Nicolas Sarkozy, depuis longtemps, a décidé d’instrumentaliser l’islam de France. Dès son arrivée au ministère de l’Intérieur, il veut relever le défi : là où la gauche, J.-P. Chevènement puis Daniel Vaillant n’ont pu aboutir entre 1999 et 2002, lui, il réussira le pari impossible : créer le Conseil français du culte musulman (CFCM).
Le pari politique de Sarkozy. Son échec.
Effectivement, en un an, le CFCM est créé. Comment N. Sarkozy a-t-il surmonté les obstacles ? En faisant un pari politique. Accepter les fondamentalistes pour mieux les intégrer. Parmi eux, l'Union des organisations islamiques de France qui puise ses références dans la doctrine des Frères musulmans. Même un chercheur du CNRS comme Franck Frégosi, conscient que l’UOIF représente « incontestablement » les Frères musulmans, estimait que lui faire partager les responsabilités dans la gestion des affaires cultuelles était une bonne chose : « je crois que, confrontée à la réalité et à l'exercice du pouvoir au sein du CFCM, l'UOIF va se “notabiliser” » (L’Express, 2 mai 2005).
C’était là avoir un raisonnement d’occidental, habitué à des relations où la religion s’inscrit dans des sociétés sécularisées. Des responsables d’une mouvance islamique formée à l’école des Frères musulmans sont dans une autre optique : la religion sert à préparer l’avènement d’une société et d’un Etat islamiques. Fiametta Venner, une politologue franco-libanaise, auteur d’un ouvrage paru chez Calmann-Lévy OPA sur l'islam de France. Les ambitions secrètes de l'UOIF, rappelait il y a cinq ans une déclaration d'Ahmed Jaballah, cofondateur de l'UOIF, qui siégeait toujours dans l'appareil directeur : «L'UOIF est une fusée à deux étages. Le premier étage est démocratique, le second mettra en orbite une société islamique.» (voir : http://www.lexpress.fr/actualite/societe/religion/la-face-cachee-de-l-uoif_486103.html).
On peut trouver sur Internet des vidéos qui développent insidieusement une telle démarche. Je vous invite à visionner cette vidéo sur le site de prédication Abou Rayan : (http://www.dailymotion.com/video/xd1ljx_abourayan-message-a-caroline-foures_news). Une voix au ton suave laisse entendre que la seule loi qui doit compter, c’est le Coran, que les musulmans laïques sont de faux musulmans, à commencer par le recteur de la Grande mosquée de Paris, que …Le Pen est finalement honnête, que l’émotion à l’occasion du 11 septembre devrait être relativisée en comparaison des hécatombes sur les routes dues … à l’excès de vin, fondement culturel de la France laïque. Le summum est dans la dérision assumée d’un souhait politique : que les pays occidentaux laissent s’installer de vraies républiques islamiques au Maghreb et au Moyen-Orient, ce qui permettra de faire un échange entre les musulmans laïques de ces pays et les musulmans authentiques des pays laïques !
Le CFCM qu’a voulu à toutes forces Nicolas Sarkozy, n’est pas une réussite. Le ministre Sarkozy a tout de suite fait comprendre que le président du CFCM devait être D. Boubakeur : sa « légitimité est contestée par la quasi-totalité des composantes mais fortement soutenue par l'État qui le juge comme le seul à être apte à occuper cette fonction » pour reprendre la formulation de Wikipédia. Vous votez (c’est grâce à moi), mais je décide ! Du coup, les difficultés de fonctionnement ne cessèrent pas et tout cela finit, en 2008, par la décision de la Mosquée de Paris dont la volonté de faire émerger un islam « modéré » est connue, de ne plus participer aux élections. Belle réussite. Catherine Fourest, à juste titre, déclare à une association de chrétiens laïques, « Nous sommes aussi l’Eglise » :
« Les Frères musulmans sont devenus dans l’espace public les médiateurs, le juste milieu en Islam, à la place des musulmans laïcs qui représentent pourtant l’immense majorité des musulmans en Europe. Or les Frères musulmans sont beaucoup plus dangereux que les salafistes qui prônent le voile intégral.
Ils ont réussi à faire passer tout musulman laïque pour ce qu’ils appellent un « occidentalisé », un traître qui détourne l’Islam de ses fondements. C’est cette accusation qui fait des modernistes un mouvement minoritaire dans un grand nombre de pays musulmans, aujourd’hui. » (http://www.nsae.fr/2010/04/27/un-choix-reactionnaire-entretien-avec-caroline-fourest/).
L’UOIF apparaît désormais à trop de musulmans pratiquants comme le meilleur lieu de rencontre pour les croyants, notamment avec son rassemblement annuel du Bourget. Le fondamentalisme a été officiellement installé dans la légitimité républicaine. L’UOIF mène aujourd’hui la danse contre l’interdiction du voile intégral – comme elle a soutenu financièrement les avocats des jeunes filles en procès contre les établissements scolaires avant la loi sur les signes ostentatoires de 2005 : le double langage est de rigueur ; nous sommes pour la laïcité, mais avec le voile ; le voile simple suffit, mais il faut laisser la liberté au voile intégral...
Le voile intégral et l’échec de la politique présidentielle
N. Sarkozy est placé devant les conséquences de sa politique et de sa conception fort personnelle de la laïcité. De sa politique sociale avant tout. Son mépris pour les quartiers pauvres aux logements trop souvent délabrés – où habitent bien des populations issues de cultures musulmanes, son incapacité à soutenir les associations qui créent du lien social et culturel laïque, ses a priori sur l’inutilité de la police de proximité, ouvrent la voie aux porte à porte des fondamentalistes. Ils viennent non seulement pour prêcher mais pour faire des dons aux pauvres, selon une obligation religieuse respectée à la lettre. Etonnons-nous que les « foulards » fleurissent depuis ces dernières années. La Croix-Rouge, le Secours populaire, les Resto du cœur ont-ils le potentiel militant de certaines mouvances fondamentalistes ? Vont-ils dans ces quartiers qui leur sont trop souvent étrangers ?
Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy, l’apprenti sorcier, veut l’interdiction de la « burqa ». C’est le grand objectif laïque du président en ce printemps qui a si mal débuté pour lui. Assurément le respect de la laïcité est le meilleur moyen de résoudre ces problèmes de plus en plus compliqués. La laïcité, c’est effectivement le respect de toutes les croyances. Mais il faut en finir avec les méthodes héritées du maurrassisme, les discussions foireuses sur ce que c’est qu’être Français. Il faut arrêter de réveiller les vieilles peurs sur lesquelles spécule le Front National : « ô que c’est détestable d’être polygame ! Et en plus ils nous prennent nos alloc’ ! » La République a elle-même jusqu’en 1993 cherché des solutions pour faire évoluer les mentalités de certains foyers polygames (voir : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/04/26/01016-20100426ARTFIG00455-la-polygamie-un-phenomene-difficile-a-apprehender-.php).
Toutes mes connaissances ont la volonté de mener un débat serein, ne stigmatisant point la religion musulmane, et surtout pas les Français et Françaises de culture musulmane : c’est pourquoi une procédure d’urgence pour l’adoption d’une loi relative au voile intégral est absolument inadaptée. Tous sont d’accord pour que soient trouvés les moyens de construire là où c’est nécessaire, en respectant la loi de 1905 et les règles de l’urbanisme, des lieux de culte décents. Ils se méfient des imams plus ou moins autoproclamés et ils commencent à savoir que la représentativité des musulmans se mesure (eh oui !) à la surface des lieux de cultes. Mieux vaut des mosquées bien visibles avec des imams qui soient de vrais religieux et non des politiques intégristes déguisés en religieux.
Une loi apparaît de plus en plus nécessaire
Comme je l’ai déjà écrit dans ce blog, une évolution de l’esprit public est en cours. Certes il convient d’utiliser tout l’arsenal des textes dont dispose notre République. Mais dans un pays de la Loi comme le nôtre, l’idée s’impose que seule une loi permet l'efficacité. La loi de 2005 sur les signes ostentatoires a montré que les hésitations qui l’ont précédée (et manifestées déjà à l’époque par le conseil d’Etat) étaient peu justifiées. La loi a été respectée. Le cadre juridique est plus compliqué aujourd'hui. Je ne suis pas juriste mais je suis sensible à la position de Mme Pourhiet, professeur de droit public à l’université de Rennes I, dont les compétences juridiques ne peuvent être mises en doute (http://www.marianne2.fr/Burqa,-AM-Le-Pourhiet-Pas-d-accord-avec-le-Conse...). Elle fait appel, me semble-t-il, au courage politique et à la créativité en matière législative. Je le souligne d’autant plus volontiers qu’elle développe une argumentation en pleine opposition avec la notion de dignité de la femme sur laquelle va se construire le projet de loi Sarkozy.
L’esprit de secte et le voile intégral
J’ajouterai que la question du voile intégral fait l’objet d’une critique vigoureuse d’importantes personnalités musulmanes laïques, mais aussi du recteur de la Grande mosquée de Paris. Elle est formulée dans un appel datant de décembre dernier (http://www.federationmosaic.com/appel%20du%2018decembre2009.html), qui n’a pas eu l’écho qu’il méritait. Les termes employés doivent faire réfléchir les politiques : « dans notre pays, la France, des prédicateurs qui se prétendent musulmans manipulent l’Islam pour enfermer de jeunes citoyens dans des sectes. Il s’agit bien de sectes au sens du Droit français (…) Ces prédicateurs manipulent aussi l’Islam pour faire croire à de jeunes femmes qu’il est sain de se mettre un drap noir sur le corps, pour les enfermer elles aussi et les couper du reste du monde … Ces prédicateurs sectaires et ultra minoritaires prétendent que les autres musulmans n’ont rien compris au Coran. (…) Leur méthode est celle des sectes. »
De leur point de vue, ceux qui stigmatisent les musulmans de France et mettent en péril la cohésion sociale, c’est justement l’ultraminorité des « activistes et prédicateurs sectaires ». Les socialistes et la gauche n’ont pas de complexe à avoir. Ecoutons Noureddine Cheikh, président de l’association « La Mosquée de Marseille », déclarer dans Mediapart du 1er décembre 2009 : « L'Islam n'a rien à voir avec la burqa, ça a été importé. Mais on n'a jamais été contre le fait que demain la France interdise la burqa (…) Pourquoi le parlement français ne prend pas l'initiative de dire : la burqa est interdite ? Et ça efface tout, c'est clair et net. » Le même a tout à fait conscience que le pouvoir instrumentalise le port du voile ! Car tout est bon pour l’UMP s’il s’agit de gagner les voix de l’extrême droite et, en même temps, de nous amener à prendre position moins sur le problème de fond que sur la manœuvre à laquelle ils se livrent. Ne tombons pas dans le piège.
Le plus grand nombre des musulmans de France ne se reconnaît même pas dans le port d’un voile au quotidien. Ils ont voulu s’intégrer pleinement dans l’esprit laïque républicain et la liberté de choix qu’il implique, y compris dans la manière de vivre et interpréter sa religion. Disons-le haut et fort : nous serons entendus de ceux qui voient l’avenir sous le signe de l’invention d’une société plus libre, plus fraternelle. Je me permets de citer Taslima Nasreen : « Près de 20% de la population indienne est de confession musulmane et, malheureusement, les représentants qui se font le plus entendre dans cette importante communauté sont les fondamentalistes. Les gens éduqués, civilisés, cultivés et laïques de la communauté musulmane ne sont pas considérés comme représentatifs de celle-ci. Peut-on concevoir plus grande tragédie ? » Nous sommes en France, dans des conditions moins dramatiques bien sûr, mais faut-il se laisser impressionner ? Quand l’islamisme prend pied, toutes les surenchères sont possibles.
Savoir dire non dans un monde de passions guerrières
N’oublions pas que la volonté de manifester jusque dans la dérive sectaire son identité islamique en France (et ailleurs) trouve sa source non seulement dans les problèmes sociaux non résolus mais surtout, selon moi, dans l’impasse de la question palestinienne et l’irresponsabilité des actuels dirigeants israéliens. Sur cette dernière question, je ne vois pas de solution immédiate… Alors je souhaite bien du plaisir à la gauche si elle ne sait pas mettre les barrières là où il faut.
Il est caractéristique que des élus comme André Gérin et Manuel Valls soient des maires confrontés en direct avec ce problème. Je suis loin de partager toutes leurs options politiques publiques au PC ou au PS mais ils ont raison de vouloir une loi, et un certain nombre d’élus qui jurent n’en pas vouloir et affirment qu’ils voteront contre semblent surtout préoccupés du « vote musulman » de demain. Or aujourd’hui la question aux yeux des Françaises et des Français, quelle que soit leur religion, est de savoir si le voile intégral sera toléré ou non dans l’espace public. Très majoritairement, ils le refusent. Et ils en ont assez qu’on les abreuve d’images, de discours qui permettent de ne pas parler de leur vrais problèmes. Ils veulent que la question soit réglée, dans les formes, sans criailleries, mais définitivement. Il est de la responsabilité de la gauche de faire en sorte que le débat soit mené dans le calme, et qu’il apparaisse bien que la religion musulmane n’est menacée que par les fondamentalistes islamistes. Même la prestigieuse université islamique Al Azhar du Caire a mis un coup d’arrêt au port du voile intégral.