Je viens de lire la motion de la commission consultative nationale des droits de l'Homme. Elle montre un travail approfondi et sérieux. Je ne suis pas le seul à penser que la laïcité n'est pas en jeu car les responsables de l'islam jusque dans les pays musulmans ne reconnaissent pas le voile intégral comme une prescription religieuse. Pour le reste, avec le même texte, on peut tout autant accepter le principe d'une loi que le récuser. Je maintiens donc le billet que je viens de publier sur mon blog :
Le débat qui se développe sur le voile intégral dans le monde laïque étonnerait-il Mediapart ? En 2003-2004, un débat pour ou contre une loi sur les signes religieux ostentatoires a eu lieu dans les mêmes milieux. En 2003, Laurent Fabius avait fait cette proposition au congrès de Dijon du PS ; elle avait fait l’objet d’un débat entre socialistes, pas tous convaincus au départ, puis dans toute la classe politique. La Commission Stasi avait permis d’arriver à un résultat encore controversé mais qui permit l’adoption de la loi du 15 mars 2004. Chacun peut aujourd’hui constater que cette loi a atteint ses objectifs.
La Commission Stasi avait rendu un rapport fort intéressant dépassant largement la loi finalement adoptée (http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/034000725/index.shtml). Certaines propositions ont été suivies d’effet, d’autres non. Ce qui explique peut-être, au moins en partie, une radicalisation, voire une progression nouvelle, même si elle apparaît encore très restreinte, de certains milieux fondamentalistes. Le président de la Mission parlementaire, André Gérin, attire d’ailleurs l’attention sur ce qu’il appelle, à mon sens d’une façon pas si hyperbolique que certains le croient, « les talibans français » : « Il faut traiter aussi le problème des talibans français, qui obligent ces femmes mineures ou majeures à être voilées. Je désigne par le terme de taliban le mari, le grand frère, la famille, voire le quartier, car il y a une sorte de charia dans certains quartiers. Et le voile intégral, c'est la partie visible de cette marée noire de l'intégrisme fondamentalisme. »
La commission Gérin a été confrontée à des problèmes plus complexes que la Commission Stasi du point de vue juridique. Si l’on considère la burqa comme un signe ultra-ostentatoire, elle tombe sous le coup de la précédente loi et rien n’empêche un-e quidam de se balader comme il veut sauf s’il porte atteinte à la décence. Mais la burqa est-elle d’une indécence symétrique de la nudité intégrale dans un espace public ouvert à tous ?
Si, de plus, elle n’est pas un signe lié à une religion (l’essentiel de l’islam, notamment l’islam de France, ne le reconnaît pas pour tel), une interdiction vestimentaire relève surtout de l’ordre public et doit entrer dans un cadre général. Ce qui ne semble pas si simple aux juristes – mais les juristes ont, il est vrai, l’art de compliquer les problèmes à tel point qu’ils laissent le champ large ouvert aux jurisprudences évolutives.
La burqa n’est pas un vêtement comme les autres. Depuis mon enfance, je vois régulièrement des femmes africaines qui portent des robes et des couvre-chefs bien différents des nôtres. Cela peut surprendre, on peut s’étonner, admirer, rire (ce n’est pas sympa), mais nul n’est choqué. Avec le voile intégral, nous sommes choqués. Ce qui est en jeu, c’est la conception et le rôle de la femme en société, ce sont les relations entre les sexes.
Et la liberté de la femme en l’affaire ? Je me souviens d’avoir lu tel ou tel roman célèbre où l’esclave américain libéré par la guerre de Sécession refusait son émancipation. Etait-ce une raison pour ne pas condamner l’esclavage ?
Le PS a publié le 6 janvier sa position (http://presse.parti-socialiste.fr/2010/01/06/mission-parlementaire-d%E2%80%99information-sur-le-port-du-voile-integral-la-position-du-parti-socialiste/). Elle répond largement à l’appréciation des Françaises et des Français. Elle déclare que le voile intégral est contraire aux valeurs de la République et qu’il faut lutter contre le port de la burqa, du niqab, etc. :« Même à supposer que, dans quelques cas, le port du voile intégral relèverait de choix individuels non directement contraints, il nous apparaît – dans ses fondements comme dans ses manifestations - comme une négation absolue des valeurs de la République. »
Il lui semble indispensable d’utiliser dès maintenant un doigté pédagogique en même temps que tous les moyens légaux (lois existantes, décrets et règlements) dont nous disposons actuellement pour atteindre cet objectif. Echaudé par les pratiques législatives de N. Sarkozy qui demandent des lois en fonction des faits divers dramatiques de l’actualité, le PS refuse par principe une loi de circonstance : « Aujourd’hui, le Parti socialiste n’est pas favorable à une loi de circonstance, inapplicable, qui n’aurait pas d’efficacité et pourrait s’avérer contraire aux principes constitutionnels. » André Gérin se dit d’ailleurs d’accord avec ce point de vue : « Je suis tout à fait d'accord avec Martine Aubry quand elle dit que cela ne doit pas être une loi de circonstance » (http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/01/20/01016-20100120ARTFIG00869-burqa-l-interdiction-sera-absolue-dans-les-lieux-publics-.php).
Le débat qui se poursuit tant dans le PS que dans le pays, fait apparaître la montée d’une idée : ce qui est du domaine de la loi a plus de force que le reste. Si le PS a la certitude qu’une loi répondant aux normes constitutionnelles et aux principes juridiques de la Cour européenne des droits de l’homme peut être rédigée, je n’imagine pas qu’il refuse de discuter une loi - et de la voter si elle n’a pas pour but de montrer du doigt une partie de la nation française. Au Président de la République et à son gouvernement de montrer sa bonne foi.