La semaine dernière, « Le Monde » publiait un article abordant la professionnalisation de la politique et se référait à la pratique du PS, notamment dans les collectivités territoriales où il a désormais un ancrage solide. Cet article m’a interpellé.
S’il est bien informé, et je crois qu’en l’occurrence il l’est, le PS recherche des fonctionnaires territoriaux de valeur, détenteurs de diplômes type master (bac+5). Jusque là, rien qui ne soit pas acceptable. L’universitaire que je suis et qui a créé deux diplômes à orientation professionnalisée est heureux de cette reconnaissance de la valeur de nos universités françaises. Evidemment, le militant syndical et politique présent en moi ne va pas jusqu’à penser que l’enseignement supérieur soit le réservoir unique des cadres des collectivités territoriales et de la politique. Ceci dit, je n’ignore pas le procès fait aux partis (pas seulement le PS) de placer leurs créatures aux postes de responsabilité administrative. Le recrutement sur appel d’offres permet (en partie seulement) de récuser cette accusation de copinage ou de clientélisme.
La voie de l’avenir pour la politique ?Il n’empêche : le bât blesse. Et pour ce qui est du PS, si j’en crois « Le Monde », c’est toute une conception du parti qui est en question. Les élus cherchent des collaborateurs, les meilleurs, ils ne les connaissent pas nécessairement, et ils espèrent trouver la perle ; selon un témoignage, s’il s’instaure une certaine complicité, c’est le top du top. Le cadre recruté sera le bienvenu au PS, et il sera parrainé par son patron élu pour embrasser une carrière politique, s’il désire « entrer en politique » , comme on l’entend dire parfois (affreuse formule qui fait penser à « entrer en religion »). De l’échelon local, l’heureux protégé pourra monter à l’échelon national, voire, si les conditions sont bonnes, dans les cabinets ministériels. Et voilà comment un fonctionnaire territorial deviendra un homme (une femme) politique. Ce serait là la voie royale pour devenir un politique, un élu ? Quel rétrécissement dans l’accès aux responsabilités politiques ! Ce n’est plus la méritocratie, mais le tri sélectif avec une bonne dose d’opportunité aléatoire. Sans oublier le lien de subordination que crée de fait le salariat.
Cela a toujours existé, me répliquera-t-on. Oui : un certain nombre de préfets sont devenus députés, ministres (je pense à Jean-Pierre Soisson qui jadis expliquait qu’il préférait prendre les décisions plutôt que d’avoir à les appliquer). Mais Bérégovoy fut ajusteur. Une autre époque ?
La question prend aujourd’hui un tour nouveau même s’il n’est pas tout nouveau. C’est celui de la professionnalisation de la politique. On a gaussé cette IIIe ou cette IVe République dont les ministres avaient fait tous les ministères au cours de leur carrière – sans compétences particulières en général, affirme-t-on. Enfin, ceux qui ont connu une telle carrière furent bien moins nombreux que ceux qui, après quelques essais ministériels, retournaient dans l’obscurité et l’oubli.
Et surtout, ils avaient une administration qui, dans le contexte de l’instabilité gouvernementale élevé au rang de principe républicain, permettait d’assurer la continuité par delà les inflexions, les retours en arrière, les bonds en avant. Et les ministres avaient pour mission de mettre en œuvre une réforme avec elle ; quand c’était compliqué, on recourait à des politiques expérimentés pour trouver les moyens d’arriver au but recherché, ce qui n’arrivait pas tout le temps.
Professionnels de l’appareil d’Etat et politiquesAujourd’hui on veut des professionnels. Cela veut dire officiellement : on ne veut pas des amateurs. Allez à l’école (pardon : à l’université, à Sciences po ou à l’ENA), et vous pourrez prétendre devenir un politique, un élu, quelqu’un qui sait de quoi il parle ! Je sais qu’en principe, l’université est diverse, que l’ENA ou Sciences po sont ouverts à la diversité. Il n’empêche cette diversité n’est pas si diverse que cela. On en ressort avec un corps de connaissances, des méthodes de travail qui vous rendent reconnaissables entre tous. On a un esprit de corps, d’école… Encore, si vous avez un travail de recherche consistant derrière vous, on peut penser que vous avez l’esprit ouvert, mais ce n’est pas toujours le cas : certains chercheurs ont leur dada, qui les fait remarquer mais qui (parfois) les fige dans une posture d’esprit à laquelle ils tiennent. En politique, c’est redoutable.
Pour nos cadres territoriaux de valeur; ils sortent le plus souvent des facs de Droit et sciences économiques. Des équipes prises dans un champ intellectuel bien délimité, donc, et encore souvent marqué de conservatisme dans la manière d'aborder les questions.
Ces professionnels de la politique, que l’on veut généraliser, ne seront jamais, en tant que tels, que des professionnels de l’appareil d’Etat. Pour devenir un bon politique, il faut autre chose. Il faut avoir entendu plus que des profs, fussent-ils remarquables, connaître plus que des livres et des statistiques : il faut connaître le grand livre du monde ; il faut parler avec le commun des mortels (le fameux « homme de la rue » dont on nous rebattait les oreilles dans la philosophie de lycée), partager son expérience, comprendre son point de vue.
J’entends parfois pousser des cris d’orfraie : le député n’a pas le temps d’être un législateur, il se transforme dans sa circonscription en assistante sociale (jugez de ce féminin dépréciateur). Autrement dit : assez de ces élus qui écoutent les plaintes et les malheurs de leurs électeurs. J’ai même entendu des élus dire : celui-là, il n’est pas de mon canton ou de ma circonscription. Comme si on ne devait pas porter assistance à celui qui ne vous élit pas directement. N’avez-vous pas remarqué ceci : des députés peu recommandables, condamnés par la justice, déclarés inéligibles pour un temps, se font réélire triomphalement. On leur reproche leur clientélisme. Avec raison parfois, mais le clientélisme n’est que le côté perverti de la nécessaire action de solidarité de l’élu.
« Votez pour moi, je vous donnerai quelque chose » se confronte en permanence à « Comprenez pour quoi cela vous arrive, je vous aiderai à trouver la solution, allez voir un tel qui peut être utile et soyez certain que votre problème m’a ému et apporté une raison de plus de persévérer dans mon engagement ». Cela s’appelle « la fonction tribunicienne » qui eut mauvaise presse à une époque où on l’opposait à la volonté de prendre des responsabilités gouvernementales. Le problème, c’est qu’en l’oubliant, on se coupe de ses concitoyens, c’est-à-dire de la vraie politique et de la capacité à rectifier les inévitables erreurs de la vie politique. On s’enferme dans son enceinte d’élu ou dans son parti, on se « bureaucratise »
Un parti politique n’est pas un syndicat de professionnels de la politique, même stagiairesAllons plus loin : il ne faut pas que les partis qui veulent avoir une assise populaire deviennent des partis de cadres, de notables ou d’aspirants notables, où l’on trouve des élus, entourés de leurs salariés et d’une constellation qui rêve à une future élection. Il faut bien dire que le PS actuel est depuis un certain temps sur cette voie dangereuse. C’est retrouver la voie mortifère de la défunte SFIO.
Le PS a fait le choix depuis longtemps de porter à sa direction nationale des élus. Il serait nuisible qu’il n’y en ait pas en nombre significatif. Mais dans le contexte de professionnalisation de la politique, est-ce se donner les meilleurs moyens d’avoir le lien avec la société telle qu’elle est ? Il existe une assemblée de représentants de la société civile qui étudie quelques questions importantes, mais son rôle est restreint et c’est plutôt une assemblée des élites sociales.
La grande question est bien de ne pas devenir un syndicat de professionnels de la politique, même en période de stage, et d’intégrer à tous les niveaux des militants politiques mais aussi, en nombre suffisant, syndicalistes et associatifs, bien au courant de ce qui se passe dans leurs milieux. Ce qui ne sera efficace que sur un fond d’ouverture politique sans précédent. Non pas l’ouverture tous azimuts à 20 € pour élire un candidat (ceci dit : une cotisation d’appel la première année pourquoi pas ?), mais une ouverture sur un programme politique et idéologique (le vilain mot) mobilisateur pour tous ceux qui sont confrontés aux difficultés de la vie.
Un parti de professionnels de la politique : attention danger à gauche. Un parti de gauche a pour vocation d’être un parti non seulement de militants mais aussi de simples adhérents fidélisés par une vie intérieure intéressante, ce qui est loin d’être toujours le cas, ce qui leur permettrait, quand ils en ont le désir ou le temps, d’avoir ne serait-ce que des loisirs militants. Ce qui est fort différent de la politique professionnelle (et de son avatar anticipateur : le révolutionnaire professionnel).
Professionnalisme et amateurismeJ’ai rencontré il y a quelques années le responsable d’un théâtre amateur. Il me confiait qu’à ses yeux le théâtre amateur supposait la qualité et la rigueur comme pour les professionnels : la différence ? « On n’en fait pas un moyen d’existence, mais on bosse autant, pour le plaisir. » Et si l’on considérait la politique sous cet angle ?
Encore faut-il que les partis ne remettent pas aux autres le soin de former leurs militants. Il n’y a pas que l’université pour faire de bons politiques. Le ministre de la Fonction publique Le Pors avait voulu créer une troisième voie pour permettre l’entrée à l’ENA d’anciens élus ou d'anciens responsables de syndicats. Quel scandale ! Le moule risquait de se casser. Chirac le fit supprimer immédiatement. Depuis on cherche à démocratiser le recrutement à Sciences po. Intéressant. La question reste : comment lier cette élite à la société et la rendre apte à entendre le message de ceux qui ne s’expriment pas facilement ? Est-ce possible ? Ne faut-il pas que les partis politiques se donnent eux-mêmes les moyens de le faire ?
Le seul vrai creuset du civisme et de la politique pour le plus grand nombre, ce sont bien eux, qui, selon la constitution, concourent à la formation de l’opinion publique. Qu’ils se le rappellent donc. Ils sont en principe les garants du pluralisme. Refusons tout ce qui irait à l’encontre de cette nécessaire diversité.
Qu’en pensez-vous ?