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Billet de blog 2 mai 2023

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1er mai 2023 : de la liberté de manifester

J’ai visionné hier un large extrait de la première partie d’un long « direct » sur le défilé parisien du 1er mai. Rien à voir avec la manifestation que j’avais vécue de mon côté. Deux regards sur l'action de la police lors du défilé parisien du 1er mai 2023.

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J’ai visionné hier un large extrait de la première partie d’un long « direct » sur le défilé parisien du 1er mai. Rien à voir avec la manifestation que j’avais vécue de mon côté. La caméra y suivait des escadrons de robocops occupés à d’étranges manœuvres, alignements, déplacements en file serrée, charges (contre un ou deux jetés à terre et « maîtrisés »), reformations sur plusieurs rangs… avec quelques badauds, dont un clown rouge vif au milieu et un  peu de foule qui s’écoule paisiblement sur les bords. Les policiers semblent de loin en loin intervenir devant une banque ou un commerce vandalisés (une séquence montre au sommet d'une pile de caisses mises à nu par le saccage l'inscription "danger TNT"), mais ont-ils si peu que ce soit empêché la casse ? Un aigle de papier aménagé en forme de mantelet de siège est confisqué et détruit. Les flaques au sol témoignent d’une averse récente (ou de l’intervention d’un canon à eau ?). De temps à autre, procurée par des drones qui suggèrent que ce « direct » émanait de la Place Beauvau, le montage incruste une vue plongeante sur la place de la République (déjà ? encore ?) pleine de monde : on distingue un peu la statue de Marianne qui arbore son gilet jaune.

Ce « direct », du moins dans ce que j’ai vu, ne s’intéresse nullement aux fortes revendications exprimées dans le défilé. Dans tout mon parcours à moi, commencé sur le boulevard Voltaire que j’ai rejoint depuis la Bastille, au milieu de citoyens de tous âges, mais le plus souvent jeunes et déterminés, jamais à court de slogans et d’inventivité, j’ai contourné deux ou trois petits feux allumés sur la chaussée et n’éveillant que le sourire des manifestants, croisé des abribus en miettes et d’autres gardés par des manifestants montés sur le toit, mais je n’ai vu apparaître la police qu’à mon arrivée place de la Nation : leurs camions et leurs rangs serrés bouchaient toutes les issues, alors que la station RER était fermée. La nasse ? La vaste place accueillait les jeux et le désœuvrement de ceux qui n’avaient pas eu l’idée de la quitter ou qui avaient renoncé à essayer. L’air piquait les yeux, il me tardait de m’échapper. Enfin, depuis l’un des camions de police (c’était bien la quatrième rue par où j’essayais de m’extraire), une voix féminine indique par haut-parleur une sortie : le Cours de Vincennes. Il aura donc fallu contourner, par le sud, plus de la moitié de l’immense place : mais bientôt, au fond du Cours de Vincennes, on voit reparaître les mêmes cordons de policiers. Heureusement, une petite rue non barrée s’ouvre à droite et nous permet de rejoindre Picpus ou Bel Air. L’oxygène qu’on y respire est à peine meilleur. Sur l’avenue, puis sur les boulevards des Maréchaux, des camions de police en renfort se succèdent encore, sirènes hurlantes.

Au retour, consultant mon portable, je vois les images du bas d’un immeuble en feu place de la Nation. J’apprends qu’il s’agissait d’un immeuble en construction. La situation requérait des pompiers. À quoi les renforts de police pouvaient-ils bien servir ? D’autres images, impressionnantes, montrent une grande flamme qui s’élève du milieu d’un conglomérat de robocops, dont l’un est à terre et secouru par ses camarades. Une poubelle renversée est approchée, deux individus cagoulés et armés d’un bâton menacent puis s’enfuient. Fausse manœuvre d’un lanceur de « grenade de désencerclement » ou cocktail Molotov qui aurait pu rouler au sol jusqu’au milieu du groupe ? Sur Twitter, d’autres images montrent le journaliste Rémi Buisine blessé par une grenade et recroquevillé sur le macadam.

Liberté de manifester ? Oui, puisque nous avons été si nombreux à pouvoir défiler. Non, puisque nous l’avons fait sous la menace, pour beaucoup longtemps cachée, de policiers sans visage, qui n’interviennent, pour ce que j'en ai vu, que pour nous interdire la sortie et dont le seul aspect tantôt rebute, et tantôt apitoie, quand, derrière l’armure, on devine des hommes. Ces hommes agissaient cependant avec bien plus de retenue que lors du premier 1er mai du quinquennat précédent, ce jour où sévissait le protégé du Président, Alexandre Benalla. Mais naguère encore, on venait au défilé du 1er mai avec landaus et poussettes : très peu de parents s’y sont risqués hier. S’il s’agit de protéger des biens, pourquoi ne pas poster de loin en loin des gardiens de la paix à visage découvert ? Les manifestants les respecteront et seront éventuellement les premiers à les appuyer. On ne respecte guère ce qui menace ou maltraite : tout au plus en a-t-on peur. Nous vivons bien sous le règne d’une forme de terreur – qui reste cependant soucieuse de se justifier par la diffusion du « direct » que je viens de décrire.

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