Mais dans l’atmosphère de l’après 2007, un débat traversait les rangs du PS pour savoir quelles alliances étaient nécessaires pour lutter efficacement contre le sarkozysme.

La nouvelle présidente était convaincue de la nécessité de consolider le rassemblement à gauche. Par conviction d’abord, et parce qu’elle savait que sa majorité était courte. Mais les divisions socialistes étaient profondes : fin 2008, au moment du congrès de Reims, le PS tourangeau allait donner une majorité aux ségolènistes, emmenés par le député Jean-Patrick Gille, allié au maire de Tours (signataire d’une contribution - La Ligne claire - avec le lyonnais Collomb et le marseillais Guérini) et à Marisol Touraine (une amie d’enfance de Moscovici). Tous deux, cependant, essuyaient un échec très net en arrivant bons derniers dans le vote des motions. Claude Roiron soutenait la motion Aubry et son alliance avec la motion Hamon, se retrouvant dans la minorité départementale. Dès le Congrès, le député J.-P. Gille – qui adore les divisions et sait les susciter pour se poser ensuite en médiateur – lance la bataille contre la présidente Roiron et l’accuse de vouloir mettre la main sur la Fédération en soutenant, ô scandale ! un candidat de la motion Hamon, salarié, ô abomination ! du Conseil général – il n’avait pas grande chance de l’emporter vu les résultats et compte tenu de l’alliance passée avec le maire.

Parallèlement, Ph. Le Breton, en mauvaise santé, ne parvenant pas à surmonter sa déception de n’être point à la tête du département, ouvre les hostilités à l’intérieur du groupe socialiste au conseil général. C’est lui qui avait fait inscrire dans le programme qu’il n’y aurait pas d’augmentation d’impôts, affirmant qu’il y avait les ressources suffisantes. Le problème, c’est que la droite savait elle-même qu’il fallait augmenter les impôts ; mais elle avait réussi à mettre sous le boisseau un rapport mettant en évidence la situation financière catastrophique du département.

La nouvelle présidente et son équipe le découvrent avec stupeur. La droite en profite pour faire oublier ses responsabilités. De vifs débats ont lieu au sein du groupe de la gauche. Alors que même la communiste – fait à remarquer – approuve la position de la présidente, Ph. Le Breton, Alain Michel, le maire de La Riche, et une autre conseillère, entament un processus qui va les conduire à la création d’un groupe scissionniste. P. Le Breton se lance dans des diatribes à la télévision et dans La Nouvelle République. Il est préférable de passer sur les épithètes décernées publiquement à la présidente Roiron. Beaucoup y ont vu un manque de respect d’où le machisme n’était pas absent. Mais l’essentiel est passé sous silence : attaque contre les services publics, refus de rompre avec les orientations fondamentales de la droite centriste…

Comment réagit la fédération du PS ? D’emblée J.-P Gille, le premier fédéral, met sur le même plan la minorité en voie de dissidence et la majorité. Il refuse de blâmer le refus de la discipline habituelle de groupe et les campagnes de dénigrement contre la présidente. Au lieu de convoquer un bureau fédéral où tous les courants socialistes sont représentés, il consulte son seul secrétariat fédéral. Les ségolénistes les plus actifs à Désir d’avenir 37 entament une campagne de soutien aux dissidents au nom du respect des engagements pris. Ils – elles - poursuivront de leur vindicte entre autres une des cofondatrices de leur association, la vice-présidente Monique Chevet, qui refuse de taire la vérité et marque sa solidarité avec l’équipe de la présidente.

2009-2010 : de la scission à la campagne contre les emplois fictifs

Lorsque la scission est acquise, la même majorité refuse l’application des statuts du PS : le constat d’autoexclusion des dissidents. La Nouvelle République fait ses choux gras de ces divisions. Le journaliste qui couvre ces questions se découvrira par la suite en s’affichant sur facebook comme un « ami » de Ph. Le Breton ! (Déontologie…)

La présidente Roiron n’est pas femme à se laisser faire. Elle décide de se séparer de ses deux vice-présidents scissionnistes. Ce qu’aurait fait n’importe qui. Pour tenter de parer le coup, ils finissent par voter le budget en accompagnant leur vote de manifestations d’hostilité, ce qui fit dire à la droite qu’ils n’avaient rien à ajouter après les propos de Ph. Le Breton. Evidemment, la présidente n’a guère de peine à faire démettre les scissionnistes de leurs fonctions. Ces derniers réclament un renouvellement complet, y compris de la présidence : c’eût été l’occasion pour Ph. Le Breton de se faire élire avec les voix centristes. C’était cousu de fil blanc.

Peut-être Claude Roiron aurait-elle dû suivre le conseil de simplement leur retirer leurs délégations. Apparemment, ce n’était pas le souhait du groupe, et elle préfère les situations nettes. Pendant toute l’année 2009, le climat a été empoisonné.

Dès lors, la question de sa gouvernance est mise en avant par ses détracteurs. Il n’est pas facile de mener une équipe quand aucun d’entre eux n’a participé à la direction d’un conseil général, quand on veut rompre avec la politique de guichet mollassonne des cinquante années précédentes, qu’on a l’ambition non de pratiquer les arrangements à l’amiable mais de mener une vraie politique départementale, de gauche de surcroît.

Il en faut les moyens. Or non seulement les finances sont dans un état déplorable mais la comparaison avec bien des départements de taille comparable fait apparaître un budget nettement inférieur (40% par exemple avec le Puy-de-Dôme) : ce sont là des marges d’action dont l’absence se fait sentir. Pendant cinquante ans, la droite a érigé le manque d’ambition en règle de conduite, se vantant de son sens de l’économie. Et quand elle s’est décidée à faire un périphérique, elle l’a conçu à l’ancienne, avec une débauche de béton, avec un engagement du conseil général à 60% des dépenses – ailleurs la participation est de moitié moindre ! La situation financière lamentable trouve là son origine.

La présidente Roiron veut se donner les moyens d’une vraie politique, avec un cabinet et des collaborateurs compétents, des élus qui prennent les décisions alors que l’administration avait pris l’habitude de faire le travail des élus.

Eclate la crise : les ressources venues des taxes immobilières s’effondrent. La droite, relayée par les scissionnistes, parle de dépenses somptuaires. Pour faire face à l’explosion des dépenses sociales, du RSA, à la réduction des ressources voulue par le gouvernement (suppression de la taxe professionnelle, compensation incomplète des dépenses imposées par le pouvoir central…), il faut étaler la réalisation de certains projets. La droite crie au sabotage de l’économie, la présidente crée du chômage… Il faut donc avoir une claire vision politique de la situation, ce qui n’est pas dans la tradition du conseil général, ni même dans celle du parti socialiste local, héritier par de nombreux aspects du parti radical et radical socialiste d’antan. Par certain aspects, Jean Germain lui-même, qui a beaucoup fait pour la Touraine, fait penser à Camille Chautemps, ancien maire, ministre du Front populaire avant de contribuer à l’enterrer et de terminer sa vie politique dans la médiocrité – ce qui mutatis mutandis n’arrivera sans doute pas à l’actuel maire de Tours, c’est à espérer.

Claude Roiron ne pouvait qu’apparaître autoritaire à des maires comme ceux de Joué-Lès-Tours, La Riche (les scissionnistes) ou de Tours qui ne manifestent pas comme des modèles d’ouverture dans leur pratique quotidienne. Un Vert a pu dire pendant sa campagne : « On parle de la gouvernance de Roiron, mais celle de Jean Germain pourrait être tout autant critiquée ». Pour des hommes, cela passe, pour une femme, c’est calamiteux, - bien sûr… Il fallait, bien évidemment, qu’elle écoute bien attentivement et exécute tout ce qu’on voulait lui dire. Elle répliquait : « Demande-t-on à Jean Germain de contrôler sa politique ? Comment réagiraient Le Breton et Alain Michel en ce cas ? »

Evidemment, il faut de la trempe pour supporter un tel régime.

De surcroît, l’année 2010 fut marquée par une violente campagne contre le prétendu emploi fictif de Claude Roiron. Marianne se fit l’écho d’un rapport de la Cour des comptes mettant en cause une liste d’Inspecteurs généraux pour lesquels il y avait suspicion de ne pas accomplir leur travail. Claude Roiron figurait sur cette liste. Curieusement, elle adopta dans ses réponses publiques une attitude dilatoire. Elle disait avoir saisi son supérieur hiérarchique. Elle ne pouvait s’exprimer tant qu’elle n’aurait pas comparu avec lui devant la Cour des comptes. Il fallait attendre. Elle laissa se répandre cette information dont le FN et certains à l’UMP se saisirent. La Cour des comptes finalement reconnut la régularité de son activité à mi-temps demandé. La presse n’en parla pas. Claude Roiron put juste le préciser lors d’un entretien télévisé.

Son silence a trouvé son explication lorsque plus tard, en janvier 2011, fut publiée une lettre de D. Migaud, le nouveau président de la Cour des comptes, à propos d’autres Inspecteurs généraux, parmi lesquels Jean Germain, le maire de Tours et premier vice-président de la Région, dont on ne retrouvait pas de trace d’activité, ou très peu. La Nouvelle République reprit l’information d’une manière sensiblement différente en regard de ce qui s’était passé pour Cl. Roiron. Pour le journal, l’information sortait alors que J. Germain était investi pour les sénatoriales. C’était de bonne guerre et sans grande importance. J. Germain allégua à juste titre que D. Migaud s’était trompé sur son mode de nomination et La Nouvelle République se déclara satisfaite. D’autres journaux firent remarquer qu’aucune réponse n’avait été donnée sur l’activité réelle de l’inspecteur incriminé.

(Voir : http://www.rue89.com/2011/01/24/emplois-fictifs-la-fragile-defense-du-maire-de-tours-187124?page=0#comment-2099060 )

Il est vrai qu’il avait alors pris sa retraite. Mais on comprenait que Claude Roiron avait voulu protéger son « mentor ». Elle sait aujourd’hui les remerciements qu’elle en a reçus.

Prochain article :
II.
Scènes de la vie électorale

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