Ce 14 mai 2010, voici quatre siècles, Henri IV tombait sous le poignard de Ravaillac, un illuminé fanatique persuadé d’accomplir une mission divine. Voltaire, un siècle plus tard, élève un monument littéraire à sa mémoire : La Henriade, poème épique en dix chants.
Il n’est pas sûr que cette œuvre ait assuré la gloire et l’immortalité à son auteur. N’est pas Homère qui le veut. Voltaire, toutefois, sait manifester son admiration pour un roi qui, rétrospectivement, après la révocation de l’édit de Nantes, commence déjà à symboliser l’esprit de tolérance.
Ecoutons le début de cette épopée ; il n’est pas indigne du Voltaire que nous aimons :
Je chante ce héros qui régna sur la France
Et par droit de conquête et par droit de naissance ;
Qui par de longs malheurs apprit à gouverner,
Calma les factions, sut vaincre et pardonner,
Confondit et Mayenne, et la Ligue, et l'Ibère,
Et fut de ses sujets le vainqueur et le père.
Descends du haut des cieux, auguste Vérité !
Répands sur mes écrits ta force et ta clarté :
Que l'oreille des rois s'accoutume à t'entendre.
C'est à toi d'annoncer ce qu'ils doivent apprendre ;
C'est à toi de montrer aux yeux des nations
Les coupables effets de leurs divisions.
Dis comment la Discorde a troublé nos provinces ;
Dis les malheurs du peuple et les fautes des princes :
Viens, parle ; et s'il est vrai que la Fable autrefois
Sut à tes fiers accents mêler sa douce voix ;
Si sa main délicate orna ta tête altière,
Si son ombre embellit les traits de ta lumière,
Avec moi sur tes pas permets-lui de marcher,
Pour orner tes attraits, et non pour les cacher.
II. Henri de Navarre se rend auprès de la reine Elizabeth d’Angleterre pour sceller un pacte de solidarité. Il fait montre de son esprit de conciliation en politique et de son refus d’instrumentaliser Dieu :
« Reine, l'excès des maux où la France est livrée
Est d'autant plus affreux que leur source est sacrée
C'est la religion dont le zèle inhumain
Met à tous les Français les armes à la main.
Je ne décide point entre Genève et Rome.
De quelque nom divin que leur parti les nomme,
J'ai vu des deux côtés la fourbe et la fureur ;
Et si la perfidie est fille de l'erreur,
Si, dans les différends où l'Europe se plonge,
La trahison, le meurtre est le sceau du mensonge,
L'un et l'autre parti, cruel également,
Ainsi que dans le crime est dans l'aveuglement.
Pour moi, qui, de l'État embrassant la défense,
Laissai toujours aux cieux le soin de leur vengeance,
On ne m'a jamais vu, surpassant mon pouvoir,
D'une indiscrète main profaner l'encensoir :
Et périsse à jamais l'affreuse politique
Qui prétend sur les cœurs un pouvoir despotique,
Qui veut, le fer en main, convertir les mortels,
Qui du sang hérétique arrose les autels,
Et, suivant un faux zèle, ou l'intérêt, pour guides,
Ne sert un Dieu de paix que par des homicides !
III. Et voici Saint-Louis, l’ancêtre direct d’Henri, qui dévoile à son descendant les ennemis qui le menacent. Ce sont les vices de la politique que révèle cette descente aux enfers :
Ô mon fils ! vous voyez les portes de l'abîme
Creusé par la Justice, habité par le Crime :
Suivez-moi, les chemins en sont toujours ouverts. »
Ils marchent aussitôt aux portes des enfers.
Là, gît la sombre Envie, à l'œil timide et louche,
Versant sur des lauriers les poisons de sa bouche ;
Le jour blesse ses yeux, dans l'ombre étincelants
Triste amante des morts, elle hait les vivants.
Elle aperçoit Henri, se détourne, et soupire.
Auprès d'elle est l'Orgueil, qui se plaît et s'admire ;
La Faiblesse au teint pâle, aux regards abattus,
Tyran qui cède au crime et détruit les vertus ;
L'Ambition sanglante, inquiète, égarée,
De trônes, de tombeaux, d'esclaves entourée ;
La tendre Hypocrisie, aux yeux pleins de douceur
(Le ciel est dans ses yeux, l'enfer est dans son cœur)
Le faux Zèle étalant ses barbares maximes ;
Et l'intérêt enfin, père de tous les crimes.
Des mortels corrompus ces tyrans effrénés,
À l'aspect de Henri, paraissent consternés ;
Ils ne l'ont jamais vu ; jamais leur troupe impie
N'approcha de son âme, à la vertu nourrie :
Quel mortel, disaient-ils, par ce juste conduit,
Vient nous persécuter dans l'éternelle nuit ?