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Billet de blog 12 juin 2009

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Que faire ?

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Que faire ? C’est là une question que tout parti se pose après de grands événements, de grandes crises, de grandes déceptions. Elle se pose, lancinante, au PS depuis quelques années. C’est une question qui touche au fond même de sa politique. Elle appelle des réponses de fond. "<!--break-->" Quiconque se contente des formules toutes faites, des slogans qui sonnent bien – et ne sont pas toujours faux, – des mots censés discréditer ou élever au pinacle, n’aidera guère à sortir du marasme politique qui touche aujourd’hui l’ensemble du système politique français. S’agissant du PS le marasme dans lequel il est pris depuis quelques années est en même temps celui de la social-démocratie européenne. Il y a donc des raisons à la fois européennes – voire plus larges – et des raisons spécifiquement nationales.

I

Des raisons européennes voire mondiales. La mondialisation de la vie contemporaine connaît aujourd’hui une globalisation de l’économie d’autant plus remarquable que cette économie est une économie libérale de marché pour l’essentiel : les économies planifiées, les frontières douanières ont cédé du terrain voire disparu. La Chine dernière grande puissance communiste a mis en place une économie largement ouverte, tandis qu’en Europe les services publics industriels et commerciaux relevant de la puissance publique sont soumis à des exigences concurrentielles, les capitaux publics étant désormais compris comme des capitaux pervertissant la vie économique. La financiarisation du capitalisme, la recherche d’une profitabilité à deux chiffres, a entraîné un nouveau partage de la valeur créée en faveur du capital et au détriment du travail.

Les révolutions reagano-thatchériennes ont fasciné d’autant plus la social-démocratie européenne qu’elle avait, dans le cas de la guerre froide, partagé les responsabilités dans la construction de l’Union européenne avec la démocratie chrétienne et d’autres conservateurs. Les conservateurs d’inspiration chrétienne s’étant ralliés au libéralisme, – oublieux le plus souvent de la doctrine sociale de l’Eglise jusque dans les ex-pays communistes où celle-ci avait joué un rôle de résistance sociale parfois majeur, – la social-démocratie a cru trouver une solution dans le « social-libéralisme » qui s’est coupé de ses « valeurs », c’est-à-dire de ses sources de pensée politique et sociale vivifiantes, celles qui mettent l’homme (en premier lieu le travailleur) au centre de ses préoccupations.

Comme le disait Tony Blair à son époque, si proche et déjà si ancienne, l’essentiel n’est pas de savoir si c’est socialiste ou libéral, mais de savoir si ça marche. Quand il a passé la main à Gordon Brown, la presse quasi unanime vantait ses succès économiques. On voit aujourd’hui ce qu’il en est. Ce n’est pas par hasard qu’aujourd’hui on réfléchit à de nouveaux instruments de mesure de la prospérité – et du bien-être de la société.

Avec le Royaume-Uni, ont été à l’avant-garde de ce social-libéralisme l’Allemagne de Schroeder et de la grande coalition finissante, l’Espagne de Zapatero qui a puisé sa force politique dans sa révolution sociétale, l’Italie de Prodi, ex-président de la Commission exécutive européenne, persuadé que l’avenir était à une alternance entre centre-droit et centre gauche, et quelques autres. Le PS français n’a pas été à l’écart de ce mouvement : la période jospinienne, commencée avec les 35h, s’achève avec l’acceptation, dans le cadre de la cohabitation, des privatisations qui lui aliènent des couches sociales attachées au respect du service public et du rôle de modèle social que le service public jouait face aux entreprises capitalistes « ordinaires ».

La social-démocratie européenne qui, il y a une dizaine d’années, était au pouvoir dans treize pays sur quinze de la CEE, est désavouée dans la quasi-totalité de l’UE aujourd’hui. Les refus référendaires de France, de Hollande et d’Irlande ne sont pas l’effet du hasard. Le PSE s’en est si bien rendu compte que depuis bientôt deux ans il a entrepris un (trop) discret aggiornamento qui s’est traduit par l’adoption du Manifeste du PSE. L. Baumel et J.C. Cambadelis ont écrit une brochure pertinente qui mérite d’être discutée, approfondie (voir mon précédent billet). Pour moi, ce Manifeste n’est qu’une première étape. L’échec du 7 juin ne remet pas en cause sa validité : comment en six mois l’électorat peut-il comprendre qu’il y a une nouveauté vraiment crédible, quand le PSD au même moment continue à gouverner avec la CDU ? J’étais à Berlin en mai. Des affiches géantes présentaient le président du groupe PSE au parlement européen aux côtés du prochain candidat SPD à la chancellerie avec ce mot d’ordre : « Und jetzt soziales Europa ! », « Et maintenant l’Europe sociale ! » Voilà qui était saisissant – et qui fut peu convaincant. En même temps que Brown, Zapatero annonçaient leur soutien à Barroso, les candidats PSE de ces mêmes pays s’engageaient à œuvrer pour son remplacement ! Les périodes de transition sont ravageuses.

Il faut dire que le passage d’une Europe de consensus à une Europe de parlementarisme politique fondé sur le principe d’une majorité et d’une opposition (ce qui n’empêche pas dans une assemblée élue à la proportionnelle la recherche de compromis majoritaires) est compliqué. Depuis trente ans, pour les électorats, l’Europe c’est le partage alterné du pouvoir entre la droite chrétienne et la gauche social-démocrate. Les esprits n’ont pas la mémoire courte, ils ont besoin de voir pour croire. Et en temps de crise éprouvante pour les classes populaires et les couches moyennes les moins aisées, l’histoire a toujours montré que les partis les plus progressistes ne sont pas immédiatement les mieux entendus. Comme on me l’a dit dans un marché où je distribuais des tracts : « Avec tout ce que je viens de prendre, si vous croyez que j’ai envie de voter.. ! »

Aller plus loin quand 27 partis socialistes et sociaux-démocrates sont partie prenante, c’est une affaire délicate. D’autant plus que les partis de l’Europe occidentale se sont développés en s’appuyant sur le mouvement syndical tandis que les populations d’Europe centrale et orientale pendant cinquante ans ont lutté contre la fossilisation du syndicalisme officiel, fascinés par une image idyllique du capitalisme. Trouver une politique commune à partir de deux imaginaires politiques si différents, c’est une gageure. L’Allemagne à elle seule le montre bien. La réunification a bouleversé le système politique : elle est passée du tripartisme à la démocratie à 5. La gauche ne parvient pas à s’unir en raison du poids des représentations passées liées à Die Linke (« La gauche ») qui n’a pourtant rien d’un parti à vocation totalitaire. Il faut donc du temps pour progresser vers une social-démocratie européenne ouverte à de larges alliances, tant vers les Verts que vers la gauche radicale prête à exercer les responsabilités du pouvoir à tous les niveaux. Même dans des pays où le retour à la social-démocratie d’anciens communistes a été ratifié par les électeurs, la droite en difficulté tente de ranimer les douloureux souvenirs et diviser la gauche (on l’a vu il y a peu en Pologne).

II

Il faudra du temps, hélas ! Mais chaque parti national peut aider à l’accélération du processus à partir d’une appréciation lucide de ses propres expériences confrontées à celles des autres partenaires.

La France, en raison de son élection présidentielle quasi cinquantenaire et de son scrutin législatif à deux tours, est installée dans un système politique bipolaire. Ce qui donne au PS et aux autres partis de la gauche à vocation gouvernementale l’obligation de rechercher des alliances. Depuis 40 ans, un pôle de gauche s’oppose à un pôle de droite que ce soit au niveau national ou local. Cela n’a jamais empêché l’ouverture à des personnalités différentes sur la base d’un programme soit de gauche soit de droite, ce que les communistes eux-mêmes appelaient les républicains ou les démocrates de progrès. Les élections du 7 juin ont à nouveau montré que cette bipolarisation perdure sous des formes évolutives.

Les présidentielles avaient donné l’impression qu’un pôle centriste émergeait « ni gauche-ni droite ». Les électeurs ont bien compris que le « meilleur opposant à Sarkozy » n’était guère crédible. En fait, ce qui se produit depuis dix ans, et qui concerne prioritairement le PS français, c’est l’existence d’un électorat mobile très sensible aux insuffisances des partis incarnant les grands courants politiques traditionnels. En 2002, le PS se retrouvait à 16 % tandis que l’extrême droite faisait un score inédit ; en 2007, F. Bayrou obtenait 18% en raison des carences politiques de la candidate du PS ; en 2009, les Verts sont à 16% comme le PS en raison d’un programme socialiste peu visible et surtout d’un programme qui a semblé ajouter l’écologie à ses thèmes habituels au lieu de réorganiser sa politique autour de la défense de la planète dans tous les domaines de la politique. Ce qui est déjà réclamé dans certains cercles du PS, ne serait-ce que du côté de chez Fabius et de son désir de social-écologie, – et ce que certains socialistes font très bien parfois au niveau local.

La rénovation politique du PS passera donc par là. C’est à la fois simple et compliqué. Simple car l’essentiel des propositions sont à portée intellectuelle. Compliqué car c’est tout une révolution des esprits militants qui est à acquérir, de la base au sommet. Si le PS n’est pas en mesure d’exercer un attrait politique sur des générations plus jeunes et installées dans cette vision nouvelle du monde, – c’est-à-dire dans la vision d’une société luttant à la fois pour son bien-être et le bien-être des générations futures sur une planète « vivante », – sa rénovation, qui doit être une refondation prenant la suite d’Epinay à 40 ans de distance, restera un vœu pieux. Le PS connaîtra le sort du PCF qui a clamé à tous vents son désir de rénovation mais a constamment déçu ses électeurs quinze ans durant, après quoi, il était trop tard. Il peut connaître aussi – les deux ne sont point incompatibles – le sort du vieux parti radical incapable de sortir de l’encroûtement de la notabilité politique : un siècle après, divisé, il est réduit à l’état de parasite des forces qui l’ont supplanté.

Les déboires du 7 juin sont aussi le résultat de partis désormais configurés pour aller à une élection présidentielle. L’avantage de Cohn-Bendit et Eva Joly est d’avoir vécu à un moment ou un autre de leur vie dans un pays parlementaire. Or le Parlement européen, en dépit de sa souveraineté limitée, a un fonctionnement parlementaire que nos assemblées n’ont plus depuis longtemps. C’est là aussi un handicap du PS français qui a des difficultés à choisir entre le pire des présidentialismes et le parlementarisme tant décrié de 1870 à 1958. Un nouveau parlementarisme me semble devoir être mis au plus vite à l’étude – tant pis pour les nouveaux Mitterrand.

On est loin des reproches parfois fort justifiés sur les égos, relatifs à la fixation maladive des uns ou des autres, jeunes ou vieux, quadras, quinquas ou sexas, sur les mandats électifs à enlever. Le jour où le PS présentera un programme à la hauteur des enjeux du moment, ces reproches passeront à l’arrière-plan. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas à traiter le problème. Qu’il y ait des ambitions dans un parti politique, rien de plus évident. Dans une société qui voit l’allongement de la vie des individus et surtout l’allongement du temps où ils peuvent être utiles à la société, le cumul des mandats, leur pérennisation parfois outrancière, deviennent insupportables (quelles difficultés a rencontrées Martine Aubry pour appliquer ce bon principe aux européennes !) . Seulement dans le système actuel, marqué par la nécessité de consacrer un temps de plus en plus important au travail de l’élu, il convient de remettre sur le chantier un statut de l’élu permettant à ce dernier de reprendre un métier interrompu sans dommage de carrière. Les mandats les plus nombreux sont des handicaps professionnels et financiers. Du coup, c’est la course aux mandats et à leur cumul, avec toutes les formes peu estimables qu’elle peut prendre. La démocratie a son prix, et un coût.

Pour en terminer, le PS ne pourra faire l’économie d’une vraie refondation sur le plan symbolique. L’impasse dans laquelle il risque de se trouver à court terme l’oblige à s’ouvrir. Le problème pour le PS, c’est qu’il est une passoire. Il subsiste à travers les années toujours un noyau de fidèles – vieillissant d’ailleurs. Le renouvellement de ce noyau est le fait d’ambitieux (je ne donne pas un sens péjoratif à ce mot ici) qui souhaitent être élus et qui le cas échéant partiront plus ou moins vite. Tout autour, il y a une série d’adhérents éphémères qui ne sont sollicités pour aucune formation politique, qui découvrent avec stupeur parfois des sections où les discussions sont d’un niveau affligeant ou qui se réunissent fort peu. Comment fidéliser ces adhérents venus avec plein de bonne volonté ?! Il ne suffit pas de baisser les cotisations pour renforcer le PS.

La transformation symbolique, qui doit compléter la refondation programmatique, doit viser à montrer que les débats internes au PS ne sont pas des polémiques stériles. Il faut tordre le coup à un cliché journalistique selon lequel un parti qui débat se divise ou se déchire, tandis qu’un parti qui ne débat pas sommeille ou se trouve sous la chape d’un plomb monolithique. Mediapart n’est pas exempt de ce cliché. Après bien des réflexions, j’en arrive à l’idée qu’il conviendrait d’organiser, en des moments forts, des consultations largement ouvertes. Le PS, tel qu’il est, n’est pas apte à faire ses choix politiques de la manière la plus efficace. Ces dernières années, les résultats des consultations internes étaient connus quelques semaines à l’avance à partir du moment où les responsables « référents » avaient pris position. On faisait les comptes de ceux qu’ils influençaient et tout était dit. C’est ainsi, en particulier qu’on est arrivé au calamiteux référendum de 2005. S’ouvrir pour le choix des options programmatiques ou pour le choix des candidats aux postes essentiels, à des citoyens de gauche (il y a quelques dizaines, voire quelques centaines de milliers d’adhérents à des associations, syndicats ou autres mouvements), me semble une possibilité à explorer sérieusement. Les différences d’approche apparaîtront mieux comme celles de la société elle-même.

Sans doute faudrait-il aussi faire comme en 1969-71, changer en même temps le nom du parti. Non que le socialisme soit obsolète, mais il doit apparaître définitivement comme écologique.

Faudrait-il donc que le PS refasse immédiatement un congrès ? Que non. Depuis Reims, deux questions ont été réglées en réalité. L’ancrage à gauche du PS semble acquis surtout depuis le 7 juin et le score normal du centrisme politique. La discussion sur le type de parti (un parti « démocrate » à l’italienne ou « blairiste ») est elle aussi réglée compte tenu des résultats européens calamiteux pour tous ou presque. Le rassemblement de l’ensemble des socialistes est facilité : il est possible de discuter sur des problèmes concrets et éminemment politiques. Les décisions ne sont jamais faciles à prendre, mais nous pouvons trouver hors du PS des interlocuteurs pour nous aider. C’est à mon sens ce que la Première secrétaire a voulu dire. On peut lui reprocher sa prudence. Mais qu’aurait-on dit, même à Mediapart, si deux jours après un scrutin détestable, elle avait sorti de sa poche des solutions toutes faites ? Que chacun se rappelle le temps qu’elle a consacré pour imposer son style à Lille. Patience et longueur de temps…

A condition de ne pas traîner.

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