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Billet de blog 7 août 2009

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Les intellectuels, le PS et la politique aujourd’hui

«Où sont les intellectuels?» La question revient régulièrement depuis un siècle, surtout en cas de crise du système politique et – ou – de ses partis, et tout particulièrement lorsque la gauche, ou l’une des gauches, est en crise. Pourtant les «intellectuels», depuis que ce mot a acquis droit de cité, n'ont jamais été tendres avec le personnel de la politique. Même ceux qui ont pris le plus leurs responsabilités dans des situations historiques.

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«Où sont les intellectuels?» La question revient régulièrement depuis un siècle, surtout en cas de crise du système politique et – ou – de ses partis, et tout particulièrement lorsque la gauche, ou l’une des gauches, est en crise. Pourtant les «intellectuels», depuis que ce mot a acquis droit de cité, n'ont jamais été tendres avec le personnel de la politique. Même ceux qui ont pris le plus leurs responsabilités dans des situations historiques. Zola ne s’était pas privé de qualifier de « médiocres » les républicains de la IIIe République dès ses débuts. Et il fit un sort tout particulier aux « normaliens », une forme particulière d’intellectuels alors aussi peu en odeur de sainteté que les « énarques » de nos jours. Le philosophe et normalien Jaurès fut pourtant assassiné. Quant à Sartre, normalien lui aussi, qui fut successivement objet de scandale et figure à la mode, et qui apparaît aujourd’hui encore, non sans légitimité, comme une figure tutélaire de l’intellectuel engagé, il se manifesta dans la dernière partie de sa vie comme le protecteur sinon le soutien d’un maoïsme français peu attirant. Les intellectuels et la politique, c’est donc un sujet plutôt délicat à traiter. Surtout quand il est posé systématiquement sur le versant gauche de l’espace politique, je veux dire en éludant systématiquement le versant de la droite.

Car en politique, les intellectuels ne se sont jamais retrouvés majoritairement à gauche – pas plus que les Français d’ailleurs. La droite – et l’extrême droite – peut afficher un certain nombre de gloires, de Chateaubriand et Guizot à Raymond Aron ou Pompidou en passant par Barrès ou Maurras (qui n’étaient pas de vulgaires intellos, pas plus que Céline ou Drieu La Rochelle). J’aurais tendance à dire que la question « Où sont les intellectuels ? » n’a pour moi que fort peu de sens. Comme si l’intelligence ne se trouvait que du côté de la gauche ! L’une des formules les plus malheureuses de Guy Mollet fut de dire que la droite française était la plus bête du monde. Le seul De Gaulle montre le contraire, et son entourage, voire ses héritiers en politique, y compris ceux qui ont su prendre leurs distances avec l’héritage, montrent un certain nombre de « talents » pour reprendre un terme qui fit florès à gauche il y a deux ans.

Ce dont je suis persuadé, c’est qu’il existe à chaque époque un certain nombre d’intellectuels qui font connaître leur avis quand la situation leur semble devenir grave sur le plan politique, ou tout au moins celui de la morale politique. Alors, ils se rassemblent peu ou prou. C’est ce qui s’est passé par exemple quelques jours avant le premier tour des élections présidentielles, avec l’appel des deux cents, parmi lesquels les 22 que Sylvain Bourmeau a interrogés pour Mediapart. Le texte est clair : il s’agissait de prendre une initiative pour (essayer de) barrer la route à une alliance de fait entre la droite et l’extrême droite. Ce qui explique que l’on retrouve côte à côte d’anciens althussériens, des altermondialistes, d’anciens communistes, des partisans de toujours de la « deuxième gauche » à côté d’universitaires ou de personnalités « naturellement » de gauche mais nullement « engagées » dans un parti (j’en connais quelques-unes). L’appel n’allait pas de soi, il fallait que les carottes socialistes de la candidate apparussent déjà bien cuites pour en arriver là. Comme l’écrit l’un des signataires interrogés : « Je n'avais aucun tropisme pour Madame Royal, catholique et militaire, mais au regard du spectre de l'élection de Sarkozy, je me suis décidé à cette signature - la mort dans l'âme. » Comment imaginer qu’Etienne Balibar, par exemple, puisse répondre aux trois questions de S. Bourmeau ? Il ne se situe nullement à ce niveau.

Je remarque avec intérêt que la plupart se disent prêts à répondre à une sollicitation du PS à condition que ce soit dans le cadre de leurs compétences : ils ne se prennent pas pour des prophètes, comme Bernard-Henry Lévy. D’autres disent que le PS aurait plutôt besoin d’élargir sa base politique du côté des couches populaires : ils sont certainement dans le vrai, ce qui signifie que l’important est moins « le désespoir » des intellectuels que celui des mal lotis de la vie qui souffrent et trop souvent lâchent pied. Je ne ferai pas l’injure à Mediapart de dire qu’il ne s’intéresse pas aux acteurs de la vie sociale puisque le 30 avril dernier, ses journalistes en ont interviewé de façon intéressante sur ce qu’ils pensaient de la gauche (il serait intéressant de savoir en quoi les derniers mois les ont fait évoluer).

Selon moi, la crise qu’affronte le PS, - et je prétends encore une fois que depuis sept mois sa direction y cherche un certain nombre de réponses et qu’elle ne baisse pas les bras – n’est pas une crise avec les intellectuels. Ce n’est pas une crise due à l’ignorance du mouvement intellectuel en France voire à l’étranger. Ce n’est pas même une crise des experts : les « experts » formulent des propositions sur la base d’une politique dont ils ont connaissance, et pas sur une autre, sans être sûrs qu’elles seront retenues. C’est une crise politique majeure de la social-démocratie qui prend la suite et s’articule sur la crise du communisme.

Il est presque comique d’entendre les mêmes s’insurger contre tous ces énarques et autres diplômés des grandes écoles, tous ces bac+5 ou plus encore, qui peuplent le PS, et déclarer doctement ( ?) que le PS n’a plus de lien avec le mouvement intellectuel. Comme si ces responsables politiques ou élus de haut vol n’étaient point capables de lire les grands travaux de leur temps chacun dans le domaine qui les intéresse et de se tenir au courant de ceux qui ne relèvent pas de leur secteur d’activité ! La question est bien plus grave. Qu’est-ce qu’un parti socialiste réformiste se posant à gauche aujourd’hui ? Comment peut-il aboutir à des résultats ? Quels résultats peut-il espérer obtenir ?

Assurément, il s’agit de savoir si un parti de gauche s’inscrivant dans le prolongement des combats qui ont marqué la gauche depuis l’émergence du socialisme organisé aux alentours de la Commune de Paris (avec la profonde division de 1920) a encore une raison d’être. Le Front populaire, le programme du Conseil national de la Résistance, l’exigence des réformes sociales qui ont marqué, non sans résultats, les Trente glorieuses, relèvent-ils d’un passé révolu ? Comment l’émergence des impératifs écologiques doit-elle restructurer la politique du socialisme « traditionnel » en une époque où les décisions ne peuvent plus se prendre dans un espace politico-économique protégé par des frontières nationales et des barrières douanières hexagonales ? Répondre concrètement à ces interrogations peut permettre de trouver une solution. Chaque citoyen devrait avoir la bonne idée de le faire car depuis un certain nombre d'années les partis se réclamant du socialisme démocratique ont pris l'habitude de se réclamer d'une culture du résultat, comme Blair, ou de répéter jusqu'au café du Commerce que nous n'en sommes plus à l'époque de Zola. Hélas pour ces socialistes qui ne lisent plus beaucoup Zola, une de mes amies, secrétaire d'une section du PS, diplômée bac+5, me disait avant-hier au téléphone, qu'elle relisait une fois de plus Zola et qu'elle s'étonnait que trop peu ait changé depuis.

Ces questions sont posées à toute la social-démocratie européenne et là se trouve aussi une difficulté supplémentaire. Ne croyons pas que les partenaires du PS français soient intellectuellement plus nuls encore. Mais à la fois ils commencent à prendre sérieusement conscience de l’impasse qui se dessine de plus en plus nettement et à la fois ils sont pris dans des traditions politiques – souvent pleinement parlementaires – qui vont à l’encontre d’un combat politique opposant la droite et la gauche. On s’en rend compte au Parlement européen où, une fois de plus, en dépit d’un programme tentant de définir un nouvel avenir pour l’Union européenne, se fait un partage de la présidence entre la droite et une gauche social-démocrate, même amputée de sa délégation française.

C’est un point important, par lequel, paradoxalement, l’avenir du PS peut devenir aussi peu engageant que celui du PCF. La direction communiste du temps de G. Marchais n’a pas su ni voulu sinon rompre, au moins prendre en toute clarté de sérieuses distances avec « le socialisme réel ». Le PCF y a perdu sa crédibilité. Le PS peut la perdre en France s’il ne prend pas clairement ses distances avec ses partenaires, au demeurant naturels, du PSE. Prendre ses distances, faire connaître les bases politiques, à discuter, d’une refondation de la social-démocratie européenne ne signifie pas nécessairement entrer en opposition avec ses actuels partenaires mais promouvoir un partenariat privilégié où chacun pourra évoluer à son rythme vers un renouvellement politique et idéologique.

Il reste à dégager dans le PS français les bases politiques de sa refondation. Le PS d’Epinay est arrivé en fin de course. Mais si le PCF n’est plus le parti dominant à gauche, la culture politique (mais aussi syndicale voire associative) qu’il a entretenue, voire initiée, pendant trois quarts de siècle, est loin d’avoir disparu. C’est l’une des raisons qui font qu’une alliance avec le Modem tel qu’il existe aujourd’hui est mortifère. L’idéologie et la politique de François Bayrou ne s’inscrivent nullement dans une perspective prolongeant les luttes sociales du XXe siècle. Il n’est même pas sûr qu’elles s’inscrivent dans une perspective de démocratisation des institutions de la Ve République.

C’est pourquoi la question qui se pose aujourd’hui est moins celle du lien avec les intellectuels que celle du lien avec les partenaires issus de la décomposition du tissu politique depuis une vingtaine d’années et surtout avec les syndicats et toutes les organisations et associations qui constituent le mouvement social, – où se retrouvent parfois des intellectuels engagés dans un combat qui leur tient à cœur et dans lequel ils ont des compétences politiques ou autres réelles (pas nécessairement liées à leurs compétences de métier).

Le PS se donne pour mission de renouveler sa politique en s’appuyant sur son Laboratoire des idées (qui a déjà beaucoup travaillé et continue à le faire avec le maximum de liberté). La question est de savoir si ces travaux qui recueillent déjà un assentiment large et reconnu comme tel au sein du PS, aboutiront à une première mise en forme programmatique susceptible de retenir l’attention des partenaires et du plus grand nombre de citoyens. C’est la condition indispensable pour qu’ils soient confrontés utilement à la critique constructive du plus grand nombre. Dans la réalité, au PS, il y a d’ores et déjà, un accord fort sur le diagnostic. Les discussions se poursuivent sur les mesures à prendre. Ce qui peut être préoccupant, le cas échéant, c’est l’attitude de ceux qui se soucieraient moins d’orientations politiques claires que de leur avenir personnel. Mais de plus en plus de militants font savoir qu’autant ils acceptent les discussions même vives sur de la politique, autant ils refusent que la politique soit soumise à des intérêts personnels ou locaux. Qui peut reprocher à la Première secrétaire de le rappeler officiellement à l’occasion ?

Déjà l’actuelle direction du PS a réussi – pour l’essentiel – à réduire sinon empêcher totalement la « cacophonie » au niveau national, quitte à demander la démission de tel ou tel. Elle a encore beaucoup à faire au niveau de certaines fédérations départementales, mais elle s’y attache. Tous ceux qui veulent aider à aller de l’avant sont les bienvenus. Mais comme c’est bizarre ! Quand un parti gagne une élection, il y a toujours des adhésions de dernière heure. Quand il s’agit de faire la tâche ingrate, les rangs sont plus clairsemés. J’accorde qu’il faut parfois dans ce PS tel qu’il est devenu, avoir du courage et peut-être surtout un peu de temps devant soi. Je comprends aussi que certains renoncent vite ou moins vite. Mais le renoncement en politique n’a jamais permis d’avancer.

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