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Billet de blog 29 septembre 2011

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Aubry-Hollande : bonnet blanc et blanc bonnet ?

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A l’« extrême gauche », il est de bon ton d’affirmer que tous les socialistes se valent puisqu’ils ne sont plus de gauche et bien sûr encore moins socialistes. A « la gauche de la gauche », on distingue entre ceux qui sont encore de gauche et ceux qui ne le sont plus guère.

Pour certains, A. Montebourg serait encore de gauche, ce qui était réservé, il n’y a pas si longtemps, à B. Hamon, aujourd’hui soutien de M. Aubry. Evidemment, on se demande pourquoi Montebourg, comme on se le demandait hier pour Hamon, s’entête à rester dans un PS moribond sinon en état de putréfaction. Que ne font-ils comme J.-Luc Mélenchon ? – Lequel, cependant, pour les plus purs et les plus durs, se fourvoie avec son alliance avec les communistes puisque ces derniers n’ont jamais renoncé au principe du rassemblement politique de la gauche sur le plan local ou national.

On est ainsi dans un remake permanent du « bonnet blanc et blanc bonnet » de Jacques Duclos. Mais ce dernier, alors même qu’il ne faisait pas de cadeau à G. Defferre, réservait sa phrase assassine à Pompidou et Poher. Peut-être est-il plus facile à un ancien ouvrier-boulanger de distinguer la droite de la gauche qu’à quelques bataillons parfois bardés de diplômes – et gavés de textes des grands et petits maîtres de la révolution socialiste et communiste des XIXe et XXe siècles, peu souvent lus avec le recul critique que rend pourtant possible le regard de la postérité.

Même dans la rédaction de Mediapart, ce phénomène se manifeste. De façon parfois stupéfiante. Depuis quelques semaines, L. Mauduit, parfois relayé par E. Plenel lui-même, persiste à distinguer entre deux « sensibilités » économiques au PS.

L’une, celle de Montebourg et Royal, a une approche plus « rugueuse ». Quand je fais lire cette fadaise à des amis pas nécessairement socialistes, c’est la franche rigolade. Ils se souviennent que F. Bayrou était pressenti par Royal comme Premier ministre, et ils demandent… à voir – d’ailleurs la plupart ne souhaitent pas voir. Quant à Montebourg, il utilise la ficelle électorale classique et parfois efficace : clamer haut et fort que les deux candidats qui émergent du lot se ressemblent furieusement, dans l’espoir de gagner des voix. Ce qui permet de se faire bien voir – et à peu de frais – d’une « extrême gauche » à laquelle il est à peu près sûr de ne rien devoir.

L’autre sensibilité, celle de M. Aubry et F. Hollande, relève du bonnet blanc et blanc bonnet. Pourquoi ? Tous deux veulent ramener le déficit budgétaire à 3% fin 2013 ! M. Aubry a même trahi le projet socialiste lui-même qui prévoyait 2014 voire 2015 !! J’ai lu ce projet et n’ai point trouvé cette précision, même si dans le débat public la question a effectivement été discutée. Michel Sapin, l’économiste de F. Hollande, ancien ministre de l’économie de Bérégovoy, critiquait lui-même cet engagement formel de Sarkozy qui « ne rassure d'ailleurs pas les investisseurs ». Depuis, Hollande a fait dans la surenchère avec la droite, sa "règle d'or" et son austérité. Martine Aubry a compris le piège tendu. Comment rester une candidate internationalement crédible si l’on affirme ne pas se soucier des traités en vigueur ? « C'est un engagement européen de la France, je devrai donc le respecter ». D’autant plus que les arrangements négociés sont toujours possibles. A la différence de Hollande (et bien sûr de Sarkozy), elle ne cesse de répéter que « le tout-austérité » tue le pays au lieu de le sauver (cf. la Grèce). Elle s'ouvre ainsi déjà une porte de sortie politique par rapport à cet engagement. Cher L. Mauduit, quand on prend l’allure du magister, voire du censeur, rappelez-vous que c’est aussi cela faire de la bonne politique.

En 2012, il se trouve que la France doit renouveler une part importante de ses emprunts qui sont des emprunts à taux faible. C’est une phase délicate : il s’agit d’obtenir les taux les plus avantageux. La bataille sera rude avec les banques qui veulent augmenter les taux pour raison de crise. C’est ainsi que j’interprète la répartition 2/3-1/3 des marges dégagées pour le remboursement de la dette. La première année de gouvernement de gauche commence en mai, le budget général sera celui du gouvernement Sarkozy (même s’il y aura un budget rectificatif). La manœuvre semble plutôt habile que coupable. M. Aubry est une politique qui sait tirer le parti des circonstances.

Primaires citoyennes : les « outsiders »

Dans un marché, un électeur me confiait combien il appréciait d’entendre à la fois M. Valls et A. Montebourg : « ils disent chacun un bout de vérité, maintenant il faut la synthèse ». Il était sans doute dans le vrai. Il avait compris en tout cas que tous les candidats se situaient dans le même champ politique. Est-ce à dire que chaque candidature a la même signification ? La manière de faire la synthèse prend évidemment un sens politique.

A. Montebourg, ce n’est un secret pour personne, a fait sa synthèse personnelle, sans se soucier outre mesure de la réflexion collective du PS. Il est dans la prospection politique, ce qui est loin d’être condamnable mais n’est peut-être pas le meilleur moyen de s’imposer dans une élection présidentielle où chaque voix gagnée ou perdue peut peser lourd : le travail de rassemblement est sans doute plus efficace. Mais il occupe un créneau qui lui permet de se faire écouter par des électeurs de gauche qui aiment les idées en train de naître, des idées qui ont chance, sous une forme ou une autre, de s’affirmer à l’avenir. C’est ainsi que L. Mauduit, déçu par la S. Royal cru 2011, s’émerveille devant une « démondialisation » qui est associée à un « protectionnisme… européen » – notre journaliste ne s’est cependant pas aperçu que ce protectionnisme-là est mentionné en gras dans le projet du PS sous l’expression de l’ « augmentation des droits de douane au niveau européen pour les pays ne respectant pas les normes internationales en matière sociale, sanitaire ou environnementale ». Ce protectionnisme-là est bien mieux ciblé dans son exigeante modernité.

M. Valls, de son côté, s’est donné pour objectif de s’approprier des thèmes au cœur de la pensée de droite qu’il juge insuffisamment pris en compte par la gauche. Il n’a jamais caché qu’il n’est candidat qu’en l’absence de DSK. La candidature de Hollande, dont il est vraisemblablement le plus proche, ne lui semble pas, en l’état, suffisamment solide.

Quant à S. Royal, elle est plus sensible à la recherche d’une synthèse politique globale. Dans son entourage de communicants, il se trouve d’anciennes personnalités issues du gauchisme soixante-huitard qui savent parfois relooker avec art le discours socialiste ; on y retrouve même des expressions de Georges Marchais… A quoi s’ajoute le choix de formules qui, dans un tel contexte, prennent une couleur flamboyante. C’est le cas pour ce qui est des banques, alors que le projet du PS n’est pas en défaut sur ce point (voir I, 3, 2 : « Réguler la finance… »). Sa faiblesse, c’est que le pays se rappelle la fin de sa campagne en 2007. Elle-même ne peut que se placer dans le prolongement de la dernière présidentielle. Or, le projet du PS, sous la houlette de M. Aubry, a su reprendre ses meilleures propositions. Il lui est devenu plus difficile d’apparaître comme une rénovatrice. Ceci dit, la comparaison avec son ex-compagnon n’est pas vraiment en faveur de ce dernier.

Primaires : les « favoris » - F. Hollande

Les candidatures de F. Hollande et M. Aubry ont une particularité : l’un et l’autre ont exercé la fonction de Premier secrétaire du PS. Dans une démocratie, les chefs de parti ont une légitimité particulière. Ils ont une vision globale de la politique.

La question première qui se pose à leur égard est celle de leur réussite dans l’exercice de leur fonction. Tout le monde sait qu’à partir de 2004, le mandat de F. Hollande est devenu calamiteux. Après 2002 et le 21 avril, un redressement a lieu avec les élections de 2004 et en particulier une élection européenne orientée vers une Europe sociale. Mais l’absence, voire le refus de discussion approfondie sur le projet de constitution européenne, divise profondément le PS. Hollande pensait asseoir sa candidature pour les présidentielles 2007 sur un succès référendaire. Patatras ! C’est sa compagne (de l’époque) qui emporte le morceau et ne réussit pas à transformer l’essai. Le plus grave, c’est qu’il se montre définitivement incapable de rassembler le PS. Il faut la venue de Martine Aubry pour faire cesser la cacophonie institutionnalisée, pour remettre les sensibilités diverses au travail en commun. Dans les marchés, dans les HLM, les électeurs le savent. Ce n’est pas par hasard si dans une toute récente enquête de BVA-Orange, M. Aubry surclasse largement F. Hollande pour ce qui est de l’autorité et du dynamisme (et aussi de la proximité à l’égard des gens).

Qu’est-ce que cela signifie sinon que l’esprit inventif, la capacité à prendre des décisions claires, en refusant tout « consensus mou » n’est pas du côté de Hollande ? Ce qui fait réfléchir quand il s’agit de mener une campagne présidentielle contre une « bête politique » comme N. Sarkozy.

Alors quels sont les atouts de Hollande ? Il est plus « sympathique ». Tout en n’étant pas aussi « proche des gens » que sa concurrente. Ce qui signifie dans le concret de la campagne actuelle qu’il sait faire rire son auditoire (et les journalistes) …mais il ne suffit pas de faire rire son auditoire (et les journalistes) pour l’emporter sur l’UMP. Il faut convaincre « les gens », c’est-à-dire l’électorat populaire qui s’est éloigné pendant qu’il était à la tête du PS.

Il est plus « rassurant ». Mediapart a montré, en effet, comment il sait utiliser ses relations avec un Jean-Pierre Jouyet. Personnellement, j’ai envoyé cet article à quelques dizaines de responsables socialistes de mon département. J’ai reçu une réponse : celle d’un soutien de Hollande, revendiquant sans état d’âme cette démarche sous couleur de récupérer des électeurs déçus du sarkozysme. Il fait passer le message :

« Maintenant, je comprends que cela contrarie certains dans la course à la primaire que F. Hollande reçoive autant de soutiens, et des soutiens « autorisés », et quel que soit le parcours de chacun, pour le sérieux de ses propositions et sa prise en compte rigoureuse de la situation dans laquelle il risque de trouver notre pays s’il est élu aux Primaires puis à la Présidence.

Au fait, sais-tu qu’aux prochaines présidentielles, nos chances de l’emporter dépendent largement du nombre d’électeurs qui aura voté Sarkozy en 2007 et qui s’en détournera et votera pour notre candidat ???

Parce que, si c’est pour les interroger d’abord et leur dire « compte tenu de votre passé, nous ne voulons pas de votre voix », ça va être dur de gagner. »

On croit rêver. Pour faire revenir à gauche ceux qui ont cru gagner plus en travaillant plus ou ceux qui croyaient en une nouvelle République irréprochable (pour ne prendre que ceux-là), il faut avoir l’avis « autorisé » d’un transfuge de 2007 ! D’un transfuge devenu, pour prix de ses services, président de l’Autorité des marchés financiers, et tout prêt, assure-t-il, à devenir le secrétaire général de Hollande s’il est élu en 2012. La démarche est connue. C’est celle de Tony Blair après 18 ans de thatchérisme, celle de Schröder après 16 ans d’Helmut Kohl. Elle se termine tristement pour le peuple de gauche – mais pas nécessairement pour ceux qui ont incarné le social-libéralisme : Schröder et Blair ont trouvé de quoi occuper confortablement leur retraite politique. Comme le dit si délicieusement J.-P. Jouyet, la politique économique de F. Hollande ne changera pas de la politique actuelle. Au moins, cela permettra de tester la valeur des convictions de Montebourg, si par hasard il doit choisir entre Hollande ou Aubry…

Les « favoris » : M. Aubry

Mediapart commence depuis (très) peu à découvrir que le « bonnet blanc et blanc bonnet » ne correspond plus très bien à la réalité politique et aux enjeux des primaires. L. Mauduit a donc salué avec beaucoup d’enthousiasme (et un peu moins d’arguments) la candidature de Montebourg. Tant mieux : Montebourg est un fouetteur d’idées. . Parallèlement, Mediapart souligne (enfin !) la légèreté politique de la candidature Hollande : le 2e débat des primaires a ouvert des yeux. Mieux vaut tard que jamais. L’astuce, pour ne pas perdre la face, consiste à présenter désormais M. Aubry comme une « jospinienne » (sous-entendu : attardée ?). Cela permet de tout dire : elle a les qualités et les défauts de son mentor ( ?) ; elle a dix ans de retard. Peu importe : ce débat n’a guère d’importance que du point de vue de l’histoire, et encore. Dans dix ans peut-être y aura-t-il un journaliste pour dire que la figure socialiste de proue du moment a quelque chose d’aubryste… Pour aller jusqu’au bout de la vérité, il convient de rappeler que Jospin, lors de sa campagneprésidentielle de 1995, l’avait présentée comme « la femme politique la plus brillante d’aujourd’hui ». Marylise Lebranchu, l’ancienne ministre de la justice de Jospin, n’est pas loin de penser de même :

(Voir la vidéo http://vimeo.com/28355641)

M. Aubry mérite cependant un peu plus encore : que l’on relève son originalité.

D’abord, si elle est élue, et si mes renseignements sont exacts, ce sera la première présidente de la République depuis des lustres qui soit adhérente d’un syndicat.

Ensuite, comme son père, toujours adhérent lui aussi à un syndicat, (il joua un rôle de premier plan dans l’élaboration de la première loi sur la formation continue, saluée par toutes les centrales syndicales en 1971), elle a pour préoccupation politique fondamentale la question du travail. Sortant de l’ENA (promotion Léon Blum), elle demande, à la surprise de beaucoup, une affectation, dite peu prestigieuse, au ministère du Travail : elle montre ainsi qu’elle a plus un idéal que des ambitions. Elle est vite confrontée aux problèmes de la pauvreté, de la pénibilité du travail, de l’usure prématurée du travailleur… Après 1981, elle a la responsabilité de mettre au point les lois Auroux qui sont une date dans le monde du travail. En 1991, à 40 ans, elle devient une jeune ministre du travail grâce à Edith Cresson.

Lorsque la droite revient au pouvoir, forte d’une expérience acquise pendant dix-huit mois passés chez Péchiney, elle crée la Fondation Agir contre l’exclusion qui fait travailler ensemble des clubs d’entreprises, des associations et des collectivités territoriales pour réaliser des projets concrets. Pierre Juquin, l’ancien communiste rénovateur, m’a dit alors tout l’intérêt d’une telle démarche. Il faut rappeler (et saluer) cette initiative sur laquelle M. Aubry a toujours su garder la discrétion. Il est d’autres Fondations dont on ne peut en dire autant.

Lorsque la gauche revient au pouvoir, Martine Aubry est la n° 2 du gouvernement. Elle crée la CMU, fait voter une loi contre l’exclusion, et devient « la dame des 35 heures ». Désormais elle est la cible de la droite. Mais, quoi qu’en dise le Medef, combien d’entreprises seraient prêtes à revenir à l’organisation antérieure du travail ?

A partir de 1995, son arrivée à la mairie de Lille a suscité des réserves, de la méfiance voire des résistances. Quinze années plus tard, voici ce que relate, alors qu’il ne s’y attendait pas du tout, un reporter du Point (n’hésitez pas à lire : http://www.lepoint.fr/dossiers/villes/lille-confession-verite-aubry/aubry-si-loin-si-proche-12-05-2011-1330379_367.php )

Avant de conclure, je convie les lecteurs de ce billet à écouter Axel Kahn, le grand généticien, ancien président du Comité national d’éthique, un des participants au mouvement « Sauvons la Recherche », aujourd’hui président de l’université Paris-Descartes :

http://vimeo.com/29303810

Martine Aubry est donc capable de susciter des enthousiasmes. Mais, avec elle, on n’est pas dans le spectacle : il faut prendre son temps. Et, quand on n’a pas trop le temps, compte tenu des échéances, si lui faire confiance était la bonne solution ? Peut-être bien fera-t-elle partie du tout petit nombre des politiques que l’on regrette. C’est parier sur l’avenir, certes. Mais parier sur l’avenir, n’est-ce pas l'un des grands paris de la vie ?

NB. - Merci d’avance à toutes celles et tous ceux qui soutiennent d’autres options politiques de m’épargner leurs éventuels quolibets. Qu’ils me combattent sur la politique de M. Aubry, c’est le jeu. Je m’efforcerai de participer au débat dans la mesure de mes moyens.

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