La France s'est lancée dans une "guerre" sans connaître ni situer son adversaire. Comme dans ces dessins animés où l'ennemi épié survient dans le dos du guetteur, il serait bon peut-être de se rendre compte que "Daesh" est aussi bien ici qu'ailleurs, et qu'il pourrait s'avérer parfaitement ridicule de rester posté en Méditerranée orientale avec une ruineuse armada.
Voici simplement deux des possibles émergences de Daesh dans notre vie quotidienne:
- parmi ses sources de financement, une conférence remarquable d'Alain Badiou (http://la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/alain-badiou-penser-les-meurtres-de-masse) cite la production de coton (je n'y aurais pas pensé): n'avez-vous pas remarqué, sur certains marchés au moins en région parisienne, des stands de linge blanc (draps, serviettes... apparemment de bonne qualité) vendu à des prix défiant toute concurrence, sans la moindre indication d'origine? Si ma suggestion était exacte, combien de Français dormiraient, en ce moment, dans le lit de Daesh? Je ne prétends pas accroître la paranoïa sécuritaire: il ne s'agit que de montrer que dans ce lit, nous y sommes bel et bien par la grâce de l'économie globale dont le seul mot d'ordre est celui du moindre coût assorti du plus grand profit.
- des opérateurs téléphoniques (au moins prétendus) proposent actuellement sur les téléphones mobiles des bouquets de chaînes de télévision à des prix sacrifiés (inférieurs à 5 €): arnaque, ou proposition "sérieuse", mais de toute manière dans ce cas à des fins de propagande, soit commerciale, soit politique, – une propagande qui pourrait aussi bien être celle de Daesh et qui se répandrait sans limite au sein même des foyers les moins prévenus et sous les yeux des enfants (la cible dont j'ai connaissance pour une proposition de ce genre, assortie d'une multitude de questions intrusives, se trouve être une innocente famille d'origine maghrébine)?
Remarquons donc que ces deux "possibles émergences de Daesh" seraient indiscernables des politiques commerciales auxquelles nous sommes soumis de toute façon et que personne parmi les honnêtes consommateurs ne songerait même à critiquer – sauf obligations d'étiquetage et de contrôle auxquelles même Volkswagen se soustrait allégrement (et que dire alors des autres entreprises, de nos "zones franches", etc.?)... Les privatisations, la loi du libre-échange des marchandises et la destruction de l'État-providence au profit d'États policiers autorisent bien pire.
Mais voici une troisième "émergence", celle-ci tout à fait certaine:
- la multiplication des armes à feu entre les mains de citoyens ignorants du droit, appelés à renforcer les milices municipales, état d'urgence oblige! Il y a chance que ces armes, et les perquisitions permises, soient dirigées vers les altermondialistes de tout poil bien plutôt que vers les hommes de main d'une quelconque "entité" terroriste. On parle du "groupe E.I." aussi naturellement que du "groupe Total". Ces entités en effet, à tout prendre, ne sont que les visages (les uns et les autres dûment voilés) de l'ultralibéralisme que la COP21 promeut sans complexe, moyennant l'habillage de quelques paillettes éthiques et des altermondialistes muselés. Il sera toujours plus facile de s'en prendre à Tarnac qu'à un commando syrien ou libyen... comme à la prédation ultralibérale ou aux invisibles Breivik, Lubitz et Roof à cheveux blonds, en embuscade ici ou ailleurs.