Hier un article de Stéphane Alliès citant le n°2 des Verts : « nous, on bosse sans faire de l'écume médiatique […] ça n'intéresse que les bobos parisiens qui lisent Mediapart ! Bien sûr qu'on est prêt à ouvrir les statuts actuels, mais ce n'est pas ça qui intéresse les gens ! » Aujourd’hui, un billet du même pose la même question avec une vidéo filmant une altercation verbale entre Mélanchon et un apprenti journaliste (de « l’école de Science po », semble-t-il). Ceci en un moment où des abonnés s’interrogent sur leur Club, ce qui n’est pas la première fois.
Nous sommes entrés dans la troisième année d’existence de Mediapart. Les objectifs initiaux d’abonnements apparaissent, sauf erreur de ma part, encore loin d’être atteints. Mediapart a dû trouver des moyens auxquels il n’avait pas pensé à l’origine pour faire face, ce qui montre que devant la réalité, il est bon d’avoir un esprit inventif.
La crise de la presse est profonde, Mediapart l’a souligné dès le début. La crise économique qui aurait pu a priori sembler favorable à une presse à la fois de qualité et moins chère, montre seulement un peu plus que la presse numérique ne peut faire de la gratuité le vecteur de son originalité.
Mélanchon, dans son style (qui déplaît parfois), mouche l’apprenti journaliste qui ne se rend même pas compte qu’il vole au secours du Parisien et de son titre accrocheur sur les maisons closes au moment où le pays discute – ou y reste indifférent – de la politique menée depuis 2007. Effectivement ce ne sont pas ceux qui ont des problèmes à joindre les deux bouts, à trouver du travail pour leurs enfants ou pour eux, qui se passionnent pour les avantages comparés – y compris du point de vue fiscal ! – de la prostitution libre ou encadrée. Les réactions à cette vidéo dans le fil des commentaires montrent qu’un bon nombre de lecteurs comprennent le député européen au-delà de son style.
Il est un lieu commun selon lequel les politiques sont coupés des réalités sociales. Les journalistes ne le sont souvent pas moins pour des raisons analogues et parfois plus car bien des politiques élus ont un contact régulier avec leurs électeurs. Par leurs origines sociales, certes assez souvent, mais aussi leur type de formation, ils ont bien des points communs. Quand on songe que Sciences po a son école de journalisme… Même les autres écoles, prestigieuses pour certaines, « formatent » les études de journalisme, pour le meilleur mais aussi le pire. J’ignore si tous les lecteurs de Mediapart sont des bobos. En tout cas un certain nombre de journalistes ont sinon le train de vie, du moins l’esprit bobo.
En Mediapart, j’ai relevé parfois certains tics journalistiques, le recours à des lieux communs voire des préjugés implicites – j’attends toujours la réponse d’une journaliste à des objections que j’avais formulées ,– le manque de réactivité à des situations en voie de se transformer (l’hésitation devant le risque intellectuel à assumer), la tentation des titres accrocheurs au point de trahir le sens de l’article… Je me demande si cet organe de presse se donne les moyens de fabriquer un journal en phase avec les attentes de fond d’un lectorat plus large.
L’hostilité à la politique de Sarkozy s’appuie sur un courant profond de rejet dans le pays. Edwy Plenel lui donne un tour, généralement brillant, qui est le sien. Encore faut-il savoir percevoir globalement les attentes nouvelles ou renouvelées qui prennent corps, ne pas ignorer le passé, certes, mais ne pas le ressasser et l’ériger en grand Commandeur du futur : Mediapart, comme bien d’autres dans notre pays, est habité en profondeur par une idéologie implicite du péché originel.
Vouloir mettre au grand jour tout ce qui va dans le sens des attentes multiformes du pays, quelle qu’en soit l’origine, relève d’une authentique démarche journalistique. Encore faut-il avoir le courage de dire ce qui vient contredire la réalisation de ces aspirations. Une telle démarche n’existe cependant pas pour l’éternité, elle est à construire « pas à pas » comme j’aime à le répéter.
Un journal de référence ne peut être seulement un journal qui donne des textes bien informés faisant le tour des problèmes. Il ne peut se réduire à être un donneur de leçons. Il se doit de faire découvrir à ses lecteurs quels sont les grands chemins qui s’ouvrent, ou donnent l’impression de s’ouvrir, et qui doivent donner de l’espoir – tout en sachant que l’espoir est fragile et a besoin, en permanence, d’être affermi.
Sinon Mediapart peut apparaître avec tout son foisonnement de lecteurs clubistes, avec son grand bouquet de billets renouvelé jour après jour : il ne cessera de décevoir. Parce qu’il manquera la substance vitale. Celle qui donne à chacun moins l’envie de grogner que le désir de prendre sa vie – sociale, professionnelle, voire personnelle – en mains.