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Billet de blog 10 novembre 2009

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De Mussidan 1939 (Dordogne) à Solesmes 1917 (Nord)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a deux mois, en commémoration du 70e anniversaire de la déclaration de la seconde guerre mondiale, j’ai publié un document de Jean Baptiste Erasme Marotin, que m’avait communiqué Klaus Werner, le mari de sa petite-fille Dominique. Grâce à Mediapart, un contact a été établi avec un historien du Mussidanais. Il a été tout heureux de trouver un document intéressant pour le livre qu’il est en train de rédiger. Des échanges de documents complémentaires ont eu lieu pour le bonheur de tous.

Cette fois-ci, pour commémorer l’armistice de 1918 et la fin de la Grande Guerre, voici un document qui m’est parvenu par l’intermédiaire d’une vieille dame, à l’esprit toujours jeune en dépit de son grand âge. Il s’agit de Mme Jeanne Marotin. Le document évoque son oncle, qu’elle n’a jamais connu mais dont elle garde le souvenir ému : il s’appelle Robert Marotin comme le fils cadet de Jean.

L’arbre généalogique des Marotin que j’ai consulté montre qu’il s’agit d’une branche pas très proche de la précédente. Il faut remonter au début du XIXe siècle pour trouver l’ancêtre commun. Cependant Jean est né dans la ville de Solesmes lui aussi avant de suivre ses parents au Cateau-Cambrésis à quelques kilomètres de là. Les deux branches se sont perdues de vue. Celle de Jean est assez vite partie à Paris, celle de Jeanne a quitté le Nord pour les Charentes-Maritimes en raison de la guerre de 1914 et y est restée. Pourtant on trouve des prénoms identiques dans l’une et l’autre : effets de mode ou de tradition.

Si Jean a embrassé le socialisme de Jaurès – et l’irréligion, – l’autre branche est restée fidèle au christianisme et a conservé des opinions politiques beaucoup moins « avancées ». Chacun se rendra compte combien le Robert Marotin qui n’est pas revenu d’Allemagne il y a plus de 90 ans, prend sous la plume du médecin qui a tenté de lui sauver la vie, et sous la plume du correspondant du journal local – vraisemblablement L’Echo du Nord mais je n’ai pu encore retrouver le numéro où est paru l’article, – la figure d’un héros, plus encore d’un héroïque patriote chrétien. Celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas, dirions-nous aujourd’hui. Chacun s’apercevra, à la lecture de cet article, de la lutte de l’Eglise, à l’époque, pour la reconnaissance du patriotisme de ses ouailles : et ce n’est pas un hasard si l’enterrement au pays natal se fait précisément un dimanche, le jour du Seigneur. Dans la troisième République radicale voire franc-maçonne, un chrétien doit se voir reconnaître comme un citoyen prêt au sacrifice : le Dr Brazis emploie même le mot de « martyr ». C’est dans cette perspective que l’esprit de Jeanne d’Arc, implicitement, se révèle dans les lignes qui suivent. N’oublions pas que Jeanne fut canonisée en 1920 par Benoit XV et proclamée par Pie XI, en 1922, sainte patronne de la France.

Ce document, en tout état de cause, révèle un aspect des horreurs de la guerre – à une époque où la Croix-Rouge et son éthique existaient déjà. Mais la guerre ne va jamais sans la barbarie. Il est reproduit avec la plus grande exactitude, jusque dans sa ponctuation.

SOLESMES

Dimanche dernier ont eu lieu en l’église de Solesmes les funérailles du brigadier Robert Marotin, décédé à Dortmund des suites des coups de baïonnettes reçus, étant prisonnier, pour avoir refusé de travailler pour l’Allemagne dans une profession intéressant la défense nationale.

Une foule nombreuse avait tenu à accompagner ce brave Solesmois connu de tous pour sa loyauté et son bon caractère. Les différentes sociétés de la ville notamment celle des anciens combattants étaient représentées par des délégations importantes.

Après le chant des psaumes M. l’abbé Dumoulin, doyen, fit l’éloge de ce brave garçon, ancien élève des frères d’Alsace, qui a toujours été un bon élève, un bon fils, un bon époux, un bon père et un chrétien.

Au cimetière, M. Rigaut, en son nom personnel comme ancien patron et ami de Marotin et au nom de l’U.N.C. comme vice-président de la section dit un adieu à Robert Marotin, regrettant sa perte comme camarade, comme collaborateur dévoué et comme Solesmois, et flétrissant l’acte de lâcheté et de barbarie allemande qui fit de notre ami Robert Marotin une victime.

Ce discours fit couler bien des larmes.

Nous ne pouvons mieux résumer la conduite digne de Robert qu’en reproduisant le rapport du docteur Léon Brazis de Mulhouse.

Rapport du Docteur Léon Brazis de Mulhouse sur le prisonnier de guerre Robert Marotin assassiné lâchement près de Dortmund pendant sa captivité.

Dans mon service qui comptait une vingtaine de salles il y en avait une réservée aux prisonniers de guerre français, anglais et russes occupés dans la société industrielle minière et métallurgique de Dortmund et ses environs.

C’était pour moi une joie et une consolation de pouvoir soigner ces braves et de leur prodiguer avec mes services professionnels, le réconfort moral.

C’est ainsi que j’ai été témoin actif de l’accident suivant concernant le brigadier d’artillerie Robert Marotin, sur l’attitude héroïque et le martyr duquel j’ai d’ailleurs envoyé dès mon retour d’exil, un rapport détaillé à sa veuve alors à Solesmes dans le Nord.

Robert Marotin avait été fait prisonnier dès le début de la guerre à Maubeuge et interné dans un des camps de Munster en Westphalie, selon leur besoin de main d’œuvre, toujours plus grand, les Allemands puisaient dans ces camps, jet continu pour les diriger dans les usines de grosse industrie de la Westphalie du bassin de la Ruhr.

C’est ainsi qu’en 1916 ou 1917 je ne me souviens plus exactement de la date Robert Marotin fut extrait avec plusieurs autres prisonniers du camp de Munster, et dirigé dans les environs de Dortmund, où ils devaient travailler dans les mines de charbon. Robert Marotin refusa, en déclarant qu’il était disposé à n’importe quel travail, mais que jamais, il ne prêterait la main à un travail dirigé directement ou indirectement contre sa Patrie et encouragea, par sa parole et surtout par son exemple, ses camarades à en faire autant. Furieux de cette résistance patriotique absolument justifiée, les gardes allemands déshabillèrent Marotin et l’attachèrent à un poteau, pensant peut-être le réduire par là à céder, mais il tint bon, défiant ses bourreaux, dont l’un lui passa sa baïonnette dans le flanc droit, Marotin s’affaissa et fut laissé à terre sans secours pendant plusieurs heures. Finalement on nous l’amena à la clinique chirurgicale dans un état désespéré. A l’opération à laquelle j’ai pris part avec le chirurgien en chef le Dr Peters de Dortmund, nous constatâmes que Marotin avait eu une hémorragie très forte dans l’abdomen, et l’intestin perforé en trois endroits par le coup de baïonnette.

Après la toilette minutieuse de la cavité abdominale, nous suturâmes les lésions intestinales, et Marotin surmonta victorieusement ses blessures et l’intervention chirurgicale.

Après trois semaines, il commença à se lever et fumait déjà sa pipe avec ses camarades de la clinique, lorsqu’une nouvelle rupture intestinale vint inopinément aggraver la situation. Sur sa demande pressante de lui dire la vérité sur son état, je ne puis lui cacher la gravité de sa situation.

Avec un calme merveilleux, il écrivit une dernière et longue lettre à sa chère femme, y glissa une dernière pièce de dix francs pour sa petite, à sa première communion, et me confia le tout pour le remettre à sa chère femme après la guerre, ce que j’ai fait. Il commanda, et paya d’avance son cercueil métallique, pour que ses restes fussent ramenés en France après la guerre, et mourut en brave et en chrétien dans mes bras, à la clinique de l’hôpital Bruderkrankenhaies et fut enterré au cimetière réservé aux soldats et aux prisonniers de guerre.

L’attitude de Robert Marotin a toujours été fière et digne et sa conduite héroïque lui a conquis mon estime et mon admiration. Il mérite plus que la croix de guerre par la fermeté et son caractère. Il a préféré la mort à la lâcheté de toucher un travail que sa conscience de soldat et de citoyen français lui défendait de faire.

Les Familles MAROTIN-MORVAL et LESNE-MAROTIN remercient bien sincèrement les personnes qui ont assisté à l’enterrement de leur parent.

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