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Billet de blog 3 mai 2009

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Vers une Europe sociale avec le Parti Socialiste Européen ?

Les temps ont changé. Les élections européennes font apparaître pour la première fois à l’échelle de l’U.E. un affrontement droite/gauche.

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Les temps ont changé. Les élections européennes font apparaître pour la première fois à l’échelle de l’U.E. un affrontement droite/gauche. Il aura fallu attendre vingt ans après la chute du Mur de Berlin pour que le compromis traditionnel entre la démocratie chrétienne et la social-démocratie s’effondre. La dernière mandature, celle qui a porté Barroso à la tête de la Commission exécutive, a livré l’Europe à la vague libérale comme jamais auparavant : certains épiscopats se sont même demandé, en Allemagne par exemple, en quoi les partis dits démocrates chrétiens avaient encore quelque chose de vraiment chrétien… Quant à la social-démocratie européenne, elle a dû, depuis bientôt deux ans, constater que l’alliance qui avait permis de fonder l’Europe l’avait entraînée sur des chemins que n’ont pas voulu suivre bien des citoyens à travers l’Union.

Le bilan de la Commission Barroso n’est pas fameux. Sur le plan social, des projets de directives comme la directive dite Bolkenstein, ont laissé un souvenir attristant. Sur le plan des libertés, les orientations concernant la rétention prolongée des immigrants à la régularité contestée ont choqué bien des démocrates. Sur le plan institutionnel, le résultat n’est pas fameux. Le projet de Traité constitutionnel n’a pu être ratifié. Il n’est pas sûr encore que le Traité de Lisbonne puisse l’être. Philippe Cordery, le secrétaire général du Parti socialiste européen, disait publiquement, il y a peu, en Indre-et-Loire, que bien des responsables de Partis socialistes ou sociaux-démocrates reconnaissaient qu’en cas de référendum chez eux, les traités auraient eu bien du mal à être ratifiés.

Dans une brochure très récente (http://www.jean-jaures.org/essai24/cambadelis_FJJ.pdf), J.-C. Cambadélis et L. Baumel confirment un diagnostic jusqu’ici longtemps discuté à l’intérieur et à l’extérieur du PS :

« à partir des années 1990, [l’]adaptation [de la gauche] s’est essentiellement exprimée à travers un nouveau paradigme « social-libéral » procédant moins d’une volonté d’ajustement de l’offre politique aux nouvelles réalités que d’une recherche revendiquée de rupture avec le logiciel « classique » de la gauche. […]Pendant toute cette période, la gauche européenne a semblé tourner le dos à ce qui fait le cœur du réformisme social-démocrate […], à savoir la conscience des contradictions potentielles entre le capital et le travail, entre la logique de l’efficacité économique et celle de la justice sociale, et la recherche corrélative d’un compromis entre ces intérêts et ces logiques. »

Ce diagnostic est d’autant plus significatif que Laurent Baumel, dans L’Humanité du 31 mai 2008, se présentait encore comme étant « plutôt un représentant de l’aile dite sociale-libérale » du PS. A partir de cet exemple, chacun peut mesurer l’ampleur des évolutions dans la période la plus récente : avec la crise et ses conséquences catastrophiques, une émotion profonde a saisi tous les socialistes, à commencer par leurs élus, quand ils voient, et souvent vivent et partagent les souffrances de leurs concitoyens. Les licenciements, le chômage, la perte du pouvoir d’achat, la croissance des inégalités, la rigueur envers les moins fortunés qui auraient prioritairement besoin de protection sociale, la complaisance envers ceux qui ont profité de la financiarisation de l’économie (le bouclier fiscal…), le sentiment grandissant d’être atteint dans sa dignité d’être humain, appellent les socialistes à prendre sans barguigner leurs responsabilités.

En France, les discussions de fond si souvent méconnues qui ont préparé, accompagné puis prolongé le dernier congrès socialiste, la volonté de dépasser définitivement les divisions des années 2004-2008 sur l’avenir de l’U.E., la décision de la nouvelle direction du PS de reprendre langue avec un mouvement syndical qui a eu l’intelligence de nouer des relations d’unité apparemment durables, ont permis d’entamer un processus qui n’en est qu’à ses débuts mais qui peut déboucher sur des refontes programmatiques attendues dans les deux années à venir.

En Europe, pour reprendre toujours Cambadélis et Baumel, « le centre de gravité de la gauche européenne connaît aujourd’hui un repositionnement majeur, glissant vers une orientation modernisatrice mais authentiquement social-démocrate. La nécessité de l’adaptation idéologique et programmatique à la nouvelle donne historique n’est pas abandonnée. La gauche européenne semble toutefois considérer désormais comme possible et nécessaire d’y répondre de façon clairement distincte du libéralisme et dans une fidélité réelle aux valeurs, aux objectifs et aux instruments qui ont constitué son identité. »

Même les partis qui furent les phares de la démarche blairiste, en dépit de leur contestation interne, ont marqué un tournant : départ du ministre de l’économie espagnol « libéral », retour net de Gordon Brown au keynésianisme, évolution du programme du SPD allemand (rendue au demeurant très compliquée par sa politique de grande coalition en fin de course !). Il est significatif qu’au PSE les Espagnols et les Portugais aient annoncé qu’ils refuseraient de soutenir le renouvellement de la candidature Barroso en dépit des prises de position de leur gouvernement.

Le Parti Socialiste Européen est donc depuis dix-huit mois en pleine mutation politique. Laquelle n’est pas encore achevée, mais le PS français y a joué un rôle spécifique notamment sur les questions de l’Europe sociale et des services publics. Cette mutation se poursuit et est encore appelée à avoir des prolongements. Déjà la déclaration politique, adoptée le 24 avril 2009 à Toulouse, « Citoyens d'abord : Un nouveau sens pour l'Europe », précise le Manifeste.

Ce n’est pas par hasard que le lancement de la campagne européenne du PSE a eu lieu en France, et en un lieu symbolique : Toulouse, « la ville rose », Toulouse la ville qui, après trente-sept ans d’administration ancrée à droite, a mis le cap à gauche. Les socialistes français, comme le PSE, estiment qu’il est possible de rompre avec l’orientation socio-économique clairement « libérale », poursuivie jusque dans la crise, de l’actuelle Commission Barroso que le Parti Populaire européen (soutenu par Sarkozy, Berlusconi et quelques autres se réclamant expressément du néolibralisme) tient à maintenir à la tête de l’Union européenne. Encore faut-il que le PSE, et donc en France le PS, recueille, le 7 juin, le soutien politique qui leur permette de faire pencher la balance vers la gauche. Dans un vote à la proportionnelle d'abord, et ensuite au Parlement européen, rien n’est jamais simple…

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