Pourquoi une nouvelle « Déclaration de principes » pour le PS ? La réponse a été donnée depuis l’an dernier : il s’agirait d’un aggiornamento des principes sur lesquels se fondent les politiques qu’adoptent ses congrès et à l’aune desquels tel ou tel arguera qu’une proposition ou un mode de pensée, est compatible avec le PS ou non.
Une déclaration de principes a pour but de donner une identité à l’organisation qui veut se doter d’un projet d’avenir. Sa fonction première est de définir les fondations théoriques, la philosophie ou le système de valeurs qu’il adopte, son mode de fonctionnement, les objectifs qu’il poursuit. Evidemment, avec le temps, il y en a une seconde : faire le tri entre ce qui reste vivant et ce qui est désuet sinon mort, au moins dans le vocabulaire, et parfois refonder le parti, ce qui fut le cas dans les années de transition entre la SFIO et le PS d’Epinay.
La déclaration de principes ne saurait se confondre avec une politique ; elle est censée permettre, justifier l’adoption de politiques futures. Elle a un caractère de généralité voire d’abstraction ; ce qui ne veut pas nécessairement dire que ce ne sont que des mots. Au contraire la présence ou l’absence de certains mots est l’indice d’orientations possibles ou impossibles.
J’ajouterai qu’une déclaration de principes doit à la fois distinguer et rassembler. Elle établit une ligne de partage avec ceux qui n’ont pas leur place dans le parti et elle constitue une référence pour tous ceux qui voudraient rejoindre l’organisation.
Il n’est donc pas anormal pour un parti comme le PS, qui est organisé autour de courants de pensée historiquement divers, que la nouvelle rédaction fasse apparaître les contributions des uns et des autres. Même si le texte n’est pas entièrement approuvé par les uns ou les autres, il ne doit pas être rejeté par eux, sous peine de risquer la scission. Dans certains cas – on l’a vu avec des partis communistes – la scission est admise à l’avance : par exemple en 1920 au Congrès de Tours ou en 1990 lors de la transformation du PCI en PDS.
Le PS de 2008 n’est pas dans cette perspective. L’article 21, qui conclut la déclaration, est clair : « Le Parti socialiste veut rassembler toutes les cultures de la gauche. Il ne se résigne pas aux divisions de l’histoire. Organisant en son sein depuis toujours un libre débat, il appelle tous les hommes et toutes les femmes qui partagent ses valeurs à rejoindre ce combat. » On remarquera que la formulation « cultures de gauche » ne semble pas recouvrir la culture « démocrate chrétienne » qui est celle par exemple de Bayrou. Mais elle n’exclut nullement des cultures chrétiennes de gauche comme il en existe aussi bien au PS que dans les milieux syndicaux et associatifs – et qui s’inspirent, parfois librement, de la doctrine sociale de l’Eglise.Le présent projet de déclaration est plus développé que le précédent et reprend beaucoup de ses formules. Contrairement à ce qu’une vulgate médiatique laisse penser, le vrai changement dans la déclaration de principes socialiste date de 1989. Certes, il était écrit en 1989 : « Parti de rassemblement, il met le réformisme au service des espérances révolutionnaires. » Mais déjà la révolution n’existait plus en tant que fait historique à provoquer ni en tant que début d’un processus historique institutionnel, mais comme pure manière de vivre son idéal politique. En 2008, le mot est éliminé même sous sa forme adjective.
Est-ce politiquement incorrect ? Le débat entre réformisme et révolution est clos pour un pays comme la France, sauf circonstances historiques radicalement nouvelles. Historiquement, le socialisme révolutionnaire et le socialisme réformiste s’opposaient sur le recours nécessaire ou non à la violence armée pour permettre le triomphe d’une société nouvelle. L’histoire a montré la difficulté de passer d’un pouvoir conquis par les armes à un pouvoir démocratique ancré dans le suffrage universel. Dès 1968, en France, le PCF déclarait vouloir recourir à la lutte sous toutes ses formes, sauf la guerre civile.
Le PCF établissait alors la différence entre les révolutionnaires qui veulent changer la société et les réformistes qui font des changements sans changer la société. Quelques années plus tard, lorsqu’il rejeta explicitement l’idée que le changement révolutionnaire ne pouvait être la conséquence d’un grand soir électoral, avatar du grand soir insurrectionnel, Georges Marchais expliqua que les changements révolutionnaires étaient des changements qualitatifs multiples acquis en fonction des rapports de force. Il faisait du PCF, sans le dire, un authentique parti réformiste. Le présent projet « s’approprie » ces idées à l’Art 13, quand il explicite son réformisme :« Le Parti socialiste est un parti réformiste. Il porte un projet de transformation sociale radicale (mot qui n'existait pas dans la déclaratioin de 1989). Il sait que celle-ci ne se décrète pas, qu’elle résulte d’une volonté collective forte assumée dans le temps, prenant en compte l’idéal, les réalités et l’histoire. Le Parti socialiste veut contribuer à changer la vie avec la société et par la société, par la loi et le contrat. Il ne considère jamais les rapports de force d’un moment comme figés ou indépassables. Il entend lutter contre tous les déterminismes sociaux, source d’injustices et d’inégalités. »
Une fois la question du réformisme réglée, quelle est la position du PS à l’égard de ce mode de production qui s’appelle lui-même le capitalisme ?
C’est d’abord le cadre dans lequel s’inscrit son action. Le capitalisme c’est le « réel » d’aujourd’hui comme d’hier et de demain. Il est clair que « le socialisme » n’apparaît nulle part comme un nouveau mode de production. C’est une divergence de fond avec le communisme traditionnel. Seulement l’art. 6 expose le « modèle » économique du parti socialiste :
« Les socialistes sont partisans d’une économie sociale et écologique de marché, une économie de marché régulée par la puissance publique, ainsi que par les partenaires sociaux. Le système voulu par les socialistes est une économie mixte, combinant un secteur privé dynamique, des services publics de qualité, un tiers secteur d’économie sociale.Les socialistes affirment que certains domaines de l’activité ne peuvent relever dufonctionnement du marché, quand ils concernent des droits essentiels. Les socialistes font de la création durable et de la redistribution des richesses un enjeu majeur de l’action politique. Ils pensent que les politiques participant aux enjeux environnementaux doivent être coordonnés par la puissance publique garante du long terme et de l’intérêt général. »Cette formulation est-elle si éloignée de la conception des communistes français depuis bon nombre d’années ? En tout cas, elle montre bien où se situent les enjeux pour le PS. Le « libéralisme économique » jusque dans sa forme ultra, c’est-à-dire financière, est à combattre. Son principe est le libre jeu des forces et des agents économiques ; la personne humaine y est subordonnée et contrairement à l’opinion de ses théoriciens elle n’y trouve pas son émancipation : il suffit de suivre l’histoire du capitalisme pour en prendre conscience. Quant à l’économie entièrement pilotée par le pouvoir politique a montré qu’elle n’était pas efficace, surtout dans la compétition avec le capitalisme.
Le marché montre une capacité à répondre à des besoins, à les anticiper parfois, mais le capitalisme répond d’abord à la règle du profit maximum, ce qui l’empêche d’être à l’écoute de certains besoins sociaux fondamentaux. De là la nécessité d’une « régulation ». Le socialisme, si ce mot doit recouvrir une réalité économique, est un « capitalisme régulé ». La justification de la « régulation » est la politique sociale et environnementale. La recherche du profit se heurte au social (la culture s’y rattache) et à l’environnemental. De là la distinction entre le « marchand » et le « non-marchand », et les distinctions entre le secteur privé, le secteur public et le secteur de l’économie sociale.Le projet innove en mettant au cœur de l’action socialiste la préservation de l’environnement (déjà évoquée très rapidement en 1989) et la nécessité de politiques de développement durable. L’article 3 en entier, et, en partie, les articles 4 et 6 sont très clairs : il est question de « nécessité », d’ « impératif écologique ». La nécessité d’aller vers un nouveau type de croissance est explicite : elle réclame de nouveaux indicateurs. L’action écologique non seulement est mise sur le même plan que le progrès social mais elle en apparaît comme la condition déterminante.
Le PS se veut, par de tels choix, « un parti populaire ancré dans le monde du travail. » Il veut construire un « Etat social » et, du coup, décentralisé qui, implicitement seulement, s’oppose à la conception libérale d’un Etat réduit à des fonctions minimales (régaliennes). Mais il met « la personne humaine » au centre de sa conception de la société, ce qui est bien différent du « travailleur », pour reprendre la terminologie socialiste du XXe siècle. Ce qui permet sans doute de satisfaire tous ceux qui, en son sein, estiment l’horizon capitaliste indépassable. Il n’en reste pas moins que le PS montre sa différence avec les partis de droite qui placent, comme le Medef, au centre de leur réflexion l’entreprise et sa capacité à être profitable.Le PS se présente aussi en parti de la paix. Je regretterai seulement que la nécessité de politiques de désarmement, y compris dans le domaine nucléaire ne soit pas évoquée explicitement.
Je me contente d’analyser quelques aspects importants de ce texte pas encore définitif, qui ne sera ni une bible nouvelle ni un texte marqué d’une indignité ineffaçable. Il ne plaira pas à tout le monde – surtout pas à ceux qui ne le liront pas ou le liront avec leur grille de lecture préalable. C’est un texte malgré tout cohérent que l’on peut parfois trouver insuffisant. Il faut parfois le lire en rapport avec le contexte historique non seulement immédiat, mais aussi avec l’expérience des quarante dernières années.
En conclusion, le PS, avec cette Déclaration, se présente comme un petit-fils des Lumières et de la Révolution française, un enfant de la République qui tient à mettre au cœur de son système de valeurs la notion d’égalité, notion première, fondatrice de l’aspiration socialiste, qui serait stérilisée sans des épousailles étroites avec la notion de liberté. Il est curieux que la fraternité n’apparaisse que dans la mention de la devise républicaine et qu’elle semble se réduire à un « vivre ensemble ». Il se veut le fils du mouvement ouvrier né au XIXe siècle, sans référence plus précise, revendiquant seulement « le souvenir » de la Commune de Paris – qui fut pourtant la matrice de tous les partis socialistes. L’élimination de toute allusion à des théories ou philosophies socialistes marque à la fois la volonté de ne plus être prisonnier de formulations anciennes mais peut-être aussi, et c’est plus préoccupant, celle de déconnecter le PS de toute réflexion de type philosophique au profit, non explicite (sauf dans l’article cité à propos de la croissance), de théories purement économiques. N’est-ce pas un risque de progressivement oublier le terrain qui permet de mettre en perspective propositions politiques, sociales, économiques, progrès des sciences les plus diverses, contraintes environnementales et matérielles ?