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Billet de blog 5 mai 2008

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Mon Mai 68 à moi...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A l’étudiante qui m’a demandé ce que je pensais de mai 68

Quand je me rappelle mai 68, le souvenir qu’il m’en reste ne correspond pas tout à fait à l’image qui, de décennie en décennie, est devenue la vulgate de la presse, de l’édition ou de la politique. Et comme c’est une vulgate, on ne discute plus qu’à la surface de ces « événements », comme on les a appelés à l’époque. Ce terme, très neutre, ne m’a jamais satisfait : au moins avait-il l’avantage de ne pas céder à la pression de ceux qui juraient, crachaient que nous avions vécu une révolution – ou tout au moins qu’une révolution avait failli tout emporter : De Gaulle, la Ve république, la bourgeoisie, le capitalisme, l’université, que sais-je encore ? « Mai 68 » c’est comme le « Front populaire », c’est une expression qui en elle-même déborde toute définition.

La politique ou le verbe ?

Le jeune étudiant de maîtrise que j’étais – c’était alors un diplôme nouveau qui venait tout juste de supplanter le vénérable Diplôme d’Etudes Supérieures – ne pouvait supporter la logomachie de l’époque. Provincial monté à Paris, j’étais entré deux ans auparavant dans une grande école et j’avais découvert les joutes oratoires des maoïstes, des trotskistes. J’avais même connu un anarcho-trotskiste brillant mais mal dans sa peau. On avait un peu sympathisé. J’appris plus tard qu’il était gay. Il s’est fait remarquer par une plume brillante ; c’était un véritable écrivain. Le SIDA, hélas ! l’a emporté prématurément ; il en fut une des premières victimes.

Dès mon arrivée à Paris, j’avais été effaré par la propension au verbe révolutionnaire qui caractérisait le quartier Latin. J’avais entendu un jour un « grand chef » maoïste parler d’un trait et débiter Marx, Lénine, Staline, Mao, sans oublier Giap. Il les avait tous mis en fiches et les avait assimilé(e)s. Beau travail de mémoire et du même coup de rhétorique.

Maoïstes et trotskistes avaient mis au point leur révolution dans les livres. Ils pratiquaient la révolution du livre : tout acte devait être confirmé par une référence à un classique de la révolution sous peine de se révéler contre-révolutionnaire ou de n’avoir aucune raison d’être. C’était des révolutionnaires de la chaire.

Bien sûr, ils n’étaient pas d’accord entre eux. Les maoïstes soutenaient que Staline avait eu raison de se débarrasser de Trotski ; tout juste admettaient-ils qu’il n’avait pas adopté les bonnes méthodes et que Mao s’y serait pris de meilleure manière, comme le prouvait « la GRCP », c’est-à-dire : la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne… Pour moi, le maoïsme était le trotskisme de notre temps. Ce qui me valut l’inimitié méprisante des uns et des autres.

Enfant rebelle de socialistes

Je suis né dans une famille socialiste depuis la fin du XIXe siècle. Mes parents parlaient avec émotion du Front populaire et de Léon Blum. Lorsque j’ai eu trente ans, mon père m’a envoyé une lettre où il m’expliquait l’heureux souvenir qu’il avait de cet âge : précisément celui qu’il avait au moment du Front populaire. Et combien de fois ai-je entendu ma mère répéter que pour faire de la politique, il fallait « être avec les ouvriers ». Elle était femme au foyer, mariée à un prof de collège qui l’avait épousée alors qu’elle était « fille mère ». Elle lui fut éternellement reconnaissante d’avoir « donné un nom » à sa fille. Eh oui ! Voilà comment on parlait encore lorsque j’étais jeune.

La logique familiale voulait que je fusse socialiste. A 18 ans, j’ai rempli un bulletin d’adhésion à la SFIO. Je l’ai remis à un ami qui me répondit, plusieurs semaines après, que je serais invité « un de ces jours ». Un an après, il ne s’était toujours rien passé. La politique ayant horreur du vide, les cours de philosophie de deux de mes professeurs avaient tracé leur sillon. L’un et l’autre étaient marxistes, et de sacrés philosophes ; l’un bifurqua ensuite avec talent vers la sociologie. Plus tard, ils furent, l’un puis l’autre, au Comité central du PCF. Je puis témoigner que ce que je suis, je le leur dois pour une bonne part, même si je ne les ai pas suivis jusqu’au bout.

Ils m’ont appris à penser. L’un et l’autre enseignaient avec insistance qu’il fallait beaucoup lire car les bonnes idées ne courent pas les livres et qu’il faut du temps pour les découvrir. Et surtout ils ajoutaient que tout n’est pas dans les livres et qu’il fallait lire avant tout « le grand livre du monde ». Ils m’avaient appris que le marxisme n’est pas un dogme mais un guide pour l’action et qu’il faut accorder toute son attention à quiconque veut penser la libération de l’homme. D’avance, j’étais vacciné contre les virus trotskistes et maoïstes.

En 1968, la SFIO avait, depuis près d’un quart de siècle, Guy Mollet à sa tête. Cet ancien prof d’anglais – dont la femme avait travaillé « à la Poste », me répétait-on, – avait toujours l’estime de mes parents. Mais pour un jeune comme moi, la guerre d’Algérie, son ralliement au oui à De Gaulle en 1958, le discréditaient. Certes il avait donné une troisième semaine de congés payés en 1956 et avait ainsi prolongé le Front populaire, mais cela ne faisait pas le compte. Dès la fin de 1966, j’avais adhéré à l’UEC. C’était l’époque où « les Italiens », puis les diverses tendances gauchistes, en avaient été exclus. Je ne m’en préoccupais guère : la politique pour moi ce n’était ni le verbiage ni la logorrhée. Ce que je voulais, c’était l’union de la gauche comme on en avait vu les débuts en 1965 avec Mitterrand aux élections présidentielles. La SFIO, qui s’était associée à quelques autres clubs (dont la Convention des Institutions Républicaines de Mitterrand) dans la Fédération de la Gauche Démocratique et Sociale (FGDS), n’en voulait pas. Les gauchistes y voyaient une trahison de la révolution. Le PC la voulait, avec un programme de gouvernement. Le choix était donc simple. Voilà dans quel état d’esprit je me trouvais en 1968

Le mai d’un étudiant rebelle au gauchisme

Mai 68, pour moi, a commencé le 3 mai dans l’après midi. Encore ne m’en suis-je vraiment rendu compte que quelques jours plus tard. Le matin, quand j’avais lu l’article de Georges Marchais fustigeant les « groupuscules gauchistes » et montrant du doigt « l’anarchiste allemand Cohn-Bendit », cela ne me semblait que du quotidien relativement banal. L’article était bien « torché » ; je me suis souvent demandé par la suite qui avait tenu la plume, ce qui ne veut pas dire que le futur secrétaire général du PCF ne relisait pas les textes publiés sous sa signature et se désintéressait de sa rédaction… Cet article a-t-il fait du bruit ! Pour ce qu’il disait et surtout pour ce qu’il ne disait pas : relisez-le, il est en fac simile dans le 1968 récemment paru au Seuil. Vous n’y trouverez nulle part que Cohn Bendit y ait été traité de « juif allemand » comme celui-ci l’a laissé entendre et répéter à l’époque. Cela indignait évidemment.

L’après midi j’avais été invité pour une réunion dans le XVe arrondissement. On discuta d’une manifestation prévue pour la fin de la journée. On décida qu’il faudrait écrire des articles sur Marcuse (ils parurent quelques mois plus tard…). Je repris le métro et en sortant de la bouche du métro Saint-Michel, je sentis une odeur bizarre, mes yeux pleuraient : je venais de découvrir l’effet des gaz lacrymogènes. Tout semblait calme. Je rentrai chez moi retrouver ma jeune épouse et ma petite fille de trois mois. J’appris que la police avait chargé vers la place Maubert. Il avait fallu fermer les fenêtres et mettre à l’abri le bébé. Rassurez-vous, il ne fut pas intoxiqué. En revanche, les moustiques ne résistèrent pas aux interventions gazières de la police : l’été 68 fut un été exceptionnellement sans piqûres.

Au début, nul n’imaginait ce qui allait se passer. Personne ne comprenait comment on avait pu lancer la police, bouclier et matraque au poing, fusil lance lacrymogènes à l’épaule, contre des étudiants, contre la jeunesse intellectuelle, le fleuron de l’avenir. Contre des manifestations ouvrières ou paysannes, cela relevait de l’habitude et même de l’histoire. Contre des étudiants, non. Le mot d’ordre CRS, SS ! s’explique par le souvenir encore récent de la guerre où nul n’était à l’abri de la répression. Cependant il n’était pas très pertinent car bien peu pouvaient croire que De Gaulle, l’homme du 18 juin, était un dictateur voire un fasciste. Ceux qui l’avaient laissé entendre en 1958 après le 13 mai, avaient dû constater leur erreur politique. Le malheur, c’est qu’aujourd’hui encore on assiste encore à ce genre de simplisme catastrophique.

La semaine qui suivit fut une semaine d’effervescence permanente. A quarante ans de distance, je me souviens d’avoir été fort peu chez moi. La concierge de l’immeuble où j’habitais me regardait d’un sale œil car elle redoutait que je ne lui attire des ennuis : les concierges recevaient, semble-t-il, des visites en képi ou en chapeau mou. « Fermez bien la porte ! » me répétait-elle. Il y avait beaucoup de réunions et assez vite on s’accoutumait à l’idée qu’il n’y aurait pas d’examen avant les vacances.

Le 10 mai

Une manifestation se préparait. Les partis politiques et les confédérations syndicales ne voulurent pas qu’elle ait lieu le 8 mai. Il n’était pas question pour eux que la fête de la victoire sur le nazisme puisse être ternie par des violences policières. Elle eut lieu le 10 mai. Manifestation important : les radios étaient là à enregistrer les mots d’ordre, les chansons... Si je me souviens bien, ce fut ce jour que sortit une édition spéciale de Combat, un recto verso distribué gratuitement. Un article ne me plut pas du tout (je ne sais plus pourquoi aujourd’hui). En ces temps de libre parole, je me mis à clamer mon indignation. Au début, certains me disaient : « C’est gratuit, c’est pour se faire de la publicité ! » (on ne disait pas encore « de la pub »). Puis arrivèrent quelques gauchistes convaincus qui proclamèrent le droit à la révolution, incendiant (en paroles) les syndicats traîtres, les faux révolutionnaires, etc. Le jeune gars qui distribuait la feuille et qui pensait avoir trouvé un boulot peinard avec une petite paie supplémentaire pour joindre les deux bouts, commençait à se demander ce qui allait lui arriver. Il constata qu’on ne s’intéressait pas à lui et s’éclipsa discrètement : comme cela se comprend ! Des copains vinrent me chercher : « Perds pas ton temps, tu ne les convaincra pas ! » Peu après, ils me dirent : « Tu as un sacré culot ! Mais tu avais envie de te faire casser la g… ? Dis donc, pendant la guerre, c’était un coup à te faire fusiller ! » La manifestation était en train de se disperser, et nous, nous avions reçu la consigne à l’UEC de ne pas rester sur place parce que la police risquait de charger.

Ce fut la grande nuit des barricades. Comme le soir j’avais travaillé à mon mémoire de maîtrise, je ne l’ai su que le lendemain matin par un coup de téléphone très matinal : on me demandait de venir à la permanence de l’UEC d’urgence. Je m’exécutai, la concierge, à peine réveillée, levant les bras au ciel derrière sa porte vitrée. J’aurais pu dormir un peu plus longtemps car le numéro spécial de L’Humanité n’arriva pas aussi tôt que prévu… J’eus l’occasion de voir les restes de la nuit chaude. C’était impressionnant. J’avais travaillé sur la Commune de Paris au cours de l’année : cela m’évoquait des souvenirs d’histoire – les cadavres en moins, heureusement ! Mais je ne voyais pas comment on pouvait prendre le pouvoir avec de telles barricades, ni même tout simplement avec des barricades. Des historiens sérieux ont parlé de mai 68 comme d’une « Commune étudiante ». Mon problème, c’était que la Commune avait échoué, même si elle a eu une postérité. Et les remakes ne m’intéressaient pas.

Les grèves dans les entreprises, les administrations, les grands magasins, les lycées, les écoles se généralisaient. Contrairement à ce qui se dit encore, les grèves avaient commencé avant, même si ce n’était qu’un début, les syndicats en étaient partie prenante le plus souvent, et le combat continua… Mon souci, c’était qu’on n’envoie pas la police ou l’armée pour les écraser. Je me rappelais juin 1848, mai 1871, et le drapeau rouge, « rouge du sang de l’ouvrier ». Les copains me disaient, ils n’avaient pas tort : « L’armée est une armée de conscrits, et c’est elle qui a mis en échec le putsch des généraux. » Et certains ajoutaient : « elle pourrait, en revanche, cogner les gauchistes fils à papa, car ce ne sont pas des intellos qui seraient sur le terrain pour enlever des barricades » ( sic !)…Le 13 mai

La riposte aux violences du 10 (qui furent limitées, on le sait maintenant, grâce au sang froid et au civisme du préfet Grimaud qui ne voulait pas s’engager dans une aventure sans un ordre écrit du pouvoir), fut la grande manifestation du 13 mai. Jour symbolique. « Dix ans, çà suffit ! »Tel était le mot d’ordre, sans compter tous les autres et ils étaient nombreux… Il avait surgi, paraît-il, spontanément dans une manif des jours précédents et avait été repris longuement. Le dixième anniversaire de la Ve république fut donc triste pour son fondateur.

Jamais je n’ai vu de ma vie une manifestation aussi longue. La tête en était déjà arrivée place Denfert-Rochereau que nous piétinions toujours sur place à la gare de l’Est derrière et devant des cohortes de manifestants. Quand je suis arrivé, cela faisait cinq heures que la tête de la manif avait rejoint le Lion de Belfort et il y eut après nous encore une heure de défilé. Les photos sont impressionnantes à regarder aujourd’hui encore. Malheureusement, celles qui sont publiées et republiées ne nous montrent plus les innombrables banderoles des syndicats de la CGT, de la CFDT, de FO et de la FEN. Tout le monde du travail était là et pas seulement les étudiants ou les lycéens qui venaient de se joindre à eux.

A Paris, les étudiants de l’UEC rencontraient régulièrement des responsables communistes. Je n’en retiendrai que deux. Il y avait le responsable du PCF pour la jeunesse, René Piquet, un ancien blésois qui avait l’esprit fin et gardait toujours un calme olympien. Il nous expliquait qu’il ne fallait surtout pas se laisser prendre d’impatience. Les communistes n’étaient pas en tête des manifestations comme pour le Front populaire : il ne fallait pas s’imposer. Le mouvement était divers, mais la préoccupation première, en 1968, devait être de rassembler et de veiller à ce que les intérêts des salariés soient préservés ; l’essentiel c’était d’obtenir des résultats dans les futures négociations d’entreprises et dans les négociations avec le gouvernement. Sur cette base, on pouvait espérer progresser vers l’union de la gauche.

Guy Hermier, le secrétaire général de l’UEC, qui devait avoir à l’époque 26 ans, était un organisateur remarquable et un fin politique. Comme il venait d’être élu au Comité Central du PCF, il était traité de stalinien. C’était en tout cas un vrai étudiant. Après 68, il passera avec succès son agrégation de lettres modernes. Il a réussi à rester au Bureau politique tout en étant un authentique rénovateur dans les années 80. Il est mort prématurément et je garde de lui le souvenir d’un esprit distingué et d’un homme chaleureux, honnête et humain.

La vie militante dans le Paris de mai 68

La vie est rapidement devenue bizarre. On marchait beaucoup dans Paris. Pas de métro, pas de bus, pas de trains. L’essence était rationnée et réservée aux ayants droit, les médecins par exemple. Pour aller à une manifestation, il fallait parfois traverser à pied la moitié de Paris. Les journaux n’étaient pas ou peu distribués en kiosque. La vente militante prenait le relais. Le soixante-huitard pur jus vendait Action, né du mouvement même de 68, le maoïste L’Humanité nouvelle, le trotskiste Rouge. Moi, je vendais Le Nouveau Clarté devant mon école. Un jour le directeur passa devant moi avec un grand sourire amusé et me lança deux alexandrins bien troussés que j’ai malheureusement oubliés. Mais je me rappelle qu’il y avait de l’humour et une certaine gentillesse. Une autre fois, un ponte de la Sorbonne, qui devint plus tard membre de l’Institut, m’apostropha et, tout en essayant de camoufler sa colère, m’adressa quelques mots bien piqués de la réaction. Et je ne parle pas de l’inénarrable Frédéric Deloffre, qui mordit quelques années plus tard un étudiant au mollet dans la cour de la Sorbonne. Un jour il passe à côté d’un copain et de moi, il jette nos affiches et nos tracts par terre. Nous le reconnaissons : « Mais c’est Deloffre ! » Et lui de partir à reculons : « Ne me touchez pas ! Ne me touchez pas ! » – « Pas de danger ! On ne veut pas se salir ! » Nous n’étions pas très respectueux envers l’universitaire qui avait consacré les meilleures années de sa vie à élaborer les caractéristiques du marivaudage. Heureusement pour lui – il vient tout juste de mourir, – c’est ce qu’il reste peut-être de mieux pour sa mémoire !

La fin de mai 68

On s’ennuyait de plus en plus. Les étudiants rentraient chez eux. Les « occupations » faisaient partie de la vie quotidienne, prenaient un caractère banal. De temps en temps on allait jeter un coup d’œil pour voir ce qui était devenu une curiosité pour l’histoire. Cohn Bendit était déjà expulsé depuis un bout de temps.

La gauche « non communiste » tenta de récupérer la mise lors du meeting de Charléty avec Mitterrand et Mendès France – présents et silencieux ce jour-là mais plus bavards le lendemain – en tentant de mettre les communistes sur la touche mais aussi la SFIO : la FGDS ne s’en relèvera pas. De Gaulle, qui depuis début mai avait eu le temps de partir en Roumanie, d’en revenir pour faire un discours annonçant un nouveau référendum, de l’annuler presque aussitôt, de s’envoler discrètement pour Baden - Baden chez Massu, d’en revenir aussi, décida de dissoudre la Chambre. Les gaullistes s’emparèrent à leur tour du pavé – et manifestèrent sur les Champs Elysées, c’est plus chic.

Alors commença la campagne législative à laquelle j’ai participé activement : c’était pour moi la première fois. Les gauchistes hurlèrent à la trahison des partis de gauche. Un bon nombre stigmatisèrent les « Elections – Pièges à cons » et se gobergeaient de ceux qui allaient « veau-ter » : le sens civique était à l’honneur chez les gauchistes ! Les communistes réclamaient un « gouvernement d’union populaire », la SFIO et ses alliés étaient mal à l’aise depuis un Charléty qui n’avait pas tourné à leur avantage. Le ticket Mitterrand - Mendès France devint l’année suivante un ticket Defferre – Mendès France et le résultat fut encore plus franchement piteux, mais Mitterrand avait compris qu’il fallait une autre voie pour la gauche « non communiste ».

Le résultat est connu : pour la première fois en France, le suffrage universel donnait la majorité absolue à un parti. De Gaulle, au moment où il constatait l’échec de ses dix années de pouvoir, réussissait à faire la République qu’il avait voulue, avec un parti présidentiel majoritaire. Dix mois plus tard cependant, il démissionnait : le peuple ne voulait plus de lui.

Voilà comment j’ai vécu mai-juin 68.

Cohn Bendit, symbole de la vie nouvelle

Vous allez me dire : Et Cohn Bendit ? Ce fut l’une des premières créations médiatiques de la Ve République. La précédente tentative, avortée, fut celle de M. X, quand pour préparer les élections présidentielles de 1965, L’Express tenta de lancer avec Gaston Defferre une alliance au centre : ce fut un échec.

Cohn Bendit à l’époque fascinait certains organes de presse. Ce n’était pas un paumé. On savait qu’il ne roulait pas en 2 CV (comme moi avec mes premiers gains). Son discours anar, disons plus sérieusement libertaire, son éloge de la spontanéité des masses qui pourtant fleurait bon son XIXe siècle (eh ! oui), son insolence en ont fait une vedette. C’était un comédien de talent. Il a su se servir de la presse qui le lui a bien rendu : L’Express lui a même payé contre photos un voyage de promotion de son image en Allemagne et aux Pays Bas, si je me souviens bien. Cohn Bendit avait l’avantage d’être un contre feu à l’échec de la campagne pour M. X. Médiatique, il était, mais sur le plan politique, c’était plutôt léger. Au fond pour lui, la « révolution », c’était un état d’esprit. On est facilement révolutionnaire ainsi.

Son insolence antiautoritaire renouait cependant avec des courants socialistes que le développement de la IIe puis de la IIIe Internationale avait refoulés. Quand il parlait, il « faisait un tabac », ce qui ne l’empêchait pas parfois de se faire siffler ou huer, même par des étudiants (pour lui, ce ne pouvaient être que des « stals » !). Il suffit de comparer la manière dont s’exprimait le joyeux trublion de Nanterre et les responsables de la gauche : sa gouaille ringardisait Guy Mollet et son côté prof sérieux, tout comme elle plombait Waldeck Rochet dont le son savoureux accent bourguignon ne pouvait faire oublier qu’il lisait un texte même pour une interview à la radio ou à la télé en noir et blanc (il n’avait pas le talent oratoire de Jacques Duclos qui fit merveille à la présidentielle de 1969 !). De Gaulle lui-même qui savait parler et écrire, qui avait du style, était un vieillard. A force de chanter la Marseillaise, il l’avait démonétisée. Etonnez-vous que L’Internationale ait dominé les manifestations de 68 ! En un sens, ce chant ouvrier était une réplique à la fierté non pas nationaliste mais nationale de De Gaulle (il voulait l’Europe de l’Atlantique à l’Oural, ce qui d’ailleurs est à peu près réalisé aujourd’hui).

Et puis Cohn Bendit était jeune. Il avait l’âge du baby boom qui découvrait la vie adulte sans avoir connu personnellement les horreurs de la guerre (39-45, l’Indochine, l’Algérie, l’OAS et ses attentats). La France était enfin reconstruite. Sa jeunesse ne voulait plus des restrictions que les parents avaient connues et leur avaient encore imposées dans leurs toutes jeunes années. Le transistor, la télévision, le magnétophone, la voiture (celle de Cohn Bendit était belle), le 45 tours et le 33 tours, le rock et le twist, le cinéma en couleurs, l’électroménager, comment voir autrement la vie ? Ces aspirations étaient celles d’une génération nouvelle mais ce seront aussi celles des générations suivantes : le processus s’est accéléré depuis 1968, avec la télévision en couleur, la calculette de plus en plus perfectionnée, le lecteur de cassettes, le CD puis le DVD, le microordinateur, le téléphone portable…! Un formidable appétit de vivre se confond avec un immense désir de profiter de tous les biens qu’offre le monde moderne. Vivre ce n’est plus prioritairement travailler et produire, c’est consommer. Le travail productif est définitivement subordonné à la consommation, pour le meilleur comme pour le pire.

Dans cette perspective, des slogans comme « il est interdit d’interdire » ou « sous les pavés la plage » prennent un sens particulier. Ils expriment le rêve d’accéder à la plénitude de la vie matérielle par delà tous les obstacles. Tout ce qui s’y oppose est insupportable. C’est sans doute le lien secret qui réunissait tous les jeunes de tous milieux. C’est sans doute aussi ce qui explique aujourd’hui les réactions de la jeunesse pauvre qui vit comme une discrimination injuste l’impossibilité de bénéficier de ce qui est le plaisir de la vie.

Ce que nous dit mai 68

Mai 68 aurait apporté la libération sexuelle. Elle existait déjà, même si, malgré l’apparition récente de la pilule, on « travaillait trop souvent sans filet », comme on le disait alors. Je ne fus pas le seul à endosser une paternité qui semble aujourd’hui précoce mais qui n’était pas anormale, statistiquement parlant. En fait, ce qui a fait scandale en mai 68, ce furent quelques scènes de sexualité « publique » à l’intérieur de la Sorbonne occupée, et ce scandale se répéta trois ans plus tard à la rue d’Ulm. Ce fut un symbole, pour les uns de perversité, pour les autres de vérité : pourquoi les faux semblants ? pourquoi se cacher quand on s’aime ou se désire ?

La libération sexuelle était donc déjà acquise, comme le cinéma des années 50-60 le montre : Brigitte Bardot, Marilyn Monroe en était les symboles. Mais sa reconnaissance explicite ne l’était pas et elle s’imposa au vieil esprit bien pensant qu’était censé incarner De Gaulle et « tante » Yvonne. Mais Jeannette Thorez-Vermeesch qui voulait protéger les jeunes ouvrières de la malice séductrice des jeunes (ou moins jeunes) bourgeois, pour être du camp opposé, était du même tonneau. C’est un signe de l’histoire qu’elle ait dû démissionner du Comité Central du PCF au lendemain de mai 68.

Du coup, ce qui est apparu inique, c’est la vie des minorités sexuelles : pourquoi tous les autres avaient-ils le droit de s’afficher librement et pas les gays ? Mais le grand problème qui subsista des années de façon lancinante, ce fut la question du droit à l’avortement. Si la libération sexuelle était acquise dans les faits, la liberté de la femme de disposer pleinement de son corps, c’est-à-dire de choisir sans restriction le moment d’être mère, demanda un combat qui fut encore long – et qui n’est pas terminé. Car le droit à l’avortement ne semble toujours pas acquis définitivement. Les campagnes de l’Eglise catholique le rappellent en permanence…

Mai 68 et la politique

Mai 68 a renoué avec des formes oubliées de pratique démocratique. Les étudiants puis les lycéens, avec leurs « AG » (Assemblées Générales), ont manifesté leur volonté de prendre la parole, d’exprimer les droits qu’ils voulaient se voir reconnaître, ainsi que leurs besoins et leurs attentes. Dans une Ve République jeune qui se caractérisait par l’enterrement de la discussion parlementaire, par ce que l’on appelait l’esprit godillot, la parole confisquée dans l’enceinte du Palais Bourbon retrouvait, dix ans après, vigueur dans les enceintes universitaires.

Immédiatement, elle gagna les entreprises, et les AG devinrent une composante de la vie syndicale. La CGT le confirma : une grève ne se décrète pas en petit comité, elle doit répondre à une aspiration des travailleurs préalablement consultés, par delà le syndicat, et le travail reprend dans les mêmes conditions. C’était rompre avec d’anciennes habitudes qui d’ailleurs n’étaient pas propres à la CGT. La reconnaissance de la section syndicale d’entreprise allait faciliter cette démarche plus complexe qu’elle n’apparaît, surtout dans un contexte de pluralisme et de compétition syndicale. Cela signifie en effet que le choix des modalités d’action reste ouvert. Il y a des débats, des divergences parfois et on ne peut plus stigmatiser « les (sociaux) traîtres ». Ce modèle de pratique syndicale et sociale se retourne inévitablement contre tous ceux qui estiment détenir à jamais la vérité envers et contre tous. Et si jamais, ce qui s’est produit trop souvent dans les universités depuis quarante ans, ce sont les donneurs de leçons révolutionnaires qui prennent le pas, les AG se vident.

En 1968, certains voyaient dans cette démarche un retour à la Commune, d’autres aux soviets des débuts de la révolution d’octobre. Un ami me confia quelques années plus tard qu’Albert Soboul, le professeur d’histoire de la Révolution française, qu’il connaissait bien, avait eu l’impression de retrouver l’atmosphère des clubs de 1792-93. Les références sont claires : il s’agit de périodes où l’on veut créer un monde nouveau.

C’est là que la question politique est devenue délicate en 68. Qu’est-ce que changer le monde ? Entre la vision libertaire d’un Cohn Bendit, les visées de société sans classe des maoïstes et trotskistes, que le PCF avait déjà renvoyées dans un avenir impossible à déterminer, les projets à court terme de la gauche « non communiste » et les projets communistes de nationalisation des secteur clés de l’économie, qu’y avait-il de commun ?

Mai 68 oblige la gauche à se réformer

Au premier rang de ceux qui revendiquaient hautement l’héritage de Mai ­68, il y avait évidemment les groupes maoïstes et trotskistes. Les premiers connurent pour une part la dérive effarante de la Gauche prolétarienne. Les seconds sentirent que pour exister, il fallait défendre un programme aux élections présidentielles, ce qui rompait avec le refus de voter en juin 68. De là des candidatures comme celles d’Alain Krivine ou d’Arlette Laguiller. Le PSU, qui avait contribué à organiser Charléty et avait cru un moment le pouvoir a portée de la main, pense, pour sa part, incarner le mieux l’esprit de 68 qu’il assimile à « la deuxième gauche ». Il présente Rocard à la présidentielle de 1969. L’essentiel de ses forces, pour pouvoir exister politiquement, rejoindront le nouveau PS notamment en 1974 : la « deuxième gauche » ne manque pas de brio intellectuel mais elle n’a jamais su diffuser et faire partager ses idées en dehors de cercles restreints.

L’important, c’est que Mai 68 montra au PCF et à la gauche « non communiste » la nécessité de repenser l’avenir. Immédiatement les communistes adoptèrent la Déclaration de Champigny : l’invasion de la Tchécoslovaquie en août 68 rendait urgente la formulation d’un projet qui se sépare, sur le fond, du modèle de la démocratie populaire ou soviétique. Ils élaborèrent ensuite le programme « Changer de cap » destiné à être la base des discussions pour un programme commun de la gauche.

Les socialistes eurent besoin de l’échec cuisant de l’élection présidentielle de 69 – à laquelle Mitterrand ne put ou ne voulut pas se présenter ÷ pour refonder leur parti, écarter Guy Mollet au profit de Savary, entamer les discussions qui aboutirent au Congrès d’Epinay et à l’émergence du PS de François Mitterrand. Il sortit au terme d’un long processus le fameux programme « Changer la vie », dont le titre se situe dans l’esprit de 68, et qui, après la signature du programme commun en 1972, resta la référence électorale du PS.

Le PS d’Epinay apparaît alors à gauche, pour la première fois depuis longtemps, comme un vrai parti de gauche. Il a, pour le sérieux et l’engagement à gauche, la caution signée du PCF – il n’a pas la réputation de signer n’importe quoi – et il semble plus sûr que ce dernier pour ce qui touche à la défense des libertés. Le PS bénéficie de surcroît des prolongements de mai 68 avec la vigoureuse offensive des jeunes philosophes et penseurs antitotalitaires.

Le PCF, dont les effectifs s’accroissent considérablement à partir de 1968 et surtout 1972, peine au renouvellement idéologique. Georges Marchais est capable d’imposer le renoncement à la dictature du prolétariat, l’acceptation de la force nucléaire française ; il tient sur la question de la démocratie la dragée haute au PCUS qu’il boude pendant quatre ans, il annonce qu’il ne participera plus à l’avenir aux réunions formelles des PC du monde entier comme les aimait le PCUS. Mais il y a une ligne qu’il ne franchira jamais : celle qui marquerait la rupture de la solidarité avec l’URSS. Et cela pèse sur sa conception du socialisme et celle d’un parti communiste modernisé : il lui faudra attendre 1994 pour renoncer au « centralisme démocratique », juste avant de prendre sa retraite politique… et de mourir. Vingt ans d’un retard irréparable.

Deux événements, l’un sur le plan intérieur, l’autre sur le plan extérieur, vont enclencher de manière définitive le déclin du PCF. En 1977, c’est la rupture des négociations sur la mise à jour du programme commun, qui se traduit par l’échec aux législatives de 1978. Le PCF n’apparaît plus comme le parti qui porte l’union de la gauche. A partir de là, ses effectifs, qui sont alors à leur apogée (près de 800 000 adhérents), commencent leur inexorable reflux (aujourd’hui plus de dix fois moins). En 1979, le soutien apporté à l’URSS dans son intervention armée en Afghanistan lui porte le second coup fatal : il le rend désormais inaudible quand il se dit indépendant de l’URSS. Du coup, son attitude très mesurée au moment des grèves de Gdansk et de la création de Solidarnosc est interprétée comme une acceptation passive de la situation. G. Marchais pensait, semble-t-il, s’engager dans une stratégie de type diplomatique permettant de trouver des compromis. Mais si cette stratégie a une valeur quand on s’appelle Gorbatchev et qu’on dirige le PCUS, elle n’en a aucune quand on est à la tête du PCF.

Alors le PS semble à la majorité de l’électorat de gauche le seul héritier tout à la fois de la tradition du Front populaire et de l’esprit de mai. Il saura même récupérer une série de réseaux trotskistes… La victoire de F. Mitterrand est l’aboutissement de mai 68 sous des formes qui ont permis de rassembler la tradition de la gauche « socialo-communiste » et l’esprit du printemps de 68 – passé à la moulinette du réalisme politique.

Ce qui est occulté de mai 68

Le mouvement social de mai est curieusement trop souvent occulté. Mai 68, dans le souvenir officiel, ce sont des grèves (mais surtout étudiantes), des manifestations (de jeunes étudiants), des combats de rue, des barricades et des chaussées dépavées. Ce sont des gauchistes qui libèrent la société des partis politiques et des syndicats embourgeoisés. C’est en un sens David contre Goliath, le petit poucet et ses frères contre l’ogre.

Ce fut pourtant un grand mouvement revendicatif. Un mouvement difficile à mener car une telle ampleur donne l’impression parfois que « tout est possible ». Georges Séguy s’en rendit compte à Billancourt lors de son compte rendu des réunions de Grenelle. Mais la moisson n’était pas mauvaise même si des épis manquaient çà et là. A l’automne, j’ai assisté à une réunion à laquelle participait Henri Krasucki, le futur secrétaire général de la CGT. Il signalait à l’assistance que la CGT avait besoin d’un Congrès pour réfléchir à tout ce que mai 68 avait changé, mais aussi pour adopter un nouveau programme revendicatif. L’ancien avait été satisfait au deux tiers… Mai 68 produisit des augmentations de salaires importantes : le SMIG fut relevé de 35% et le SMAG (le salaire minimum agricole) porté au niveau du SMIG ; tous les salariés du privé et du public eurent des augmentations sensibles. La section syndicale d’entreprise et son activité dans l’entreprise sont enfin légales. Les travailleurs ont droit à l’information. L’action politique dans l’entreprise est reconnue. Tout ceci était, trente ans après, dans le droit fil du Front populaire.

Une réforme de l’université était annoncée : ce fut la réforme Edgar Faure. Elle déplut aux gauchistes qui appelèrent à la boycotter (ce qui valut à Alain Geismar de perdre la direction du SNESup dix-huit mois après), et à la droite traditionaliste qui, avec Alice Saunier-Seitié dont on disait qu’elle avait été soixante-huitarde à Brest, lui donna un tour beaucoup plus mandarinal. Bien des chantiers furent mis en œuvre qui nourrirent la négociation syndicale des années suivantes, notamment avec Chaban-Delmas et son projet de nouvelle société vite mis au rancart par Pompidou…

Devant ces résultats, Georges Séguy (je crois que c’est lui) parla de mai 68 comme du premier grand affrontement entre le capitalisme monopoliste d’Etat et les salariés. Il voyait l’avenir des luttes sociales sous cette forme. Le PCF allait écrire : « la lutte sous toutes ses formes sauf la guerre civile », ce qui était à la fois intégrer l’esprit de mai 68 et mettre en garde contre les illusions de la révolte armée. En fait, je crois aujourd’hui que ce fut l’ultime mais mythique avatar du Front populaire – qui se fit, ne l’oublions pas, sous les auspices de la Commune de Paris.

Le mythe de 68 et moi

La présentation actuelle de mai 68 prend, en effet, à mes yeux la forme du mythe. Elle est à la fois une altération de l’histoire et l’expression d’un certain nombre de vérités profondes. Altération de l’histoire, quand les projecteurs laissent dans l’ombre l’essentiel des forces sociales qui entrèrent dans le mouvement, les partis de la gauche parlementaire. Un récent débat de dirigeants socialistes sur mai 68 (dont Henri Weber) dans Socialistes hebdo ne cite ni la SFIO ni le PCF ni quelque centrale syndicale que ce soit ! Seul Weber, assez tardivement, évoque les résultats de Grenelle. Les autres « philosophent » politiquement voire doctement, probablement en anciens de sciences po qui n’ont guère d’expérience syndicale. Et, pour quelques-uns, ils sont sans doute gênés par le mai 68 revendicatif que « la deuxième gauche » n’a jamais digéré. Pensez donc : on y a augmenté le SMIG de 35% !!!

On a fait un mai 68 de légende coupé de ses racines populaires, de tous les conflits qui ont opposé et réuni en même temps des couches sociales très différentes. Ce n’était pas tout à fait la première fois : la Résistance avait rassemblé au moins aussi largement. Mais les objectifs étaient différents, il s’agissait de retrouver démocratie, liberté, indépendance. En 1968, la question était de savoir quelle société la « nouvelle vague » du baby boom allait se construire en ne restant pas enfermé dans l’expérience à la fois exaltante et tragique des deux générations précédentes éprouvées et saignées par les guerres.

La jeunesse dix ans auparavant avait combattu, en particulier avec une UNEF nombreuse, la guerre d’Algérie, elle se battait contre la guerre du Vietnam (il y eut en 1967 une manifestation de 200 000 jeunes en soutien au FNL), elle voulait la paix pour vivre et goûter à une vie libre, décontractée, en profitant des plaisirs du progrès et de l’existence. On a parlé des « Trente glorieuses ». La génération de 1968 est fille de cette prospérité retrouvée.

Le problème, c’est que dès 1968 apparaissait aux économistes et aux politiques les plus informés que l’avenir s’annonçait plus sombre.

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