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Billet de blog 10 novembre 2023

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Antisémitisme : les éditions des droites radicales produisent à plein régime

Les accusations d’antisémitisme contre des politiques fleurissent en surinterprétant des mots voire des non-dits. Or le volume de publication de livres antisémites témoigne de la persistance d’une culture antisémite structurée au sein de plusieurs courants des droites radicales françaises.

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Les accusations d’antisémitisme contre des politiques de gauche fleurissent en surinterprétant des mots voire des non-dits.

Or plusieurs centaines de livres antisémites sont publiés et disponibles en français, construisant un énorme "édifice" qui diffuse des argumentations structurées, énonçant toutes les rhétoriques anti-juives qui circulent dans la société française.

Cette réalité reste néanmoins inconnue de celles et ceux qui saturent aujourd’hui le débat médiatique.

J’avais depuis plusieurs années une intuition aussi forte que désagréable : le volume de éditions antisémites n’avait cessé de croître depuis que je m’intéresse aux droites radicales, dans les années 1970. Intuition, impression agaçante qu’il fallait « objectiver » en ces temps de polémiques sur l’antisémitisme.

Je voulais en avoir le cœur net. Donner des faits, quantifier, citer des textes clairs, irrécusables.

Mon point de repère personnel est un article écrit pour Ras l’Front en 2005[1]. Je suivais à l’époque, assez précisément l’extrême droite, ses activités structures, publications.

Mon article citait quelques titres significatifs que j’avais trouvés en fouinant dans les rayons des librairies d’extrême droite dont j’étais un client régulier. Les textes en question, souvent des brochures en format A5, assemblages de photocopies avec une couverture colorée au papier d’un grammage à peine plus épais. Des éditions plus « professionnelles » existaient certes, que je découvrais en mettant la main dessus, livres que ne mentionnaient aucun journal, aucun catalogue accessible au public. Bien que croissante, ce qui constituait « l’accroche » de l’article, la diffusion de ce nombre limité d’ouvrages restait assez confidentielle.

Le volume de l’édition antisémite en complique l’étude exhaustive

D’emblée, une première surprise : le phénomène a pris aujourd’hui une ampleur empêchant d’en prendre une connaissance complète. J’ai dû renoncer à toute ambition d’exhaustivité. Car ce sont des centaines de milliers de pages, des centaines d’ouvrages volumineux. De surcroît cette production n’est pas facilement consultable, peu présente en bibliothèque. En revanche elle s’avère plus aisément accessible (à l’achat) et plus abondante qu’elle n’a jamais été depuis la 2e Guerre Mondiale.

J’étais parti pour mettre à jour un article de 2005 sur « la diffusion croissante de la littérature antisémite ». Mais rien ne s’est révélé aussi simple que je l’avais espéré. Le résultat est si volumineux qu’il paraît en feuilleton de 6 ou 7 épisodes sur Contretemps.

Car il y a plusieurs familles de discours antisémites, l'antijudaïsme chrétien, l'antijudéomaçonnisme, les discours des juifs maitres du monde, thématique intriqué avec la quatrième de la subversion juive, un cinquième thème est constitué par le courant "révisionniste" qui nient le génocide des génocide juifs d’Europe, un sixième ensemble est composé des rééditions de l'antisémitisme nazi ou collaborationniste, un septième et dernier est l'antisémitisme littéraire et les fictions antisémites contemporaines?

Le premier présente les éditeurs, car la littérature antisémite prospère grâce à des structures efficaces d’édition et de diffusion. Il précise d’emblée ce que nous entendons par « littérature antisémite », et pourquoi cet antisémitisme construit, structuré nous semble avoir un rôle clé, crucial dans la pérennité de la rhétorique antisémite en France.

Pour présenter le milieu éditeur, il faut citer plus d’une trentaine de maisons d’éditions actives aujourd’hui, quelques-uns des milliers de titres à leurs catalogues et seulement certains auteurs pour illustration.

Le deuxième épisode de notre série est un voyage dans le temps et dans une culture et des modes de raisonnement anachroniques, qui constituent néanmoins un pôle très prolifique d’édition reposant sur une culture structurée, le catholicisme traditionaliste, qui maintient en vie ce qui fut la première source de l’antisémitisme occidental.

Le troisième volet de l’exploration de l’édition antisémite contemporaine est aussi un nouveau voyage dans le temps, vers les années 1880 à 1945 qui virent le pic de la rhétorique anti-judéo maçonnique.

Celle-ci constitue une laïcisation paradoxale de l’antijudaïsme chrétien, initiée par des clercs en vue de contrer la laïcisation de la société, la séparation des églises et de l’Etat.

L’aspect intrigant, mystérieux, sensationnel que prit cette thématique contribua puissamment à sa diffusion.

Le quatrième et cinquième volet de notre voyage en antisémitisme contemporain concernent les thématiques de la domination juive et de la subversion juive, troisième et quatrième des sept familles de la littérature antisémite. Leur antisémitisme s’extrait progressivement de ses formulations cléricales pour s’exprimer dans des langages singeant ceux du journalisme, de la sociologie ou de la science politique, à moins qu’il ne verse dans des théories du complot débridées.

Les deux discours de la domination et de la subversion s’articulent, se combinent ou fusionnent : les juifs dissoudraient les sociétés traditionnelles à la fois « par en haut » et « par en bas ». Ils reposent en effet sur le même préjugé développé en panique morale : les juifs cohérents et volontaires ont su dominer le monde, ou subvertissent, désagrègent, amollissent aujourd’hui les sociétés, en vue de rester demain le seul groupe homogène apte à les dominer.

Le cinquième volet aborde les trois dernières familles qui proposent des mémoires alternatives : les négateurs travaillent à forger une mémoire dans laquelle le génocide n’aurait jamais eu lieu, les thuriféraires nostalgiques de l’antisémitisme nazi entretiennent une mémoire dans laquelle le nazisme est flamboyant et séducteur, enfin les auteurs des fictions antisémites alimentent les rêves d’un futur où les guerriers blancs peuvent tuer des juifs.

Les présentations des trois deniers courants paraitront dans les semaines qui viennent.

Pas d’appel à la censure

Sur le travail d’exposition et d’analyse des centaines de publications est venue des greffer une autre préoccupation : éviter d’inciter à la censure, à La constitution d’un Index moderne des lectures interdites[2]

Le risque d’accession de l’extrême droite au pouvoir en France fait que toute incitation au contrôle des écrit, paroles et opinions est du pain bénit pour les secteurs les plus durs de l’extrême droite qui auront en main tous les outils pour censurer ce qui leur déplaira.

L’angoisse vient de la possibilité que mon travail serve à interdire des publications.

Bien sûr je peux réaffirmer les raisons fondamentales de l’opposition à toute censure, y compris concernant les écrit d’authentique salopards.

D’autres raisons, techniques ou taxinomiques, rendent absurde toute idée de liste en la matière. Bien que la plupart des ouvrages cités soient évidemment antisémites dans le contexte français actuel, il est impossible de classer les ouvrages en catégories antisémites/philosémites. Les tentatives en ce sens le démontrent aisément. « Aussi, aujourd'hui que le mot « antisémitisme » n'en finit pas de produire ses effets de polarisation, il peut être utile d'insister sur le caractère d'emblée largement illusoire de la pure opposition qu'il supposait, notamment aux yeux de ceux qui entendaient le combattre. »[3]

J’ai préféré montrer comment se bâtit l’édifice antisémite avec y compris, à la marge, des ouvrages qui ne le sont pas intrinsèquement.

J’ai donc mentionné les rééditions Bernard Lazare et de Georges Clemenceau par des éditeurs antisémites, et rappelé que des auteurs comme Voltaire (contre les juifs) ou Théodore Herzl (contre les « youpins ») avaient commis des textes d’un antisémitisme ordurier.

Dans le livre Le Séparatisme islamique, un certain Gerald Darmanin, en évoquant « les difficultés touchant à la présence de dizaines de milliers de Juifs en France. Certains d’entre eux pratiquaient l’usure et faisaient naître troubles et réclamations » reprend des clichés antisémites sur les juifs usuriers fauteurs de problèmes.

C’est la raison pour laquelle j’ai renoncé à faire une bibliographie des sources.

On pourra me faire remarquer que ces articles ne citent -à deux ou trois exceptions près- que les centaines de titres publiés par des maisons d’éditions liées aux droites radicales mais aucun titre issu de courants de gauche.

C’est exact, et c’est un constat : aucun des livres antisémites circulant aujourd’hui en France n’est édité ou commercialisé par les différentes structures de la gauche radicale.

René Monzat

[1] Disponibilité croissante de la littérature antisémite, Ras l’Front n° 104, février-mars 2005.

[2] Index librorum prohibitorum, 1545-1966 : listes des livres interdits par l’Eglise catholique.

[3] Thèse Damien Guillaume, Les débuts de l’agitation antisémitique en France, EHESS, 2019. p. 412

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