Ce sera un billet d’humeur. A Médiapart, c’est un droit reconnu et mis en pratique. Ouf ! Merci. On peut dire ce que l’on a sur le cœur.
Il y a peu, l’un de nos journalistes rend compte de l’actualité du jour. Il s’agit du rassemblement des « reconstructeurs » du PS. On en parlait depuis quelques temps, comme d’un phénomène encore obscur. Et voilà qu’enfin après des mois de discussions, discrètes mais continues et, laissaient entendre les sources bien informées, aussi sérieuses qu’approfondies, une réunion de militants et de responsables va enfin avoir lieu : elle est ouverte à la presse.
Or voici ce que j’ai lu dans notre bon Médiapart dès le début du papier (dématérialisé), intitulé « Martine Aubry, sept ans de réfection » : « les “Ateliers de la rénovation”, le rassemblement des reconstructeurs, alliance hétéroclite des courants strausskahnien et fabiusien, à laquelle participent également des proches d'Arnaud Montebourg… »
Stéphane Alliès m’a d’ailleurs répondu : « il s'agit là de tics journalistiques que je réprouve car ils m'énervaient profondément quand je n'étais pas moi-même encore journaliste. »
Il admet d’ailleurs partager, au moins dans une certaine mesure, ce point de vue. C’est son droit de citoyen et le journaliste n’est pas imperméable au citoyen. Ce qui m’a intéressé, avant même d’avoir lu sa réponse, c’est de chercher l’origine possible de la formule. En déplacement, je n’avais que mon ordinateur et Internet.
Je me suis rendu compte que le même jour, « Le Monde » parlait d’ « attelage hétéroclite ». « Désirs d’avenir 37 » s’empressait d’ailleurs de publier l’article sur son site tourangeau. Pour aller vite, il faut sans doute remonter plus loin dans le temps pour trouver la source première où figure le mot « hétéroclite » pour caractériser ces Reconstructeurs » : c’est « Politique.net » du 13 février dernier et son article « Qui sont les reconstructeurs ? » : on y parlait d’ « alliance hétéroclite » puis, en sous titre, de « groupe hétéroclite plein d’arrière pensées ».
Les journalistes savent travailler. Ils ont leurs fichiers. Et ils relèvent les formules qui leur semblent accrocheuses. Mais sont-elles justifiées ? Leur travail est de vérifier la pertinence des formules des autres.
Pour le lecteur de courte mémoire, celui qui vit la politique dans l’ « instant » ou du moins la courte durée, bref le lecteur électeur moyen, la mémoire immédiate, c’est effectivement : « Ah ! Ils s’étripaient et maintenant ils se raccommodent ! »
Mais il y a un autre temps de référence. Et ce devrait être celui de tout journaliste au courant de son job, c’est le temps long. Enfin ! On ne lui demande pas d’être archéologue, mais d’avoir une expérience en recul et quelques connaissances de l’histoire du temps présent.
Nos responsables socialistes savent très bien que le début du processus de défaite a commencé avec le référendum interne du PS sur le Traité constitutionnel européen, alors que quelques mois auparavant la campagne des élections européennes menée sur un programme en faveur de l’Europe sociale avait été un succès, prolongeant les succès cantonaux et régionaux.
Il convient donc de renouer les fils à partir de là. Beaucoup de socialistes pensent que Mitterrand, à la différence de François Hollande, aurait engagé la campagne du referendum sur le thème : Oui à l’Europe sociale ! Non aux manœuvres de Chirac ! Avec pour conséquence un appel à ne pas participer au scrutin. Ce qu’il avait fait en 73 face à Pompidou. Ce qui aurait changé la suite des événements, même dans le cas, quand même probable, où le référendum aurait donné un non victorieux. A chacun d’apprécier.
L’expérience des quatre dernières années avec les camouflets reçus par les partis sociaux-démocrates européens a joué aussi son rôle. La tentation (social-)libérale fait flop. En outre l’analyse des résultats de la présidentielle française est claire : Verts, communistes, extrême gauche ont été asséchés par le vote utile et le souvenir traumatisant de 2002. Mais cet électorat n’en pense pas moins et se manifeste dans d’autres élections. Une autre partie de l’électorat de gauche s’est refusée à faire confiance à la candidate du PS et est allée vers Bayrou : elle ne lui est pas définitivement acquise et il convient de la reconquérir, ce qui n’est jamais simple. Par exemple Allègre a fait perdre au PS beaucoup d’enseignants et ils ne sont pas tous revenus au vote PS, loin de là.
Il s’agit donc de renouer des liens idéologiques et politiques internes. Cela ne s’est pas fait sans efforts chez les reconstructeurs, apparemment. Mais les progrès ont été plus rapides que prévu parce que le PS a un fonds commun et une pratique politique en commun par delà les différences d’approche. Il s’agit encore de consolider, d’éviter les susceptibilités de personnes. Le travail n'est pas fini.
D’ores et déjà se sont rassemblés un courant social-démocrate traditionnellement solidaire des partis socialiste de l’UE hostiles aux alliances à leur gauche, un courant social-démocrate d’union de la gauche issu de la période mitterrandiste, un courant laïque chrétien de gauche issu de l’élargissement du PS en 1974 (Delors). Il s’agira maintenant, pour que PS ne soit pas seulement une social-démocratie mais un parti socialiste, de jeter plus loin les bases d’un rassemblement avec les courants dits de gauche qui, dans un premier temps, voudront sans doute se compter (Mélanchon, allié à Fabius au dernier congrès, Benoît Hamon, apprécié bien au-delà du NPS, Emmanuelli que Fabius soutint à l’investiture de 95 contre Jospin…)
Le rapprochement avec ces courants, en raison de leur composition, impliquera un rajeunissement générationnel pour les plus hautes responsabilités. Cela ne signifie pas : « Les vieux au rencart ! » Mais la rotation des responsabilités, et la remise en cause du cumul des mandats sont plus indispensables que jamais : nous sommes dans un siècle moins de vieillissement, comme on le répète trop souvent, que d’allongement de la maturité (10 ans de plus en 40 ans, je crois).
Rien n’est jamais simple au PS et rien ne peut être prévu rigoureusement. Ne serait-ce que parce que certains anticipent toujours sur l’avenir, notamment quand ils se sentent en difficulté sur le moment. Mais les étapes sont tracées en pointillé.
L’enjeu est de taille. Il s’agit, comme tous les commentateurs l’ont compris, de savoir si le PS reste un parti de gauche pour pouvoir s’ouvrir à d’autres qui accepteront son programme, sans mettre en préalable le renoncement à ses alliances à gauche, ou s’il deviendra un parti de centre gauche, infléchissant sa politique vers la droite en privilégiant à terme (2012 ?) l’alliance au centre-droit. Une telle alternative ne peut être subtilement occultée par un combat des chefs qui n’est pas d’actualité et qui affligera tous ceux qui attendent que le PS retrouve enfin son rôle d’opposant majeur et crédible à Sarkozy et l’UMP.
On est loin donc des oppositions entre présidentiables, même si deux candidats laissent entendre ou disent haut et fort que c’est de cela qu’il s’agit, et qu’il ne peut y avoir de débat qu’à partir de personnes incarnant (accessoirement ? ça se vérifiera vite) un programme. Et l’on donne l’exemple de …Nicolas Sarkozy. Il serait dommage que les journalistes sérieux (je sais : la pression médiatique est forte) veuillent se polariser sur le nom du futur candidat au poste de F. Hollande. N’est-ce pas surprenant ? Voici que tout le monde s’intéresse à Martine Aubry. Qu’on essaie d’apprécier où elle en est de son parcours marqué par des difficultés, est légitime. Mais pour qui connaît le PS et les discussions au cours desquelles se décident les alliances internes, c’est un peu comme au conclave : « Qui entre pape, en sort cardinal. » Il y a des exceptions : Benoît XVI par exemple. Je crains que cette comparaison ne soit pas du goût de tout le monde…
Je suis de ceux qui pensent que dans les PS européens, il y a du bon : par exemple, le premier responsable du parti est naturellement appelé aux responsabilités premières. Mais en France, aujourd’hui, et j’espère que ce ne sera plus le cas dans quelques années, ce serait entrer dans le jeu des écuries où ce qui conditionne les alliances, c’est plutôt la carrière politique des uns et des autres, et non pas la politique à élaborer. La dyarchie Président - Premier ministre pose d’ailleurs problème. Montebourg, dans une perspective très « VIe République » suggère que le ou la premier(e) secrétaire ait vocation à devenir premier ministre. Pourquoi pas ? Cela signifierait qu’il serait le porteur de la politique gouvernementale et que le (la) Président(e) ne joue plus le rôle prééminent qu’il a joué depuis 1958.
Le deuxième aspect positif que je relève en d’autres PS (ou d’autres partis à droite), c’est que les candidats qui n’ont pas réussi à mener leur parti à la victoire, même s'ils n'ont pas démérité, passent la main. De plus en plus de socialistes et de gens de gauche en France semblent adopter cet avis.
Etudier le PS tel qu’il est, permet donc d’éviter de recourir à des qualificatifs péjoratifs et peu pertinents comme « hétéroclite » (on songe à l’usage péjoratif que certains ont fait des décennies durant du mot « éclectique »). Les reconstructeurs formeraient selon « Le Monde », un « cartel des non » (contre SR et BD) : encore une formule qui empêche de penser et que le PC en un temps ancien a utilisé contre les alliances du PS au centre et à droite. Nous avons eu une période où le mot « éléphant » a servi de repoussoir. Avec « éléphant » on avait tout dit, c’est-à-dire rien dit du tout. Désolé, mes amis, je pense d’abord à Rudyard Kipling, cet humaniste, au « Livre de la Jungle ». Pour moi l’éléphant est intelligent, a de la mémoire et devient avec l’âge un symbole de sagesse.
A nos journalistes de se méfier des mots qui empêchent la réflexion en politique.
A Médiapart, on devrait pouvoir leur faire confiance.