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Billet de blog 20 juillet 2008

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Siné : sans quoi ? sans rien ?

Je ne vous reproche pas, ArtMonika, d’avoir une « morale ». J’en ai une aussi, peut-être pas la même que la vôtre – c’est notre droit à tous deux.

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Je ne vous reproche pas, ArtMonika, d’avoir une « morale ». J’en ai une aussi, peut-être pas la même que la vôtre – c’est notre droit à tous deux.

« Moraliste » n’est pas une insulte. Je lis toujours avec passion une vieille anthologie des moralistes français, vieille mais pas si démodée, et surtout pas bêtifiante. Seulement votre position « moraliste » ne vous permet pas la compréhension d’un phénomène comme Siné ou Charlie Hebdo. Trop souvent la morale, les convenances – la morale convenue – ne permettent pas de comprendre la vie, la simple vie. Il en va ainsi en politique aussi.

Les textes ou les planches inspirés par l’esprit de la satire ou l’art de la caricature, dans Charlie-Hebdo par exemple, ont en général très peu à voir avec l’humour. Ce n’est pas d’abord le sourire (même jaune) qui est recherché, ni le rire. On n’est pas, ou très rarement, dans le domaine de la finesse, du bel esprit, de l’ironie subtile, du Witz. On est plutôt dans l’inversion des valeurs, dans l’esprit du carnaval et sa dimension populaire voire vulgaire, dans la « pure » bouffonnerie, voire dans le loufoque, ce qui n’exclut pas, le cas échéant, une forme d’esprit romantique : la recherche de l’invisible par delà le visible. Le surréalisme a été sensible à cette forme d’iconoclastie.

Caricature et satire non seulement ne font pas dans la dentelle mais elles n’hésitent pas à recourir à l’arsenic. Il s’agit de taper fort, de ruiner ou discréditer, de désacraliser tout ce qu’il y a de vénérable, d’aller jusqu’à l’insoutenable. Je vous en donne un exemple atroce. « Que faisaient les petits oiseaux sur les cheminées d’Auschwitz ? Réponse : « Ils chantaient : cui ! cui ! » Vous riez (ça dépend) ; en tout cas, j’en ai vu, au-dessus de tout soupçon, éclater de rire (« spontanéité du rire »), puis pester (« je me suis fait avoir ! »), réfléchir enfin sur la place de l’atrocité des hommes dans le cours aimable et gracieux de la nature (« je philosophe et c’est utile pour accéder à la sagesse »).

Qu’est-ce que les histoires de mariage de Jean Sarkozy à côté de ça ? Que voulez-vous ? Il n’est plus un jeune homme comme un autre, il est du côté des puissants et il est même devenu, jeune, un puissant par lui-même. Quand un puissant se marie, il y a deux points de vue : France Dimanche ou Points de vue- Images (la belle histoire d’amour de…) et Charlie Hebdo ou le Canard (Les « dessous » cachés d’un mariage …et de la mariée : songez à tous les sens possibles de ce titre). – Un journal normal, sérieux, n’y consacre qu’un entrefilet dans la rubrique fait divers. – Il est devenu, et tout ce qui l’entoure avec lui, une cible naturelle de la satire et de la caricature, de l’esprit bouffon, montmartrois, chansonnier… Contre lui, tout est bon désormais, - comme chez le cochon… En un sens, c’est un honneur rendu aux puissants que de se faire prendre pour des têtes de « turc » et d’être au centre du jeu de massacre permanent de la grande foire populaire : ils « comptent » !

Vous vous rappelez peut-être, c’était en novembre 1970, ce titre et cet article : « Un mort à Colombey-les-Deux-Eglises ». La France entière rendait hommage à De Gaulle, même ceux qui venaient de combattre, pendant dix bonnes années, la nouvelle Ve République. Il était resté le symbole de la France libre. Il n’avait pas été le seul, certes, à lutter pour elle : injustice des symboles et de la gloire. Est-ce qu’un journal satirique a quelque chose à faire de la gloire – comme des symboles ? L’on se disait, le soir, dans les chaumières, ou ailleurs : « Tu ne trouves pas qu’ils exagèrent un peu, chéri ? Mais on ne jetait pas le numéro acheté du matin. « Ce sera un souvenir, mon amour ! »

La caricature, la satire, on aime ou on n’aime pas. On entre dans cette esthétique de l’excès, de l’outrance, du débordement, ou bien l’on n’y entre pas (je n’y entre pas toujours : j’apprécie Kamelott ; mais les Monthy Pythons me laissent froid : « Honte à moi ! » me dit mon neveu du haut de ses quatorze ans). Le critère pour apprécier ce type de textes ou d’images, ce n’est pas de savoir si c’est « bas » ou « élevé ».Le bas veut supplanter, renverser le haut. Souvent, les pantalons tombent et les jupes se relèvent : le bas et le haut s’expriment avec force dans ce double mouvement qui permet de se retrouver ailleurs. Et d’abord par delà le bien et le mal, – par delà le bon et le mauvais goût, si cela existe, – par delà les convenances, à coup sûr.

Ce billet est un commentaire, parmi d'autres, à « L'affaire «Charlie Hebdo» ou la caricature de l'époque », d'Edwy Plenel, et une réponse à ArtMonika.

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