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Billet de blog 21 juin 2022

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Oui, on peut réduire le soutien populaire aux identitaires !

Les résultats de la Nupes, effet de l’alliance électorale, ne doivent pas masquer l'affaiblissement des valeurs de solidarité et la montée des conceptions identitaires dans la société. Si la gauche radicale ne renoue pas avec les couches populaires, la domination des droites radicales sera durable. C'est une bataille idéologique, politique et parlementaire, syndicale et associative. Gagnable.

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Oui, on peut réduire le soutien populaire aux identitaires !

Les bons résultats de la NUPES traduisent l’effet de l’alliance électorale et reflètent sans doute un palier dans l’érosion du poids électoral des courants éco-socialistes, j’emploie ce terme insatisfaisant pour « gauche écologiste radicale » ou pour « partisans des communs ». Mais un simple accord électoral ne pourra renverser la tendance.

La situation électorale se résume en un partage durable en trois blocs fondamentaux

Nous avons donc trois blocs :  le bloc libéral, le bloc « éco-socialiste » ou des « partisans des communs », et un bloc identitaire. Le courant de la droite conservatrice est en voie d’éclatement, tiraillé entre l’attraction du bloc identitaire et le courant libéral, relais politique et idéologique du capital, tandis que les sociaux-démocrates poursuivent leur émiettement centrifuge entre le pôle libéral et celui des éco-socialistes, (LFI, PCF et Verts) plus conséquents dans leurs critiques des dérives de la loi du marché.

Idéologiquement les idées de solidarité, de lutte collective, d’un minimum d’internationalisme, de souci du futur de la planète ont perdu du terrain et ne sont partagées que par un tiers de la population, même si le désir de prendre sa retraite assez tôt pour en profiter, de gagner assez pour vivre décemment et de travailler en bénéficiant d’un minimum de considération et de respect sont très majoritairement reprises.

Le vote de classe existe mais ignore cette tripartition

En revanche nous avons vu se manifester un vote ou plutôt des votes de classe.

Comme depuis de nombreux scrutins la majorité des ouvriers qui ont voté l’ont fait pour le FN/RN, (pratiquement la moitié), plus que le total de toutes les composantes de la gauche. On a vu lors des présidentielles que les ouvriers ou employés qui ont voté pour le courant identitaire ont perçu entre les thématiques agitées par Eric Zemmour et par Marine Le Pen une différence suffisamment nette pour revenir vers Le Pen et renvoyer Zemmour à la marginalité[1]. De ce fait les couches populaires se sont d’abord abstenues (comme toutes les autres catégories sociales), puis ont voté Le Pen ou Mélenchon, et très peu pour les autres candidats. Il existe bien un vote de classe, il se partage entre la droite radicale et la gauche radicale.

Cela fait de cette question du vote populaire identitaire un élément décisif pour éviter l’arrivée au pouvoir des droites radicales.

Une responsabilité particulière, exclusive, pèse sur les éco-socialistes et les syndicalistes

Les éco-socialistes (au niveau des idées et de l’activité politique), les organisations syndicales qui s’adressent spécifiquement aux salariés ont donc une responsabilité clé, pour convaincre que le soutien aux identitaires est, du point de vue des intérêts des salariés, radicalement contre-productif.

Trois éléments sont de ce fait impératifs, indispensables :

Pour s’adresser aux couches populaires, ouvriers et employés, chômeurs qui soutiennent le RN on doit tenir un discours de classe, antilibéral, anticapitaliste. Il n’existe plus aucune possibilité ou efficacité d’un discours commun à tout l’arc républicain.  Il ne s’agit pas d’abandonner le combat pour les libertés publiques et les droits humains, mais de constater que sur ces terrains les « libéraux » ont été fort autoritaires. Mais surtout qu’on ne peut rien dire avec des courants qui s’opposent au RN en prétendant comme les portes paroles du patronat, que Marine Le Pen serait une quasi gauchiste.

Au parlement, dans toutes les assemblées il faut prendre les élu·es RN au piège de leur discours populiste sur le pouvoir d’achat. Donc quand la NUPES ou LFI se battront pour un texte augmentant le SMIC, il faudra poser la question de l’attitude de ces élus, et constater si les élu·es RN l’ont soutenu ou non.

Soit ils votent contre et s’abstiennent lors des propositions d’augmenter les salaires en contradiction avec leur discours. Soit ils ou elles les votent et, à la fin de la législature, ils ne pourront se prévaloir en ces domaines que du soutien apporté à des initiatives venues de la gauche. C’est essentiel de mettre ces élus devant pareil dilemme chaque fois que possible car l’épisode Zemmour a montré que le déterminant de classe est essentiel pour leur électorat.

La même tactique peut se déployer sur toutes les questions de retraite, de défense des services publics, d’imposition... domaines dans lesquels le RN s’est fait une santé électorale avec des discours qui ne coïncident pas avec sa pratique.

Enfin le mouvement syndical et associatif peut démontrer que les discriminations que prône le RN divisent, affaiblissent le rapport de forces nécessaire. Laisser jouer des discriminations de race et de genre, c’est affaiblir la classe ouvrière française, comme introduire des discriminations dans les associations de parents d’élèves affaiblit toujours les demandes des parents vis-à-vis de l’institution scolaire, de leur école. La conviction qu’on est plus fort·es ensemble ne se bâtira pas au parlement, mais dans des activités concrètes, dans la syndicalisation de nouvelles couches de salarié·es, des personnels des petites boîtes. C’est aussi valable dans les quartiers où toute mobilisation sur des objectifs locaux fait tomber (ou réduit) les préventions, car elles permettent de comprendre que lutter ensemble ne relève pas de la charité, sympathie, gentillesse ou internationalisme mais de la simple nécessité, de l’efficacité.

Les courants éco-socialistes, de gauche radicale, syndicalistes doivent agir pour faire jouer les très fortes contradictions que recèlent les ressorts des soutiens populaires aux droites radicales.

Il existe une dissonance entre des thèmes idéologiques socles du libéralisme qui se sont généralisés dans la société, en particulier chez les soutiens du RN, et des demandes sociales de leur base populaire.

Le comprendre doit nous inciter à nous battre pour l’égalité, une vie digne pour tous et toutes, mêmes celles et ceux qui ne sont pas les premiers, et pas seulement « l’égalité des chances » des finalistes d’un 100m avant le coup de pistolet donnant le départ.

C’est revaloriser la solidarité, qui profite à chacun·e et non laisser la lutte de tous contre tous choisir qui sera exclu.

Il faudra éviter les attitudes de rejet inspirées par la crainte : certes, le mouvement syndical doit refuser que quiconque se prévale d’une appartenance syndicale pour prôner une politique de division, pour plaider le refus de défendre tous les travailleurs et travailleuses. Mais on devra syndiquer sans crainte des salarié·es influencé·es par le RN.

Orienter cette forte proportion de salarié·es soutenant aujourd’hui les courants identitaires vers une compréhension des rapports de classe et une pratique plus efficace pour la défense des couches populaires constituera une tâche formidable et essentielle pour celles et ceux à qui les résultats électoraux ont redonné ne serait-ce qu’un peu d’espoir.

René Monzat

[1] Voir sur ce point l’entretien paru dans la vie des idées  La vie des idées, et la mise en valeur d’une analyse de classe dans la revue de la nouvelle droite éléments n° 196 : Présidentielles : le vote de classe a bien eu lieu par Jérôme Sainte-Marie. Propos recueillis par François Bousquet et Pascal Eysseric, pp· 30-33.

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