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Billet de blog 26 mars 2010

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Pas à pas vers une victoire de la gauche solidaire en 2011 et 2012

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Une étape est franchie dans le processus politique de renouvellement, reclassement, rénovation de la gauche. Une fois les président-e-s de région et les exécutifs régionaux élus, les étapes suivantes sont à l’ordre du jour : confirmation des rapports de force en faveur de la gauche et consolidation des liens avec les forces syndicales et les couches sociales à la recherche de solutions d’urgence et de mesures leur permettant de ne pas être submergés par la crise ; élaboration des projets, programmes et propositions de la, des gauche-s ; choix des candidats.

Il va de soi que le rôle du PS sera décisif. Que cela plaise ou non, il a confirmé sa place centrale dans la dynamique du changement attendue et désormais enclenchée. Sa responsabilité est grande et les Français l’ont voulu ainsi en lui rendant son rôle de premier parti de France. Aujourd’hui il sait que ce rôle n’est pas donné pour l’éternité. Il faut savoir le mériter tout en ayant conscience que d’autres y aspirent – tout particulièrement à droite.

1. La difficile politique du parti unique de la droite

J. Chirac, Alain Juppé puis N. Sarkozy l’ont voulu après 2002 : l’UMP doit être le parti unique de la droite, un parti capable de

L’épreuve du pouvoir rend en effet difficile cette stratégie qui réclame, pour être complète, « l’ouverture à gauche ». Qu’un rallié de la gauche s’occupe de la politique d’immigration, voilà le symbole de la droite ouverte et décomplexée telle que l’a voulue Sarkozy. Ajoutez à cela quelques nominations d’hommes venus de la gauche à des postes de haut niveau. La droite braille d’autant plus fort que Sarkozy l’américanophile devrait être un adepte du spoilsystem. Mais il a compris que pour tenter de camoufler la nomination systématique de ses proches amis aux postes clés de l’économie, de l’audiovisuel et ailleurs, il fallait afficher bruyamment un semblant d’ouverture. Pouvait-il se permettre d’être le président qui aurait mis en place le premier Conseil constitutionnel de la Ve République uniquement composé de personnalités de droite ? Et en quoi F. Migaud le gênera-t-il plus que Philippe Seguin qui ne s’en laissait déjà pas compter ?

Tout ceci ne peut vraiment cacher que Sarkozy a bien mérité du Medef. Et là se trouve son problème politique majeur. Bien sûr, il n’hésite pas à vilipender les patrons voyous jusque devant un parterre de grands patrons. Ils font grise mine et Laurence Parisot sait rappeler les positions patronales. Mais de quoi peut se plaindre le Medef ? Si jamais un ministre publie une liste d’entreprises qui se soucie peu de ses salariés, il est rappelé à l’ordre – et même démis. Chantal Jouanno, la sportive secrétaire d’Etat, n’hésite pas à déclarer : « C'est le Medef qui a planté la taxe carbone. Au nom de la compétitivité. Est-ce que le Medef s'est ému des 2 milliards de bonus distribués aux banquiers ? » Sarkozy est en phase avec le patronat. Il finance les banques sans contrepartie : de quoi continuer comme avant… Sarkozy, à sa manière, mène une révolution « libérale » destinée à rompre définitivement avec le modèle social hérité de la Libération, la bête noire du Medef. Révolution qu’il veut globale, ce qui donne à la fois un air brouillon à sa démarche, ce qui menace toutes les couches sociales extérieures à la sphère dominante, et ce qui, compte tenu de sa persévérance voire de son obstination, risque de ne pas être sans conséquence durable.

2. Confirmer dès 2011 le rapport de force favorable à la gauche

Le symbole de la politique de soutien aux intérêts du CAC 40 est le boucler fiscal auquel la gauche a opposé avec succès, lors des régionales, « le boucler social » des mesures (parfois modestes) qui permettent toutefois d’éviter les impasses : passeports-jeunesse, aide aux voyages scolaires des lycéens, soutien pour passer le permis de conduire, trajets pour le travail au tarif limité à 2 €, et bien d’autres... A l’UMP qui proclamait la nécessité du changement (dans l’abstrait), les électeurs ont préféré de donner une confiance renouvelée à ceux qui avaient élaboré leurs propositions (concrètes) dans des centaines de forums.

C’est la voie qui sera suivie l’an prochain pour le renouvellement des Conseils généraux. Il est curieux de constater combien ces élections sont oubliées. Signe de parisianisme pour l’UMP et le gouvernement, puisque Paris est à la fois municipalité et département ? Les forces de gauche auraient tort de négliger les élections cantonales de 2011. Les conseils généraux gagnés à gauche en 2004 ont un bilan à faire valider. Il s’agira de confirmer le rejet de la réforme des conseillers territoriaux qui marque un recul de la décentralisation, un cumul inédit des fonctions électives, une remise en cause de fait de la parité hommes-femmes aux élections. Surtout un enjeu nouveau apparaît. Si la gauche progresse en 2011, le Sénat peut enfin espérer être doté d’une majorité de gauche. On voit quelles peuvent en être les conséquences favorables pour l’élection présidentielle qui suivra.

3. Le changement à réussir dans des conditions politiques nouvelles

La gauche est donc appelée à un travail politique de fond, ardu, novateur. De fond, car sans projet anticipant largement sur l’avenir et capable de mobiliser les générations qui ont précisément l’avenir devant elles, sans propositions répondant aux grandes questions politiques nées de dix années de politique de droite avec son douloureux épisode sarkozyste, sans programme d’urgence permettant de répondre aux revendications les plus pressantes pour ceux qui perdent pied, l’actuel président risque d’être reconduit. Qui imaginait Chirac réélu en 2002 ? L’atout de la gauche est précisément d’avoir vécu ces dix années d’échecs politiques nationaux alternant avec des succès locaux parfois très flatteurs.

L’ensemble de la gauche est concernée. L’électorat a mis le PCF hors jeu pour les présidentielles depuis 2002, tout en lui accordant une confiance limitée mais non négligeable dans les autres scrutins. Les Verts, qui jusqu’ici n’ont pas non plus réussi à percer lors des présidentielles, ont trouvé un nouveau souffle avec Europe Ecologie depuis 2009. Ils semblent enfin arriver à ce qui avait commencé à s’esquisser au début des années 90 : un électorat potentiel, selon les sondages, supérieur à 10%. Mais en 1993, faute d’avoir clairement choisi de se situer à gauche, le reflux avait été immédiat.

Le débat qui les agite actuellement peut toujours avorter. Cohn-Bendit, avec un certain nombre de personnalités devenues eurodéputés, insiste, sans doute avec raison, sur la nécessité de dépasser un parti Vert aux effectifs réduits et propice aux discussions internes désolantes pour des électeurs normalement constitués. Mais comme il n’a pas changé de philosophie politique depuis mai 68, et qu’il se fait toujours le héraut d’un « anti-autoritarisme » fleurant bon, sinon Bakounine, du moins la fin du XIXe siècle, on peut comprendre les réticences qui se manifestent à la direction Verte. Cohn-Bendit, de surcroît, c’est une orientation qui ferait d’Europe Ecologie une force politique oscillant, selon les circonstances, du centre gauche au centre droit. Ce à quoi avaient pensé Die Grüne en Allemagne. Corinne Lepage et CAP 21 l’ont fort bien compris qui, avec d’autres écologistes, se sont sentis modem-compatibles et sont en train de rallier Europe Ecologie. La direction des Verts est confrontée à un réel problème politique. Du coup à gauche, la discussion sur les alliances avec le « centrisme » risque de réapparaître, plus complexe, source éventuellement de divisions d’un nouveau type.

4. Le rôle fédérateur du PS

Dans l’affaire, c’est le PS qui va devoir jouer le rôle fédérateur, le rôle le plus compliqué à assumer. Le PCF était capable de conclure des alliances larges – ouvertes aux « républicains de progrès », variables selon les circonstances, ce qui n’est pas le cas du NPA lié congénitalement à l’esprit gauchiste – ce qui explique ses résultats fort minces, sauf quand il fait alliance avec un Front de gauche lui donnant un semblant de crédibilité. Europe Ecologie et les Verts n’ont pas cette culture politique. Les discussions avec eux sont parfois compliquées : les délégations changent parfois au cours des discussions et remettent en cause ce qui semblait un temps acquis. On en a eu un exemple (pas trop grave) dans les discussions de fusion des listes entre les deux tours des régionales.

Les difficultés du PS tiennent aussi à l’image héritée non seulement des dix dernières années mais de toute la période commencée avec le Congrès d’Epinay. Le PS s’était donné pour objectif de faire reculer le PCF ; il a réussi avec pesprit de suite. Des responsables importants du PS ne cachent plus que cette obstination prolongée sans doute outre-mesure a eu des conséquences défavorables pour le PS lui-même.

Outre l’accusation d’hégémonisme, elle a vidé le « réservoir » des forces alliées. De là l’attention portée par Martine Aubry et son équipe à changer de comportement politique : représentation des partis alliés à la proportionnelle, engagement d’aider les forces qui participeront à des primaires communes ou à un accord de gouvernement à avoir une représentation au Parlement en rapport avec leur influence réelle – la création d’une part significative de députés élus à la proportionnelle y contribuerait. Il est clair que l’électorat réagit vite négativement à des décisions qui paraissent renouer avec « le passé d’Epinay ». Les dernières régionales l’ont montré, même quand les décisions avaient une justification (par exemple en Languedoc-Roussillon).

5. Une politique de gauche nouvelle et fédératrice : un défi de haut niveau

Le passage d’une politique marquée par le social-libéralisme à une politique rompant clairement avec le libéralisme financier, fondée sur le développement de l’économie réelle dans un souci de préservation environnementale, bref une politique social-écologique, demande un effort tout particulier pour convaincre l’électorat de sa validité et de la rupture qu’elle représente pour les socialistes eux-mêmes. Les forces gauchistes, politiques et syndicales, adeptes de la volaille socialiste à plumer, ne feront aucun cadeau et l’on sait les dégâts que la conjonction des critiques de droite et des critiques de « gauche » peut provoquer. Il convient donc de mettre un authentique dialogue social en œuvre dès maintenant sans choisir, comme ce fut fait trop longtemps, entre les syndicats que l’on soutient (la CFDT, l’UNSA…) et ceux que l’on veut a priori contenir (la CGT, la FSU…), ce qui aboutissait trop souvent à soutenir des syndicats minoritaires au détriment de syndicats majoritaires.

N. Sarkozy va laisser un héritage désastreux. On a beaucoup discuté des critères de Maastricht, notamment des 3% de déficit à ne pas dépasser. Avec les 8% actuels, la question ne se pose pas : c’est insupportable. Comment procéder pour un retour à la normale sans que ce soient les plus démunis qui en souffrent ? Comment aller vers une reprise de l’emploi soutenue – ce qui est la question centrale pour l’avenir des retraites, on a trop tendance à l’oublier ? Le simplisme gauchiste peut devenir rapidement ravageur. C’est en donnant la parole, entre autres, aux syndicats représentatifs que l’on pourra, malgré ou parfois grâce à la diversité de leurs points de vue, trouver des solutions originales qu’il conviendra, avec un esprit de responsabilité d’évaluer comme des étapes vers des objectifs plus ambitieux encore.

6. La gauche entière dans le chantier de la rénovation

Le PS porte une lourde responsabilité. Sa vie interne s’est considérablement améliorée mais il reste des pesanteurs du passé. Ceux que les journalistes appellent des « barons » et qui s’appuient sur des formes plus ou moins accentuées de clientélisme ne permettent pas toujours les discussions libres et surtout approfondies dont le PS a besoin. Le cas Frêche est devenu caricatural. Il est éclairant de voir qui est venu lui apporter un soutien.

Quand un parti – des partis car les Verts ou le PCF sont confrontés à des problèmes analogues, le NPA ayant raté la métamorphose de la LCR – doivent se rénover profondément, il n’est pas étonnant que les discussions connaissent des épisodes vifs. Il convient de les éviter au mieux. Pour ce qui est du PS, Martine Aubry a montré une certaine capacité à maîtriser un tel processus. Certains disent qu’elle a le syndrome de la tortue. Pour celle qui a su s’imposer dans le pays lillois, l’essentiel est d’arriver au but. Les Français ont commencé à remarquer que sa méthode, pour l’instant, présente une efficacité à laquelle ils ne croyaient pas a priori.

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